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Cure de jeunesse des syndicats québécois : évolution tranquille

La génération Y taille sa place dans les syndicats de la province. Les jeunes de 16 à 35 ans sont moins syndiqués que les générations plus âgées, mais ils imposent tout de même graduellement les valeurs de leur temps. Leurs principales priorités au travail sont la conciliation travail/famille et la lutte contre les clauses discriminatoires en fonction du statut d’emploi. Portrait d’une évolution tranquille.

29 janvier 2009
Marie-Ève Maheux

Dominic Lemieux, 31 ans, est à la tête du Comité des jeunes de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). Depuis qu’il est en poste, il constate un rajeunissement de l’effectif syndical. « On le voit dans les assemblées. Les visages changent, et c’est loin d’être une mauvaise chose », lance-t-il.

Cette impression se confirme, chiffres à l’appui. Entre 1997 et 2005, le taux de syndicalisation des 15 à 29 ans a augmenté de quatre points, pour s’établir à tout près de 30 %, selon Statistique Canada. Il se rapproche ainsi de la moyenne québécoise, qui se maintient autour de 40 %, un record au pays.

Dorénavant plus présente, la génération Y fait donc mieux valoir ses priorités. La conciliation travail/vie personnelle est en tête de liste. Selon un récent sondage Segma pour le compte du groupe Gesca, les Québécois de 18 à 30 ans rêvent d’une vie familiale (92,5 %) et d’un foyer chaleureux et ils ne sont pas prêts à les sacrifier au prix d’innombrables heures de travail.

La famille d’abord
Dominic Lemieux, lui-même père de deux enfants, est d’accord. « Quand les jeunes cherchent un emploi, ils s’intéressent davantage aux conditions de travail et de vie qu’aux conditions salariales, constate-t-il. Ils veulent plus de liberté, plus de flexibilité. »Selon lui, le milieu syndical est de plus en plus ouvert à cette réalité. Certains syndicats négocient des congés familiaux ou des congés sociaux. « Nos membres nous le demandent. Ça se voit de plus en plus dans les nouvelles conventions collectives », dit Dominic Lemieux, qui œuvre également en tant que représentant du syndicat des Métallos.

Même son de cloche du côté de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), d’après un sondage maison réalisé en 2007, la conciliation travail/famille est la priorité numéro un des 18 à 30 ans. En ce sens, lors de son congrès en mai, la CSN a soulevé l’idée de réviser le principe d’ancienneté comme mécanisme d’attribution des vacances et des congés, et ce, dans le but de permettre aux jeunes travailleurs de passer du temps en famille.

« Les syndicats doivent faire ces débats avec leurs membres, dit la secrétaire générale de la CSN et responsable du comité national des jeunes, Lise Poulin. Ce n’est pas normal que les jeunes ne puissent pas prendre de vacances avec leurs enfants durant l’été. »

À petits pas
Selon madame Poulin, des réponses concrètes se développent tranquillement et à petite échelle. Elle cite, sans donner plus de détails, le cas d’une entreprise qui permet à un jeune travailleur par année de choisir ses vacances avant tout le monde, sans égard à l’ancienneté. « C’est un début », dit-elle.

Toujours lors de leur congrès, les membres de la CSN se sont engagés à négocier au moins une mesure concrète pour améliorer la vie familiale, d’ici trois ans. On pense, entre autres, à la semaine de travail compressée (quatre jours en cinq) ou à des horaires flexibles, déjà offerts dans certaines entreprises.

Dans le secteur de l’alimentation, au sein duquel on retrouve un grand nombre de jeunes travailleurs, la priorité est aussi l’équilibre entre le travail et la vie personnelle et entre le travail et les études. Selon le président du local 500 des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, Antonio Filato, les employés réclament une rotation des samedis et dimanches. « Les travailleurs partent parce qu’ils ne veulent pas passer toutes leurs fins de semaine au travail et sacrifier leur vie familiale, observe-t-il. C’est un gros problème pour nous. »

Travail précaire
Outre leur réalité familiale, les membres de la génération Y sont aussi plus susceptibles d’occuper un emploi atypique, c’est-à-dire occasionnel, temporaire, à temps partiel, offert par une agence de placement, etc. La moitié des travailleurs de moins de 30 ans n’ont pas un emploi permanent, selon Statistique Canada.

Les jeunes sont ainsi plus nombreux à subir des disparités de traitement selon leur statut d’emploi. Cette question intéresse Jean Bernier, professeur au Département des relations industrielles de l’Université Laval et coauteur d’un important rapport sur les besoins de protection sociale des travailleurs atypiques, paru en 2003.

Après avoir analysé plus d’une centaine de conventions collectives, il a constaté de nombreuses différences de traitement entre les travailleurs réguliers et les autres. « Dans plusieurs cas, ils ne peuvent pas accumuler d’ancienneté, alors que c’est essentiel s’ils veulent postuler à un poste permanent. Certains n’ont pas droit à des congés payés, n’ont pas accès au régime de retraite ni au régime d’assurances. Cette situation est déplorable, mais tout à fait légale, ajoute-t-il. Il n’y a absolument rien dans les lois du travail ou dans les conventions collectives qui oblige les employeurs à donner aux travailleurs atypiques les mêmes conditions de travail qu’aux permanents. »

Selon Lise Poulin de la CSN, un autre problème qui préoccupe grandement les jeunes est le recours aux agences de placement. Les syndicats constatent que cette pratique est de plus en plus répandue. « C’est de la main-d’œuvre bon marché pour les entreprises, observe-t-elle. Les travailleurs de ces agences sont souvent dans une situation plus précaire et inéquitable par rapport aux travailleurs réguliers. » Elle ajoute qu’ils ont souvent un salaire plus bas et presque aucun avantage social.

Sur la bonne voie
Les syndicats tentent de mieux encadrer le travail atypique. Certains ont réussi à négocier des clauses qui limitent le recours aux agences de personnel par les entreprises. Cela s’est fait notamment dans le cadre des ententes conclues dans le secteur de l’hôtellerie, cet été.

D’autres ont pu éliminer les disparités de traitement selon le statut d’emploi des conventions collectives. Par exemple, le syndicat des cols blancs de Montréal a récemment obtenu la parité entre les travailleurs permanents et occasionnels de la Ville, ces derniers comptant pour 40 % des membres. En échange, les cols blancs ont consenti à ne recevoir aucune augmentation de salaire en 2007.

« Toutefois, les syndicats ne peuvent pas tout régler », croit Jean Bernier. Surtout que la question peut créer des flammèches entre les différentes générations. « Les salariés permanents ne sont pas nécessairement prêts à diminuer leurs conditions de travail pour permettre aux plus jeunes d’améliorer les leurs », observe-t-il. De plus, les employeurs ne sont pas très enthousiastes à l’idée de régler la situation, puisque le coût est élevé.

Selon Jean Bernier, le gouvernement devrait réformer ses normes du travail pour interdire la disparité de traitement selon le statut d’emploi, comme il a interdit les clauses discriminatoires basées sur la date d’embauche, en 1999. Le Québec traîne la patte, selon lui, car de telles législations sont déjà en vigueur en Europe.

Vent nouveau?
Quant à lui, Dominic Lemieux de la FTQ croit que les jeunes doivent prendre leur place. « Si les jeunes veulent que leurs idées soient entendues et prises en compte, ils doivent s’impliquer dans leur syndicat », dit-il.

Toutefois, il semble qu’il reste du travail à faire. Le courant passe encore mal entre les jeunes et les syndicats si l’on en croit un sondage CROP-CRHA réalisé auprès de 1001 répondants en octobre dernier. Alors que près de 66 % des Québécois soutiennent que les syndicats sont importants pour la société, seulement 41 % des jeunes de 18 à 34 ans font le même constat.

Marie-Ève Maheu, journaliste indépendante

Source : VigieRT, numéro 34, janvier 2009.


Marie-Ève Maheux