Mais depuis un peu plus de trois mois, les choses ne sont plus les mêmes à l'usine pour Jorge. En effet, le directeur, monsieur Paul, a dû nommer un nouveau chef d'équipe pour remplacer celui qui était en poste et qui a récemment quitté l'entreprise. Prénommé Mathieu, le candidat retenu est au service d’ABC Imprimerie Inc. depuis l'âge de dix-sept ans. Il travaille depuis maintenant près de dix ans dans cet établissement et il est considéré par monsieur Lemayre, l'actionnaire majoritaire de la compagnie, comme représentant la relève dynamique et travaillante nécessaire à la prospérité et au développement de son entreprise.
Dès son entrée en fonction, Mathieu a remis en question tous les processus et politiques déjà en place. Il a dès lors pris le contrôle des lieux, imposé sa vision des choses et fermé la porte à toutes initiatives n'émanant pas de lui. Et c'est à compter de ce moment que le vent a tourné pour Jorge.
Ce dernier, qui a la plus longue feuille de route chez ABC Imprimerie Inc., a éprouvé quelques difficultés à changer ses vieilles habitudes et à s'adapter au nouveau modèle de travail proposé par le nouveau chef d'équipe. Devant cette situation, Mathieu croit que Jorge conteste son autorité; il a donc décidé de prendre les moyens nécessaires pour asseoir le pouvoir que lui confèrent désormais ses nouvelles fonctions. Il a d'abord modifié les tâches de Jorge. Par exemple, il lui demande souvent d'aller balayer, de chercher du papier ou d’assister des collègues plutôt que manœuvrer sa machine. Il l'oblige à faire des heures supplémentaires même quand il est possible à l'employeur de procéder autrement et sachant pertinemment que Jorge doit s'occuper de ses enfants en l'absence de sa conjointe. À plusieurs reprises, Mathieu a ridiculisé Jorge devant ses collègues. Il a dit qu'il fallait être vraiment lent ou imbécile pour ne pas comprendre les nouvelles méthodes de travail. Finalement, il s'applique souvent à tourner en dérision les pratiques religieuses de Jorge et ses traits physiques particuliers.
Devant cette situation devenue insoutenable, Jorge a demandé de rencontrer tant monsieur Paul que monsieur Lemayre, et ce, en présence ou non de Mathieu. Personne n’a donné suite aux appels de l’employé et la seule intervention a été celle de monsieur Paul qui a dit à Jorge : « Arrange-toi avec Mathieu, vous n’êtes quand même pas des bébés, pis vous devriez être capables, à l'âge que vous avez, de résoudre vos problèmes vous-même ».
Pourquoi choisir la médiation lorsqu'une plainte est déposée à la Commission des normes du travail
Les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail en matière de harcèlement psychologique ont été édictées alors que tous les acteurs impliqués ou travaillant dans les différents secteurs d'activité au Québec étaient de plus en plus sensibles au phénomène de la violence psychologique au travail. La nécessité de procéder en amont et d'encadrer les protections offertes aux salariés, qui étaient jusqu'alors morcelées, diffuses et imprécises, était alors clairement démontrée. Pour ce faire, il devenait important de définir d'abord la notion de harcèlement psychologique et d'établir des normes à la fois préventives et curatives. Finalement, l'employeur étant le gestionnaire de premier plan relativement à l'organisation du travail dans son entreprise et aussi le premier responsable des conditions de travail de ses employés ainsi que du climat de travail dans son établissement, il allait de soi que les nouvelles dispositions devaient s'adresser à lui.
Une fois le cadre établi, les normes édictées ayant d'abord et avant tout une fonction préventive, la Commission des normes du travail a mis à la disposition tant des employeurs que des salariés des moyens pour faciliter la communication entre les gens impliqués dans un conflit s'apparentant à du harcèlement psychologique. En effet, en conformité avec sa mission générale, la Commission offre gratuitement à tous ceux qui désirent régler leur litige de façon satisfaisante un service de médiation rendu par un personnel professionnel et compétent.
Reprenons maintenant le cas de Jorge et d’ABC Imprimerie Inc. pour répondre à deux questions importantes qui se posent dans le contexte actuel :
- Pourquoi Jorge a-t-il déposé une plainte à la Commission des normes du travail?
- Pourquoi Jorge et son employeur devraient-ils opter pour la médiation offerte par la Commission des normes du travail?
Pourquoi Jorge a-t-il déposé une plainte à la Commission des normes du travail?
Comme nous l’avons mentionné, Jorge a tenté à plusieurs reprises de discuter avec ses supérieurs de la situation conflictuelle qui perdurait entre lui et son nouveau chef d'équipe, Mathieu. Mais devant le mutisme de son employeur, quel choix restait-il à Jorge?
Celui-ci désirait continuer à travailler chez ABC Imprimerie Inc. d’abord parce qu’il aime son travail et a acquis l'expérience et les connaissances nécessaires pour bien effectuer ses tâches. Ensuite, il a toujours été, jusqu'à l'arrivée de Mathieu, valorisé et considéré par ses supérieurs. Par conséquent, Jorge a choisi d'utiliser les moyens mis à sa disposition pour résoudre le problème auquel il faisait face depuis quelques mois et qui avait un effet néfaste tant sur lui et sur sa famille que sur son travail.
Évidemment, Jorge est venu déposer une plainte à la Commission des normes non pas pour porter un coup bas à son employeur, mais bien pour tirer la sonnette d'alarme et dans l'espoir d'obtenir l'écoute et l'implication de son employeur auxquelles il est en droit de s'attendre dans de telles circonstances.
Pourquoi Jorge et son employeur devraient-ils opter pour la médiation offerte par la Commission des normes du travail?
La médiation, de façon générale, présente plusieurs avantages : cet exercice est encadré par un médiateur, soit un tiers impartial qui travaille conjointement avec les parties. Ce dernier peut aussi aider les antagonistes à dénouer équitablement leur différend, en proposant, par exemple, des solutions objectives.
Le processus de la médiation est flexible, peu coûteux, plus rapide que le processus judiciaire; il vise à trouver des issues qui répondent aux besoins des gens et qui sont le reflet des désirs de chacun. Au surplus, c’est un outil de choix en matière relationnelle, puisqu'il permet aux gens d'exprimer leurs émotions pour ainsi maintenir des rapports constructifs et souvent essentiels. Ce processus permet aussi d'éviter, par le fait qu'il est confidentiel, les impacts néfastes que pourrait avoir un jugement public sur les relations commerciales des entreprises ou encore sur l'image ou la réputation des personnes impliquées.
Ultimement, la médiation permet de trouver des solutions créatives et innovatrices qui répondent réellement aux besoins et aux attentes des personnes au cœur du conflit. En effet, qui sont mieux placées pour trouver des solutions originales, réalistes et adaptées à une situation que les personnes qui vivent le différend et qui connaissent le milieu dans lequel elles évoluent?
De façon plus spécifique, voici ce que les Tribunaux ont la possibilité d'imposer comme solution :
- ordonner à l’employeur de réintégrer le salarié;
- ordonner à l’employeur de payer au salarié une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au salaire perdu;
- ordonner à l’employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;
- ordonner à l’employeur de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;
- ordonner à l’employeur de verser au salarié une indemnité pour perte d’emploi;
- ordonner à l’employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu’ils déterminent;
- ordonner la modification du dossier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique.
On constate que la plupart des remèdes ont un caractère pécuniaire. Il est vrai que ce type de compensation vise la réparation du préjudice subi par la personne victime de harcèlement psychologique. Toutefois, outre la valeur du dédommagement, comment le versement d'une somme d’argent peut-il permettre à Jorge de retrouver la quiétude dans son milieu de travail?
Une ordonnance d'un tribunal impose une obligation à l'employeur qui doit certes la respecter. Mais est-ce véritablement la solution pouvant améliorer le climat de travail lorsque le salarié lésé est toujours à l'emploi de l’organisation?
Dans ces circonstances, il serait peut-être plus constructif pour les parties de convenir des actions à prendre pour corriger la situation et rétablir l'harmonie dans leur milieu de travail.
Finalement, la médiation n'a comme limite que l'imagination des gens. Par exemple, rien n'empêcherait que le présumé harceleur soit impliqué dans un processus de médiation, car il est fort possible que ce dernier soit essentiel à la résolution de la situation problématique.
À quoi peut ressembler une entreprise où l'on ne prend pas en charge une situation conflictuelle?
De façon générale, un différend qui n'est pas pris en charge et qu'on laisse perdurer conduit inexorablement à une problématique qui peut affecter le bon fonctionnement d'une entreprise. En effet, les gens affectés par une situation conflictuelle présentent souvent un taux d'absentéisme plus élevé et ils sont aussi généralement moins motivés, ce qui affecte tant leur productivité que leur relation avec leurs collègues ou la clientèle de l'entreprise.
Pour illustrer ces propos, nous extrapolerons les événements qui auraient pu survenir si Jorge n'avait pas déposé une plainte à la Commission des normes du travail afin d'obtenir les services d'un médiateur. Tout d'abord, il est facile d'imaginer que les comportements de Mathieu à l'égard de Jorge auraient pu avoir un impact grave sur l'environnement de travail de tous. En effet, Mathieu aurait pu contaminer les collègues de Jorge qui se seraient alors mis à imiter ses comportements répréhensibles et blessants. Le climat de travail serait alors certainement devenu tendu, malsain, désagréable et même probablement invivable.
De plus, il est permis de croire que les agissements de Mathieu n'étaient que la pointe de l'iceberg. Si la situation avait continué à se dégrader, elle serait probablement arrivée à un point où l'employeur n'aurait eu d'autre choix que d'intervenir et de sévir contre Mathieu. Et là se serait posée la problématique suivante : comment punir adéquatement d'un côté et protéger de l'autre?
Bref, il est important de se rappeler, lorsqu'on parle de harcèlement psychologique, qu’il est question, d'abord et avant tout, de relations humaines. Souvenez-vous que les salariés qui déposent une plainte le font généralement dans le but d'être entendus par leurs employeurs et c'est justement pour répondre à cet objectif que nous vous offrons la possibilité d'aller en médiation, pour ainsi trouver la meilleure solution.
Annes Des Roches, avocate du cabinet POIRIER, RIVEST, FRADETTE œuvrant pour la Direction des affaires juridiques de la Commission des normes du travail
Source : VigieRT, numéro 31, octobre 2008.
