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Comment s’applique l’article 45 du Code du travail lors d’une fusion?

L’article 45 du Code du travail du Québec (le Code) prévoit que l’aliénation ou la concession totale ou partielle d’une entreprise n’invalide aucune accréditation accordée en vertu de ce Code, aucune convention collective, ni aucune procédure en vue de l’obtention d’une accréditation, de la conclusion ou de l’exécution d’une convention collective.   

9 avril 2012
Me Catherine Pronovost, CRHA

Il prévoit aussi que, sans égard à la fusion ou au changement de structure juridique de l’entreprise, le nouvel employeur est lié par l'accréditation ou la convention collective comme s'il y était nommé et devient par le fait même partie à toute procédure s'y rapportant, aux lieu et place de l'employeur précédent. 

C’est donc dire qu’en cas de fusion de deux entreprises ou plus visées par une ou plusieurs accréditations syndicales, l’article 45 du Code trouvera a priori application de plein droit et il faudra alors déterminer l’impact de cette application sur la nouvelle entité fusionnée. Par où commencer? 

Vérification préalable

L’entreprise qui souhaite fusionner ses activités avec celles d’une autre entreprise devrait procéder, avant d’entreprendre toute démarche formelle, à une vérification diligente. Il s’agit avant tout de dresser le portrait de la situation et, notamment, de : 

  • vérifier si une ou des requêtes en accréditation ont été déposés à la Commission des relations du travail pour représenter des salariés des différentes entreprises;
  • analyser le ou les certificats d’accréditation en vigueur au sein des entreprises afin de déterminer les groupes de salariés qui sont syndiqués;
  • analyser avec minutie les conventions collectives applicables;
  • dresser un portrait de l’entreprise fusionnée projetée afin d’identifier les conflits possibles et de déterminer à l’avance les solutions envisageables. 

L’intégration des activités

Mentionnons tout d’abord que la fusion des entreprises n’entraînera la fusion d’accréditations distinctes que dans l’éventualité où les opérations de ces entreprises sont elles-mêmes intégrées. 

L’exemple le plus simple est celui de deux entreprises qui opèrent dans deux établissements distincts et dont les salariés sont représentés par deux syndicats différents. Si, au terme de la fusion, la nouvelle entité choisit de poursuivre les opérations sans les modifier au sein des deux établissements, elle sera liée par les deux accréditations et les deux conventions collectives applicables. En d’autres mots, les opérations de ces entreprises ne sont pas intégrées et le statu quo s’applique. 

Si toutefois la nouvelle entité choisit d’intégrer les opérations au sein d’un seul établissement et d’y transférer l’ensemble de la production, le maintien des accréditations existantes sera vraisemblablement impossible en raison des difficultés soulevées par l’application, à un même groupe de salariés, de deux conventions collectives distinctes. 

Le maintien des accréditations existantes ne serait possible que si les opérations des deux établissements demeuraient distinctes au sein de l’établissement choisi sans intégration des deux groupes de salariés. 

La détermination de l’application de l’article 45 du Code 

a) Lorsqu’une seule des entreprises est syndiquée

Lorsqu’une seule des entreprises fusionnées est syndiquée, la taille du groupe des salariés syndiqués sera déterminante lorsqu’il y a intégration des opérations. Ainsi, si le nombre de salariés syndiqués est supérieur au nombre de salariés non syndiqués, l’unité de négociation des salariés syndiqués englobera fort probablement l’ensemble des salariés intégrés à la suite de la fusion des entreprises. 

Cet élargissement de l’unité de négociation existante pourra se faire d’un commun accord entre le nouvel employeur et le syndicat accrédité, par l’entremise d’une requête conjointe à cet effet devant la Commission des relations du travail. 

Si toutefois l’employeur refuse de procéder ainsi, le syndicat pourra déposer une requête en vertu des articles 45 et 46 du Code et démontrer à la Commission que son unité doit viser tous les salariés intégrés à la suite de la fusion des entreprises.   

Si le nombre de salariés syndiqués s’avère inférieur à celui des salariés non syndiqués, la Commission pourrait alors ordonner la tenue d’un vote afin de vérifier la volonté des salariés.  Dans un tel cas, le syndicat risque de perdre son accréditation s’il n’obtient pas la majorité des votes. 

Dans un cas comme dans l’autre, lorsque l’unité de négociation se voit ainsi élargie, il faudra procéder à l’intégration de tous les salariés dans cette unité. La question principale à régler sera celle de l’ancienneté. En principe, l’ancienneté de tous les salariés devra être respectée, sauf si cela s’avère inéquitable. Les salariés intégrés dans l’unité figureront sur une seule et même liste d’ancienneté en fonction de leur date d’embauche ou de tout autre critère jugé plus équitable par la Commission. Dans certains cas, il pourra être jugé plus équitable de procéder à une intégration proportionnelle lorsque l’ancienneté des salariés des deux groupes est très différente. 

Dans tous les cas, la Commission des relations du travail aura compétence en vertu de l’article 46 du Code pour trancher les litiges relatifs à l’intégration des salariés à l’unité de négociation. 

b) Lorsque plus d’une entreprise est syndiquée

Lorsque plus d’une entreprise fusionnée est syndiquée, la taille des unités de négociation pourrait s’avérer déterminante lorsque la coexistence de plus d’une unité s’avère inappropriée. Une entente pourra être conclue entre les parties afin de reconnaître le syndicat qui représente la majorité des salariés. Dans un tel cas, le syndicat minoritaire verra certainement à protéger les droits d’ancienneté de ses membres.

Au cas contraire, l’une ou l’autre des parties pourra s’adresser à la Commission des relations du travail afin de faire trancher la question. Celle-ci pourra alors ordonner la tenue d’un vote.

En pratique, la convention collective conclue par le syndicat reconnu comme majoritaire s’appliquera à tous les salariés de l’unité. Une entente pourrait toutefois être négociée quant à de nouvelles conditions de travail; une telle entente pourra être entérinée par la Commission. S’il y a d’autres litiges, rappelons qu’en vertu de l’article 46 du Code, la Commission dispose de larges pouvoirs afin de trancher toutes les difficultés résultant de l’application de l’article 45 du Code 1.

Conclusion

Dans le cadre d’une fusion d’entreprises, l’intégration des opérations aura des effets potentiels importants sur les relations du travail et les conditions de travail des salariés concernés. L’application d’une convention collective au nouveau groupe de salariés pourrait entraîner en pratique divers conflits ou donner lieu à un conflit intersyndical, le cas échéant. 

L’entreprise fusionnée aura tout intérêt à régler le plus rapidement possible les difficultés résultant de l’application de l’article 45 du Code. Afin d’accélérer le processus, le nouvel employeur pourra tenter de s’entendre à l’amiable avec le ou les syndicats en cause. 

Si une telle entente s’avère impossible, l’employeur aura alors intérêt à procéder dans les meilleurs délais devant la Commission des relations du travail afin de faire trancher le débat. Dans ce cadre, l’employeur et le ou les syndicats en cause pourront tenter de s’entendre sur certaines admissions de faits afin d’accélérer le processus décisionnel.

Me Catherine Pronovost, CRHA est avocate en droit de l'emploi et du travail chez Norton Rose Canada. Elle s'intéresse principalement aux questions touchant la santé et la sécurité du travail et les relations de travail, intervenant en milieu syndiqué ou non syndiqué dans le cadre de litiges, notamment en ce qui concerne la gestion des réclamations pour lésion professionnelle, la gestion des mesures disciplinaires et l'application des normes du travail. On peut la joindre au 514.847.6068 ou au catherine.pronovost@nortonrose.com

1 Ivanhoe inc. c. TUAC, section locale 500, [2001] 2 R.C.S. 565, 2001 CSC 47


Me Catherine Pronovost, CRHA