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Vieillissement de la main-d’œuvre et droits fondamentaux : les interactions et la nécessité d’une entente

Personne ne peut ignorer la réalité du vieillissement de la population et par conséquent de la main-d’œuvre. La planification des retraites et de la relève peut toutefois se révéler ardue.

31 mai 2006
Véronique Morin, CRHA

Le Tribunal des droits de la personne du Québec fut ainsi saisi d’un litige concernant la validité d’une politique de retraite obligatoire des actionnaires d’une entreprise et, plus particulièrement, les circonstances ayant mené à l’adoption de cette politique.

Le 21 décembre 2005, le Tribunal a conclu suivant la preuve soumise que les coactionnaires du plaignant avaient modifié les ententes existantes et ainsi imposé au plaignant de prendre sa retraite (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Industries acadiennes inc., D.T.E. 2006T-99).

Ce jugement du Tribunal, qui sera toutefois soumis à la Cour d’appel, rappelle qu’une planification est essentielle et qu’elle doit aussi être documentée de façon ponctuelle, bien que ces situations paraissent souvent délicates.

Le pourvoi devant la Cour d’appel porte notamment sur les dommages accordés (D.T.E. 2006T-253), question que nous n’aborderons pas dans ce bulletin. Nous examinerons plutôt le contexte du litige et l’importance de la preuve colligée et présentée quant au consentement de l’employé envisageant une retraite.

Le contexte
En 1993, le plaignant et trois de ses collègues de travail deviennent administrateurs et actionnaires de l’entreprise dont ils sont alors employés. Cette entreprise, qui a à son emploi près de quarante-cinq personnes, se spécialise dans l’usinage, l’assemblage et la fabrication mécanique.

À la suite du départ impromptu d’un actionnaire d’une société de portefeuille dans laquelle le plaignant et ses coactionnaires détiennent des parts, des discussions s’amorcent sur les modalités de retrait d’un actionnaire afin d’éviter des répercussions négatives sur les finances de l’entreprise.

Suivant la preuve, le plaignant et ses coactionnaires prenaient les décisions requises au jour le jour quant à la gestion courante de l’entreprise, lors d’un dîner pris en commun. Les décisions étaient toujours verbales et prises à l’unanimité, car le dissident se ralliait aux autres.

Cependant, les versions des faits, en ce qui a trait aux modalités de retrait d’un actionnaire qui auraient été convenues, diffèrent d’un coactionnaire à l’autre.

Le plaignant affirme que l’entente verbale intervenue en 1997 permettait à un actionnaire de se retirer par l’envoi d’un préavis écrit de deux ans aux autres actionnaires, de manière à ce que l’entreprise puisse mettre de côté les liquidités requises pour le rachat des actions à l’expiration de ce délai. Cette période de deux ans rendait également possible la préparation de la relève.

Les autres coactionnaires reconnaissent que, suivant cette entente verbale, un préavis écrit de deux ans doit être donné. Ils précisent toutefois que l’entente prévoit que le plaignant et deux des coactionnaires se retirent respectivement en 2001, 2003 et 2005.

Le plaignant demeure employé et actionnaire de l’entreprise au-delà de l’année 2001 : il explique qu’on lui aurait demandé de prendre sa retraite en 2001, mais qu’il a refusé parce qu’il voulait former son fils qui travaille dans l’entreprise et qu’il souhaitait travailler encore quelques années. La consultation du comptable de l’entreprise l’a conforté dans sa décision de ne pas se retirer immédiatement.

En avril 2002, la même demande est faite au plaignant qui refuse de nouveau.

Une assemblée des actionnaires est convoquée et une politique de retraite obligatoire est adoptée par résolution, de sorte que le plaignant est appelé à se retirer en juillet 2002.

Le jugement fait état du témoignage du plaignant quant à des offres formulées sur des modalités de rachat de ses actions : le plaignant dit ne pas avoir refusé, mais avoir avisé ses coactionnaires qu’il désirait continuer de travailler.

En septembre 2002, une plainte est déposée à la Commission des droits de la personne qui formulera des mesures de redressement en 2004 et entreprendra des procédures devant le Tribunal en 2005.

Le jugement
Les conclusions du Tribunal reposent essentiellement sur l’appréciation des témoignages du plaignant et des coactionnaires ainsi que du comptable et du conseiller juridique de l’entreprise.

Par cette analyse, le Tribunal retient la version des faits du plaignant quant au contenu de l’entente verbale de 1997 concernant les modalités de retrait d’un actionnaire. Aucun des documents soumis en preuve ne fait état de ces modalités de retrait avant l’assemblée des actionnaires d’avril 2002.

Le Tribunal fait état de la volonté internationale de protéger le droit à la non-discrimination en emploi sur la base de l’âge suivant différents pactes et conventions.

Les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., chapitre C-12) trouvent toutefois application à la lumière du litige décrit :

« 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

« Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »

« 13. Nul ne peut, dans un acte juridique, stipuler une clause comportant discrimination.

« Une telle clause est sans effet. »

« 16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi. » (nos soulignements)

La Loi sur les normes du travail (L.R.Q., chapitre N-1.1) établit également le droit du plaignant de demeurer au travail :

« 84.1 Un salarié a le droit de demeurer au travail malgré le fait qu’il ait atteint ou dépassé l’âge ou le nombre d’années de services à compter duquel il serait mis à la retraite suivant une disposition législative générale ou spéciale qui lui est applicable, suivant le régime de retraite auquel il participe, suivant la convention, la sentence arbitrale qui en tient lieu ou le décret qui le régit, ou suivant la pratique en usage chez un employeur. »

À la lumière de ces dispositions, un employeur ne peut exclure un employé sur la base de son âge, et ce, même si l’âge ne constitue qu’un des motifs de la décision de cet employeur.

Le Tribunal souligne l’existence de certaines exceptions législatives pour des postes à hauts risques (policiers et pompiers).

Il rappelle également que la discrimination sur la base de l’âge suppose qu’une décision soit prise à l’égard d’une personne sur la base d’idées préconçues sur ses caractéristiques personnelles sans que la capacité de faire le travail ne soit affectée.

Suivant l’article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne, un employeur pourrait suivant les circonstances, invoquer qu’une décision prise en tout ou en partie sur la base de l’âge d’une personne se fonde sur les aptitudes ou qualités requises pour l’emploi. Ce moyen ne défense n’a pas été invoqué devant le Tribunal dans cette affaire.

Considérations
La lecture du jugement révèle que l’appréciation des témoignages est déterminante pour le Tribunal, ce dernier n’ayant apparemment reçu en preuve aucun document contemporain à l’entente verbale de 1997 quant aux modalités de retrait d’un actionnaire.

Un employeur prudent confirme par écrit toute entente avec l’un de ses employés quant aux modalités de son départ, que cette démission survienne ou non parce que cet employé désire prendre sa retraite. Cette confirmation écrite peut se manifester de différentes façons : entente, courriels, correspondance, etc. Chacun de ces éléments sera pris en considération pour déterminer si une personne accepte de quitter son emploi ainsi que les modalités déterminantes de ce départ.

Les règles du consentement libre et éclairé demeurent donc les mêmes. Sur cette question, la Cour d’appel avait d’ailleurs rejeté en 1998 le recours de la Commission des droits de la personne alléguant qu’un employé avait été licencié à cause de son âge et, notamment, parce qu’il avait opté pour un régime de retraite plus généreux que l’indemnité de licenciement également offerte par l’employeur (Compagnie minière Québec Cartier c. Commission des droits de la personne du Québec, REJB 1998-09715).

Il sera intéressant de connaître comment la Cour d’appel analysera les faits de ce litige plus récent ainsi que les principes appliqués par le Tribunal quant aux dommages réclamés notamment.

Dans l’intervalle, un employeur peut trouver avantage à communiquer et à confirmer par écrit chaque étape de sa planification des retraites et de la relève.

Véronique Morin, CRHA, avocate du cabinet Lavery, de Billy, s.e.n.c.r.l.

Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy [www.lavery.qc.ca]

Source : VigieRT, numéro 8, mai 2006.


Véronique Morin, CRHA