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Mise en place d’une politique sur la tenue vestimentaire

Mise en contexte
Le Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU) emploie plus de 3 000 personnes. Le mandat lui étant confié est défini par différentes lois telles la Loi sur la protection de la jeunesse et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Dans ce contexte, le CJM-IU doit notamment garantir la protection des jeunes dont la sécurité et le développement sont compromis et amener ceux qui commettent des délits à mettre fin à leurs actes délinquants et à prendre leurs responsabilités envers la société. Pour atteindre ces objectifs, la Direction des ressources humaines du CJM-IU est fréquemment interpellée afin de permettre au personnel de répondre aux besoins particuliers des jeunes lui étant confiés. La mise en place de la politique sur la tenue vestimentaire au CJM-IU illustre cette réalité.

14 mai 2013
Benoit Ladouceur, CRHA

L’origine de cette politique remonte à 2008. À ce moment, le Comité de direction du CJM-IU désirait faire le point sur les nombreux paramètres devant être considérés lorsqu’il est question du rôle particulier que joue, directement ou indirectement, chacun des membres du personnel par rapport aux jeunes et aux familles ayant recours aux services offerts par l’établissement. En ce qui concerne la tenue vestimentaire, le Comité de direction tient pour acquis que tout employé, peu importe sa fonction, représente l’établissement et contribue activement à la réalisation de sa mission.

L’objectif de cet article consiste à démontrer comment, dans le cadre de l’élaboration d’une telle politique, la Direction des ressources humaines peut assurer le respect des droits des travailleurs tout en répondant aux besoins particuliers de l’organisation dans laquelle elle œuvre.

Contenu de la politique
Lors des travaux ayant mené à l’adoption de la politique, le CJM-IU a adopté une approche libérale permettant de répondre aux objectifs suivants : projeter une image professionnelle en cohésion avec les valeurs et la mission de l’établissement, prévenir les fautes vestimentaires des employés, assurer une cohérence entre l’image projetée et les enseignements dispensés à la clientèle, respecter les obligations légales de l’établissement et assurer la santé et la sécurité du personnel.

Désirant respecter le principe général selon lequel chaque personne est libre de se vêtir et d’adopter l’apparence physique qu’elle souhaite, des balises générales, accompagnées d’exemples spécifiques, ont été prévues.

Ultimement, il est apparu essentiel que chaque individu ait la responsabilité d’adopter une image conforme aux valeurs de respect, d’équité, de rigueur, de reconnaissance et de dignité qui caractérise la philosophie de l’établissement. À ce sujet, la politique prévoit que chaque membre du personnel doit :

  • Prendre connaissance de la politique et s’assurer d’en comprendre le contenu, de contribuer à faire vivre les principes énoncés et de faire le nécessaire pour mettre en pratique les éléments contenus au sein de la politique;
  • Se présenter au travail vêtu convenablement et proprement;
  • Adopter les comportements démontrant une adhésion aux principes énoncés et faire preuve d’ouverture pour répondre aux attentes communiquées en lien avec la politique.

De façon plus particulière, la politique indique que les balises mises en place découlent des « normes de décence et de moralité » et que le principal critère devant guider le personnel quant à l’apparence à adopter demeure l’image que celui-ci projette à l’égard des clients et de leurs familles. À ceci, s’ajoutent quelques exemples en lien avec la tenue vestimentaire (camisoles à fines bretelles, jeans, casquettes, décolleté déplacé, sandales, etc.), l’apparence physique générale (tatouages, piercing, cheveux, barbe, etc.) et la santé et la sécurité au travail (type de chaussure, etc.).

En ce qui concerne le rôle des gestionnaires, les orientations retenues font en sorte que ces derniers sont appelés à jouer un rôle actif sur le plan de la sensibilisation du personnel. Évidemment, il est attendu que ces derniers fassent le suivi nécessaire en assurant le respect des orientations édictées, et ce, en effectuant les rappels appropriés et lorsque c'est nécessaire, en intervenant pour corriger les situations non appropriées.

Réactions syndicales
Lors du processus de consultation ayant mené à l’adoption de la politique, la Direction des ressources humaines a sondé plusieurs partenaires de l’organisation. En ce qui concerne les instances syndicales, les réactions furent partagées.

En effet, alors que le syndicat représentant les employés cliniques s’est prononcé en faveur de l’adoption de la politique, celui représentant les employés de bureau a plutôt considéré qu’il ne pouvait viser ses membres. Malgré tout, la politique fut adoptée par le conseil d’administration de l’établissement.

Lors des discussions entourant les travaux menant à la mise en place de la politique, le syndicat représentant les employés de bureau a essentiellement fait valoir deux arguments. À leur avis :

  • La politique ne pouvait s’appliquer au personnel qui n’entretient aucun contact direct avec la clientèle de l’établissement; les restrictions en matière vestimentaire sont formulées en termes larges, ambigus et vagues; l’absence de critères précis augmente le degré de subjectivité quant à la mise en œuvre de son contenu;
  • L’application de la politique étant du ressort de chaque gestionnaire, elle variera selon leurs croyances et leurs préjugés.

En raison de ces motifs, un grief réclamant d’invalider la politique fut déposé.

La décision arbitrale[1]
En raison du litige opposant le CJM-IU et le syndicat représentant le personnel de bureau, l’arbitre a dû évaluer le contenu de la politique sur la tenue vestimentaire. Dans le cadre de sa décision, il s’est prononcé sur l’exercice des droits de direction du CJM-IU ainsi que sur l’atteinte injustifiée à des droits et des libertés fondamentaux (liberté d’expression, vie privée, etc.). Il est à noter qu’aux fins de cet article, nous n’aborderons que les considérations en lien avec les droits de gestion de l’employeur. En ce qui concerne le deuxième aspect, nous référons le lecteur au contenu de la décision arbitrale.

Ainsi, au sujet de l’adoption de la politique sur la tenue vestimentaire, l’arbitre estime que le CJM-IU a démontré qu’il poursuivait des objectifs légitimes et en lien avec son champ d’activités, et ce, compte tenu de son statut, de ses obligations statutaires, de sa mission, de la nature de ses activités et des caractéristiques de la clientèle desservie.

De plus, pour répondre aux arguments du syndicat, l’arbitre détermine d’abord que le personnel de bureau est autant porteur de l’image de l’organisation que le personnel clinique. À son avis, il est tout à fait compréhensible que l’organisation tente d’éviter qu’un membre du personnel incarne un contre-exemple par rapport aux exigences déterminées par les jeunes dans le cadre de leur réadaptation. De façon plus particulière, il indique :

« Toutefois, ce n’est pas la tâche des employés du personnel administratif qui est ici véritablement en cause, mais plutôt l’existence d’un contact visuel entre les usagers (enfants et parents) et les personnes externes d’une part et le personnel d’autre part. La politique, en effet, vise essentiellement l’apparence (tenue vestimentaire et apparence physique) de l’employé.

La preuve, non contredite, démontre que ces contacts visuels sont une réalité quotidienne dans les différents points de service. Ils se produisent au travail, autant à l’occasion des activités de travail qu’à l’occasion d’activités plus personnelles (pauses, repas, etc.). La preuve également non contredite établit que le contact visuel ne permet pas de différencier les catégories de personnel. Pour l’enfant en particulier, tout membre du personnel représente l’adulte et, jusqu’à un certain point, une référence ayant valeur d’exemple. Pour les adultes (parents ou visiteurs externes), tout employé, peu importe sa fonction, représente l’établissement[2] ».

Ensuite, en ce qui concerne l’ambiguïté présumée de certains passages de la politique, l’arbitre conclut que l’idée doit l’emporter sur l’expression utilisée. À ce sujet, il indique :

« On peut toujours discuter, dans l’absolu, de l’opportunité de telle ou telle expression. On aurait pu être plus précis, mais la question de savoir si l’idée derrière l’expression serait mieux rendue par une autre formulation relève de l’opinion[3]. »

Dans son contexte, le test à appliquer est de déterminer si l’expression contestée est à sa face même irrationnelle et si elle conduit nécessairement à porter un jugement arbitraire. De plus, il est possible de considérer que la politique peut pallier ce risque éventuel. Dans le cas à l'étude, l’arbitre a considéré que la Direction des ressources humaines est appelée à conseiller et à soutenir les gestionnaires dans leurs interventions pour ainsi corriger les interventions inappropriées.

En conclusion
En résumé, les différents éléments présentés dans le cadre de cet article démontrent l’importance de la contribution des représentants des ressources humaines quant à l’atteinte des objectifs organisationnels. Comme démontré, la politique vestimentaire au CJM-IU a permis de concilier tant les droits du personnel que les droits des jeunes usagers et des familles recevant les services de l’établissement.

De plus, il est intéressant de noter que la mission particulière de l’organisation ainsi que les nombreuses références au contexte dans lequel le personnel doit œuvrer ont très certainement influencé l’arbitre au moment de rendre sa décision. À la lecture de la décision rendue, il semble évident que peu importe le contexte, ces éléments ne peuvent être ignorés. En cas de contestation de la politique mise en place, ils permettent de démontrer que l’employeur a exercé son droit de gestion de façon raisonnable et réfléchie.

Finalement, la décision arbitrale permet d’illustrer le rôle que doivent jouer les représentants des ressources humaines. En plus du rôle-conseil devant être exercé au moment de rédiger une politique, ces derniers sont également appelés à conseiller et à soutenir les gestionnaires dans le cadre de sa mise en œuvre. Dans le cas à l'étude, cette garantie supplémentaire a fait en sorte que le risque que la politique soit interprétée de façon arbitraire a été jugé minime.

Source : VigieRT, mai 2013.


1 Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 4268 et Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire, 13 avril 2012, Me Carol Jobin.
2 Paragraphes 119-120.
3 Paragraphe 139.

Benoit Ladouceur, CRHA