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Indemnité tenant lieu de préavis lors d’une fin d’emploi…

En matière de congédiement, si les situations litigieuses sont multiples et parfois complexes, le principe est relativement simple. L’employeur peut congédier un employé pour un motif sérieux. En l’absence d’un tel motif, il a l’obligation de lui donner un préavis raisonnable avant de mettre fin à son emploi ou, à défaut, de lui verser une indemnité financière tenant lieu de préavis.

19 juin 2008
Charles Caza, CRIA, et Robert E. Boyd, CRIA

Les tribunaux ont maintes fois reconnu que le congédiement ne constitue pas une faute en soi. Ainsi, l’indemnité de préavis ne vise pas à punir l’employeur, mais plutôt à compenser le salarié pour la période de transition nécessaire pour qu’il trouve un nouvel emploi.

La nature compensatoire de l’indemnité tenant lieu de préavis a amené les tribunaux à reconnaître l’application en droit du travail du principe de la minimisation des dommages. Selon ce principe, une personne ne peut obtenir une compensation pour une perte qu’elle aurait pu éviter en prenant des moyens raisonnables.

En droit du travail, cela se traduit par l’obligation de l’employé congédié sans motif sérieux de limiter son préjudice en prenant tous les moyens raisonnables afin de trouver un nouvel emploi. Cette obligation comporte généralement deux volets, soit l’obligation de faire «&nbps;un effort raisonnable pour se retrouver un emploi dans le même domaine d’activités ou un domaine connexe et, d’autre part, celui de ne pas refuser d’emplois raisonnables dans les circonstances »[1]. À défaut d’assumer pleinement cette obligation, l’employé peut voir son indemnité tenant lieu de préavis réduite en conséquence.

Or, le caractère raisonnable des démarches entreprises par l’employé congédié pour obtenir un nouvel emploi fait souvent l’objet de débats. L’employé a-t-il été trop capricieux dans ses démarches? Aurait-il dû étendre sa recherche d’emploi à une plus grande distance de son domicile ou encore accepter un emploi moins rémunérateur? Récemment, la Cour suprême du Canada apportait un éclairage fort intéressant sur cette question.

Dans Evans c. Teamsters Local Union No. 31[2], la Cour suprême établit que l’obligation de l’employé congédié injustement de limiter son préjudice peut comporter l’obligation d’accepter de retourner travailler temporairement chez son ancien employeur pendant la durée du préavis.

Les faits
M. Evans travaille à titre d’agent d’affaires pour le syndicat Teamsters depuis plus de vingt-trois ans lorsqu’il apprend qu’il est congédié à la suite de l’élection d’un nouveau bureau syndical. Son employeur lui offre alors un préavis de vingt-quatre mois, soit une période travaillée de douze mois suivie d’une indemnité de préavis équivalant à douze mois de salaire. M. Evans juge cette offre inacceptable et des discussions s’amorcent entre les parties. Voyant qu’il n’y aura pas d’entente, environ cinq mois suivant la fin d’emploi, l’employeur demande à M. Evans de retourner au travail jusqu’à la fin de la période de préavis de vingt-quatre mois. M. Evans accepte de retourner au travail à la condition que l’employeur annule sa lettre de congédiement. Devant une fin de non-recevoir, il entame des procédures judiciaires pour congédiement injustifié.

En première instance, la Cour conclut que M. Evans aurait dû recevoir un préavis de vingt-deux mois. Relativement à son obligation de limiter son préjudice, elle affirme que M. Evans craignait de retourner travailler chez son ancien employeur et qu’il était fondé à refuser l’offre qu’on lui faisait.

En appel, la Cour est plutôt d’avis que M. Evans aurait dû accepter de retourner travailler chez son ancien employeur. En refusant l’offre de l’employeur, il n’agissait pas de façon raisonnable et n’assumait pas son obligation de limiter son préjudice. La Cour est d’avis qu’aucun élément objectif ne pouvait justifier son refus de retourner travailler pour la durée du préavis.

La décision
La Cour suprême analyse en profondeur l’obligation de l’employé congédié injustement de limiter son préjudice. Dans un jugement largement majoritaire (6-1), la Cour conclut que M. Evans n’assumait pas son obligation de limiter son préjudice en refusant l’offre de son ancien employeur de retourner travailler pendant la durée du préavis. En disposant de l’affaire Evans, la Cour suprême énonce clairement qu’en certaines circonstances, l’employé congédié doit limiter son préjudice en retournant travailler pour le même employeur.

D’entrée de jeu, la Cour réitère le principe selon lequel l’indemnité de préavis de fin d’emploi vise à compenser l’absence de préavis et non à punir l’employeur. La Cour mentionne :

« Dans l’hypothèse où il n’existe pas d’obstacles à la reprise de l’emploi (…), le fait de demander à un employé de limiter son préjudice en acceptant un travail temporaire auprès de l’employeur qui l’a congédié s’accorde avec l’idée que les dommages-intérêts constituent une indemnité pour l’absence de préavis, et ne visent pas à pénaliser l’employeur pour le congédiement lui-même »[3].

Afin de déterminer si l’offre de retour au travail pendant la durée du préavis constitue une offre raisonnable que l’employé congédié devrait accepter afin de limiter son préjudice, la Cour suprême affirme qu’il faut déterminer s’il existe des obstacles à la reprise de l’emploi. « La question centrale à trancher est de savoir si une personne raisonnable accepterait une telle offre »[4].

La Cour suprême énonce certains paramètres permettant de déterminer s’il existe des obstacles à la reprise de l’emploi. Dans tous les cas, l’analyse doit reposer sur des critères objectifs. Les craintes ou appréhensions d’un employé devant un éventuel retour au travail doivent donc être fondées sur une analyse objective de l’offre de l’employeur et des circonstances entourant la fin d’emploi.

De façon générale, la Cour affirme qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un employé congédié retourne au travail pendant la durée du préavis si le salaire et les conditions de travail sont les mêmes ou sensiblement similaires, si le travail offert n’est pas dégradant et si les relations interpersonnelles ne sont pas acrimonieuses.

D’autres facteurs pouvant raisonnablement influencer la décision d’un employé de retourner au travail doivent aussi être pris en compte, dont notamment, « l’historique et la nature de l’emploi, le fait que l’employé ait ou non intenté une action, et le fait que l’offre de reprise de l’emploi ait été faite pendant que l’employé travaillait encore pour l’employeur ou seulement après son départ »[5]. La Cour apporte peu de précisions sur ces derniers éléments. Toutefois, on peut déduire que les conditions seront plus favorables à un retour au travail s’il n’existe pas de conflits entre les parties au préalable et si l’offre de travail est communiquée avant que les choses ne s’enveniment, en raison par exemple du dépôt d’une poursuite judiciaire. Notons toutefois que le seul fait qu’une poursuite ait été engagée par l’employé n’est pas déterminant à lui seul. En effet, même si M. Evans avait déjà intenté une poursuite contre son ancien employeur, la Cour suprême a conclu qu’il aurait dû raisonnablement accepter l’offre de retour au travail, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

En définitive, la Cour suprême accorde une grande importance à la nature des relations entre l’employé congédié et son ancien employeur. L’employé congédié ne doit pas « être obligé, pour limiter son préjudice, de travailler dans un climat d’hostilité, de gêne ou d’humiliation »[6]. Il faut donc prendre en compte les éléments non tangibles tels que le climat de travail, la stigmatisation et la perte de dignité.

Afin de justifier son refus de retourner au travail, M. Evans invoquait plusieurs motifs au soutien de ses appréhensions. Notamment, il soutenait que l’employeur l’avait « traité comme un chien », que le congédiement était planifié et délibéré, qu’il n’avait pas été traité de la même façon que d’autres employés congédiés et qu’on l’avait ostracisé.

Or, la Cour suprême conclut que les appréhensions de M. Evans n’étaient pas supportées par la preuve. Selon la Cour, la preuve révélait plutôt que M. Evans était disposé à retourner au travail, une telle possibilité ayant même été discutée par les parties lors de son départ. La Cour suprême est d’avis qu’une personne raisonnable aurait, afin de limiter son préjudice, accepté l’offre de l’employeur de travailler pendant le reste de la durée du préavis, et ce, aux mêmes conditions de travail.

Les effets pratiques
En raison de l’inévitable dommage que causera à la relation employeur-employé l’imposition de la « peine capitale » en droit du travail, il n’est pas évident de déterminer les circonstances où un employé congédié injustement devrait être tenu d’accepter l’offre de retour au travail afin de minimiser son préjudice. À cet effet, la Cour suprême apporte un cadre d’analyse intéressant, notamment en précisant certains éléments pouvant constituer des obstacles au retour en emploi. La Cour suprême prend cependant soin de préciser que chaque situation doit être analysée au cas par cas, toujours en se demandant si les circonstances font en sorte que l’employé travaillerait « dans un climat d’hostilité, de gêne ou d’humiliation ».

À notre avis, la décision de la Cour suprême s’accorde parfaitement avec la volonté du législateur d’accorder à l’employeur une discrétion lui permettant de mettre fin au lien d’emploi au terme d’un préavis raisonnable ou encore en mettant fin immédiatement au lien d’emploi en compensant financièrement l’employé.

En pratique, nous constatons que les employeurs préféreront souvent mettre un terme immédiat au lien d’emploi en versant une indemnité tenant lieu de préavis. Cela est particulièrement le cas dans les secteurs hautement concurrentiels où les employeurs doivent pouvoir compter sur une loyauté sans faille de leurs employés et peuvent difficilement concevoir qu’un employé puisse se consacrer à son travail avec autant de loyauté, sachant qu’il est congédié.

L’évaluation du caractère raisonnable du préavis ou de l’indemnité tenant lieu de préavis ne constitue certes pas une science exacte. Par ailleurs, il est clair que les employeurs continueront à être occasionnellement confrontés à des réclamations d’employés congédiés insatisfaits du préavis ou de l’indemnité accordée. Afin d’éviter des procédures judiciaires, les parties entameront généralement des discussions afin de négocier un préavis mutuellement acceptable. À cet égard, nous sommes d’avis que l’arrêt Evans renforce quelque peu le pouvoir de négociation de l’employeur qui, devant la réclamation d’une indemnité lui semblant abusive, pourra faire valoir à l’employé la possibilité que son offre d’une compensation financière se transforme en une offre de retour au travail, ce à quoi l’employé sera souvent défavorable. Dans tous les cas, l’employeur devra agir de bonne foi et, s’il décide d’offrir à l’employé congédié de revenir travailler pour la durée du préavis, il lui incombera de démontrer le caractère raisonnable d’une telle offre.

Pour finir, nous croyons que, pendant la durée du préavis où l’employé accepte de retourner au travail, l’employeur doit faire preuve d’une certaine flexibilité en lui permettant occasionnellement de s’absenter afin qu’il puisse chercher un nouvel emploi. Ainsi, on s’assurera du respect de la véritable finalité du préavis qui, croyons-nous, est celle de permettre à l’employé de trouver un nouvel emploi.

Me Charles Caza, avocat associé, CRIA, et Me Robert E. Boyd, avocat, CRIA, au sein de l’équipe de droit du travail et de l’emploi du cabinet Dunton Rainville
(www.duntonrainville.com)

Source : VigieRT, numéro 29, juin 2008.


1 J-L. Baudouin, P. Deslauriers, La responsabilité civile, 7 éd., Éditions Yvon Blais, page 1080.
2 Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20 (jugement rendu le 1er mai 2008).
3 Ibid., paragraphe 28.
4 Ibid., paragraphe 30.
5 Ibid., paragraphe 30.
6 Ibid., paragraphe 30.

Charles Caza, CRIA, et Robert E. Boyd, CRIA