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Pour réussir l’intégration d'une personne immigrante en milieu de travail : axer ses pratiques de gestion des ressources humaines sur la diversité

Marjorie Blais*, CRHA, est conseillère en dotation dans une multinationale québécoise, qui a des filiales à Chicago et à Alger. Ali, ingénieur mécanique à la filiale d’Alger, s’est récemment joint à l’équipe montréalaise pour un mandat d’un an. Il a toutefois de la difficulté à s’intégrer dans son nouveau milieu et ses collègues ne font pas beaucoup d’efforts pour l’aider. Ils démontrent même une certaine hostilité à son égard. Les tensions sont exacerbées par le fait qu’Ali ne respecte souvent pas les délais. Craignant qu’un climat malsain ne s’installe, le directeur général demande à Marjorie de mettre fin au mandat d’Ali qui, selon lui, ne correspond pas au profil de l’organisation. Que doit faire Marjorie?
*Nom fictif 

20 mars 2013
Pierre G. Duguay

L'ÉCLAIRAGE DÉONTOLOGIQUE

Les pratiques de gestion des ressources humaines sont-elles adaptées à la diversité de la main-d’oeuvre?

Par Direction de la qualité de la pratique, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés 

Marjorie doit d’abord se demander si mettre fin au mandat d’Ali est conforme aux termes de son contrat, aux politiques de l’entreprise et aux lois québécoises (Charte des droits et libertés de la personne, Loi sur les normes du travail). Comme l’article 12 de son Code de déontologie lui interdit d’avoir recours à des pratiques illégales ou discriminatoires, elle doit faire preuve d’une très grande prudence. Et le fait que cette directive lui ait été donnée par son employeur ne l’exonère pas de sa responsabilité personnelle et professionnelle à l’égard d’un geste illégal. Elle doit exercer pleinement son rôle-conseil et mettre son employeur en garde quant à l’illégalité possible de cette fin de mandat. 

Marjorie doit aussi se questionner sur les pratiques de gestion des ressources humaines de l’entreprise. Sont-elles adaptées à la diversité de la main-d’oeuvre? Marjorie doit se demander ce qu’elle devrait faire de plus pour prévenir une telle situation : 

  • Les mesures d'accueil des employés sont-elles favorables à l’intégration des minorités visibles et des personnes immigrantes? (art. 6(4°) de son Code de déontologie)
  • Les gestionnaires et les employés devraient-ils suivre une formation sur la diversité culturelle qui leur permettrait d’être l’aise en présence de personnes immigrantes dans leur équipe? (art. 6(5°) du Code)
  • Quelles sont les normes généralement reconnues par la profession en matière de gestion de la diversité? Sont-elles respectées dans l’organisation? (art. 3 du Code)  

Marjorie doit ensuite convaincre son employeur de la nécessité d’intervenir rapidement pour réduire les tensions qui existent dans le milieu de travail et pour protéger la santé et la sécurité des employés (art. 6(2°) et 6(3°) du Code). En effet, les conflits peuvent dégénérer en situation de harcèlement psychologique, lorsqu’ils ne sont pas résolus. 

Elle doit également se demander quelle personne serait la plus apte à intervenir afin de désamorcer ce conflit. Si c’est à elle que son employeur veut confier ce mandat, elle doit s’assurer qu’elle a l’indépendance professionnelle requise pour le faire et qu’elle n’est pas en situation de conflit d'intérêts. Par exemple, si elle est une grande amie de l’une des personnes impliquées, elle n’a peut-être l’objectivité nécessaire pour remplir ce mandat. 

Tout en respectant son Code de déontologie, elle pourra ainsi faire à son employeur les recommandations appropriées, qui seront profitables à cette entreprise multinationale. Celle-ci sera ainsi mieux préparée à faire face à un marché du travail où la main-d’œuvre est de plus en diversifiée. Sans oublier que l’intégration des immigrants dans leur milieu de travail est un enjeu majeur pour la plupart des entreprises dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre. 

À retenir

  • Éviter toutes pratiques discriminatoires, frauduleuses ou illégales.
  • Exercer sa profession en tenant compte des normes de pratique généralement reconnues et en respectant les règles de l'art.
  • Faire des recommandations pertinentes relativement à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, aux mesures d’accueil et d’intégration et à la formation.

LA DÉONTOLOGIE EN ACTION

Établir un mode de gestion axé sur la diversité

Par Pierre Duguay, CRHA, président, Com-Inter Communications 

Dans ce cas-ci, Marjorie doit d’abord sensibiliser son employeur avec tact et diplomatie à l’importance de régler ce conflit. Si la situation le permet, elle peut proposer un plan pour désamorcer le climat tendu qui s’est installé dans le groupe, faute de prévention. Ce plan devrait comprendre, par exemple : 

  • l’écoute active d’Ali et des membres de l’équipe;
  • une formation sur les deux cultures de gestion;
  • une aide à la recherche de solutions, offerte au superviseur et à l’équipe;
  • un plan de travail avec échéancier.  

L’intégration d’une personne d’une autre culture pose un défi au professionnel de la gestion des ressources humaines, qui ne doit rien tenir pour acquis. Souvent les conflits surgissent là où on ne les attendaient pas. 

Il ne faut pas oublier qu’en général, la culture de gestion québécoise a plusieurs particularités qui font sa richesse. Par exemple, au Québec : 

  • la hiérarchie est très souple alors que, dans plusieurs cultures, elle doit être strictement respectée;
  • le sens de l’initiative chez l’employé est très apprécié alors qu’ailleurs, il serait réprimandé;
  • la recherche d’un consensus rassembleur étonne les nouveaux arrivés;
  • la dimension « temps », le respect des délais et la ponctualité ont une grande importance;
  • la gestion des malaises et des conflits interpersonnels est encouragée;
  • les relations avec les collègues de travail sont valorisées.  

Ces valeurs qui soutiennent cette culture de gestion s’expriment dans des gestes de tous les jours. Souvent, on ne réalise pas qu’elles font partie de la réalité. 

Pour assurer la réussite de l’intégration du nouvel arrivant, Marjorie doit prendre plusieurs mesures de prévention. Pour éviter des conflits coûteux, qui minent le climat de travail et la réputation de l’entreprise et pour réaliser une meilleure intégration, des activités de prévention sont toujours préférables : 

  • il faut expliquer au nouvel arrivant comment se vivent ces valeurs de gestion au quotidien; si c’est fait avant son arrivée, c’est encore mieux;
  • les collègues de travail aussi doivent être informés, principalement sur les modes de communication;
  • le superviseur doit recevoir une formation sur la gestion de la diversité pour pouvoir interpréter rapidement gestes et paroles.  

Si elle réussit, Marjorie aura enrichi son organisation d’une nouvelle façon de régler les malaises et les conflits, ce dont l’entreprise ne pourra que bénéficier, ayant ainsi compris les avantages qu’elle peut tirer d’un mode de gestion axé sur la diversité.

Par Direction, qualité de la pratique, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, et Pierre Duguay, CRHA, président, Com-Inter Communications.

 


Pierre G. Duguay