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La Cour suprême du Canada confirme la compétence de l'arbitre à déterminer si un grief fondé sur l'article 124 de la LNT est recevable

Le 29 juillet 2010, la Cour suprême du Canada a rendu trois jugements par lesquels cinq des neuf juges se sont prononcés en faveur de la compétence de l'arbitre de grief à déterminer si un salarié à statut précaire, sans droit de grief suivant la convention collective, peut déposer un grief en se fondant sur l'article 124 de la Loi sur les normes du travail (LNT).

2 novembre 2010
Véronique Morin, CRIA

En juin 2008, la Cour d'appel, alors saisie du même litige, avait conclu à la compétence exclusive de la Commission des relations du travail à l'égard d'un tel grief.

1) Syndicat de la fonction publique du Québec c. P.G. du Québec - Jugement de principe
Dans cette affaire, les plaignants ont déposé un grief à la suite de leur congédiement. Ces griefs sont fondés sur l'article 124 LNT, parce que la convention collective leur interdit le dépôt de tout grief en cas de fin d'emploi et qu'ils se justifient de deux ans de service continu, ce qui satisfait à l'une des conditions d'application de cet article. Les pourvois seront accueillis par la Cour suprême et celle-ci confirme la compétence de l'arbitre à se saisir des griefs déposés par les plaignants.

Le jugement de la majorité
Les motifs de la majorité sont rédigés par le juge Louis LeBel, anciennement de la Cour d'appel du Québec, dont l'expertise en droit du travail est reconnue.

Suivant le jugement majoritaire, les pourvois soulèvent la question des effets de la LNT, loi d'ordre public, sur le contenu des conventions collectives. Le raisonnement adopté exclut toutefois explicitement toute application de la théorie de l'intégration implicite.

Cette théorie était invoquée par les procureurs syndicaux et veut que l'article 124 LNT soit implicitement incorporé à toute convention collective, de manière à ce que l'arbitre soit compétent sur les griefs déposés par des salariés, même si ceux-ci n’ont aucun droit de recours selon la convention collective, et à lui permettre d’examiner la contestation d’un congédiement imposé sans cause après deux ans de service continu.

La théorie de l'intégration implicite est rejetée en raison de la structure même de la LNT. En effet, certaines dispositions prévoient explicitement faire partie intégrante de toute convention collective, et cette technique de rédaction adoptée par le législateur démontre donc son intention de ne pas intégrer, même implicitement, tout autre article qui n’en fait aucune mention, dont l’article 124 LNT, à une convention collective.

Il découle plutôt du caractère d'ordre public de certaines dispositions de la LNT que celles-ci doivent être interprétées et appliquées par l'arbitre de griefs, le cas échéant.

En l’espèce, l'article 124 LNT interdit tout congédiement sans cause juste et suffisante d'un salarié se justifiant de deux ans de service continu; si une disposition de la convention collective contredit cette norme d'ordre public, elle est nulle de nullité absolue et est réputée non écrite.

Pour les juges majoritaires, « les stipulations d'une convention individuelle ou collective qui empêchent un salarié se justifiant de deux ans de service continu de contester un congédiement décidé par un employeur sans cause juste et suffisante » sont privées de tout effet en raison du texte même de l'article 124 LNT.

Afin de déterminer si les griefs déposés sont recevables, l'arbitre doit alors examiner l'ensemble de la convention collective en faisant abstraction des clauses s'avérant nulles et non écrites, parce que contraires à l'article 124 LNT. Si la convention ainsi modifiée permet un droit de recours équivalant à celui offert par l'article 124 LNT, l'arbitre peut se saisir du grief. Dans le cas contraire, le recours relève de la compétence de la Commission des relations du travail.

En raison de la capacité de l'arbitre de réviser une décision de congédiement prise par l'employeur et d'ordonner des réparations appropriées (annulation du congédiement, réintégration, indemnités), les juges majoritaires concluent que l'arbitre est compétent pour entendre les griefs déposés.

Les juges dissidents
Les motifs des juges dissidents sont rédigés par la juge Marie Deschamps.

Pour les quatre juges dissidents, il est également acquis que l'article 124 LNT est d'ordre public et interdit ainsi à tout employeur de congédier sans cause juste et suffisante un employé ayant plus de deux ans de service continu. Cependant, le litige porte sur l'identité du tribunal devant lequel l'employé doit exercer son recours : l'arbitre ou la Commission des relations du travail.

Comme prémisse, les juges dissidents énoncent que l'exclusivité de la compétence de l'arbitre n'est pas présumée. Il faut ainsi déterminer « dans chaque cas si la loi pertinente, appliquée au litige considéré dans son contexte factuel, établit que la compétence de l'arbitre en droit du travail est exclusive. »

Or, aucune des modifications apportées à la LNT ne contredit l'interprétation jurisprudentielle voulant que l'arbitre n'ait pas une compétence exclusive à l'égard de tout recours intenté suivant l'article 124 LNT.

L'analyse de certaines dispositions de la LNT et d'autres législations portant sur les relations du travail s'oppose manifestement à l'application de la théorie de l'intégration implicite, point sur lequel les juges dissidents rejoignent la majorité.

Cette même analyse législative amène toutefois les juges dissidents à conclure différemment de la majorité quant à la compétence de l'arbitre à l'égard des griefs déposés par les plaignants. Selon eux, les clauses de la convention collective empêchant le dépôt des griefs ne sont pas contraires à l'ordre public, car les plaignants conservent leurs recours devant la Commission des relations du travail.

Bien que cet arrêt contienne une dissidence élaborée et articulée, les motifs de la majorité donnent le ton à suivre.

Ainsi, et malgré les dispositions d'une convention collective empêchant le dépôt d'un grief en cas de fin d'emploi, un salarié se justifiant de deux années de service continu pourrait se fonder sur l'article 124 LNT pour saisir un arbitre de son recours.

Afin de déterminer si le grief déposé est recevable, cet arbitre doit examiner l'ensemble de la convention collective en y soustrayant les clauses interdisant le dépôt d'un grief et, ensuite, selon la convention ainsi modifiée, il doit déterminer si celle-ci prévoit un recours équivalant à celui offert par l'article 124 LNT. Si tel est le cas, l'arbitre peut se saisir du grief.

La Cour est néanmoins unanime dans le rejet de la théorie de l'intégration implicite, ce qui évitera certaines difficultés telles que celle de déterminer si une norme d'ordre public est ou non compatible avec le régime collectif de relations du travail.

2) Les décisions Syndicat des professeurs du Cégep de Ste-Foy c. P.G. du Québec et Syndicat des professeurs et professeures de l'Université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières - Des cas d’application

Le 29 juillet 2010, la Cour a rendu deux autres jugements posant une question similaire et fondée aussi sur l'article 124 LNT, mais dans des contextes factuels et conventionnels différents. Dans ces jugements, les juges se regroupent de façon identique et font référence aux motifs qu'ils ont respectivement retenus dans l'arrêt Syndicat de la fonction publique du Québec c. P.G. du Québec.

Les conclusions de ces deux autres jugements ne sont toutefois pas un duplicata de celles de l'arrêt Syndicat de la fonction publique du Québec et présentent un intérêt certain.

Dans Syndicat des professeurs du Cégep de Ste-Foy c. P.G. du Québec, la Cour devait déterminer si certaines catégories d'enseignants pouvaient déposer un grief à l'encontre du non-octroi de la priorité d'emploi alors que la convention collective excluait la possibilité d’un tel grief.

Les juges majoritaires rejettent le pourvoi du syndicat en réitérant les motifs prononcés dans l'arrêt Syndicat de la fonction publique du Québec, mais en précisant que la disposition excluant le recours au grief n'est pas contraire à une disposition d’ordre public parce qu'elle traite d'un type particulier de cessation du lien d'emploi.

Pour les juges dissidents, il n'est pas opportun de se prononcer quant à la portée de cette clause de la convention, puisque les parties ont concentré leurs argumentations sur la question de la théorie de l'intégration implicite de la LNT à toute convention collective, laquelle est unanimement rejetée.

Dans l’affaire Syndicat des professeurs et professeures de l'Université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières, le litige découlait d'un grief déposé à l'encontre du non-renouvellement du contrat d'une professeure.

Les juges majoritaires constatent que les dispositions de la convention collective permettent le dépôt du grief contestant le non-renouvellement et qu’il n’est pas nécessaire de déterminer l'applicabilité de l'article 124 LNT pour conférer une compétence à l'arbitre.

Les juges dissidents acceptent également qu’un recours possible selon les dispositions de la convention et permettant la contestation d'un « congédiement » puisse constituer une procédure de réparation équivalente aux fins de l'article 124 LNT.

Ces juges estiment toutefois que les clauses conventionnelles concernant le recours en cas de non-renouvellement ne protègent pas adéquatement la personne salariée et ne comportent donc pas une procédure de réparation équivalente à celle de l'article 124 de la LNT.

Commentaires
À la lumière de ces trois jugements, on ne peut conclure de manière automatique à une compétence de l'arbitre fondée exclusivement sur l'article 124 LNT en toute situation.

D'une part, il faut vérifier les fondements factuels et juridiques d'un grief déposé par une personne salariée lorsqu’il n’y a pas de droit de grief suivant la convention collective, de même que le type de fin d'emploi en cause ainsi que les clauses pertinentes de cette convention afin de déterminer les avenues et les moyens de défense de l'employeur dans chacun des cas.

D'autre part, il faut retenir que l'arbitre sera compétent pour se saisir du fond d'un grief si la convention collective permet une procédure de réparation équivalente à celle de l'article 124 LNT suivant une analyse approfondie de la convention. Dans le cas contraire, le recours relèvera de la Commission des relations du travail. Il sera intéressant de suivre les prochaines décisions arbitrales et, le cas échéant, leur révision afin de mieux évaluer les circonstances pouvant départager les compétences respectives de l'arbitre et de la Commission.

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Source : VigieRT, novembre 2010.


Véronique Morin, CRIA