ressources / relations-travail

Détermination de la sanction en matière de violence au travail

La violence au travail, qu’elle soit verbale, physique ou sexuelle, n’a pas sa place. L’employeur a des obligations légales de protéger la santé et la sécurité du salarié ainsi que son intégrité physique, et donc de fournir un milieu de travail exempt de violence. Ces obligations sont prévues à l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1], à l’article 2087 du Code civil du Québec ainsi qu’à l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne[2].

13 mai 2014
France Rivard

Article 51 de la Loi. « L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur. Il doit notamment : […]. »

Article 2087 du C.C.Q. « L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié. »

Article 1 de la Charte. « Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne. »

Le survol de la jurisprudence qui suit présentera des décisions exprimant les principes qui s’appliquent en matière d’appréciation de la faute, ainsi que les facteurs atténuants et aggravants servant à l’examen de la proportionnalité de la sanction. Par la suite, des cas concrets puisés dans la jurisprudence seront présentés en fonction du geste reproché.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’une revue exhaustive de la jurisprudence, puisque les situations sont trop nombreuses.

Par ailleurs, il y a lieu de préciser que la question du harcèlement psychologique ne sera pas abordée dans le présent exposé.

Principes généraux

Facteurs à considérer à l’égard de la proportionnalité de la sanction
Il faut dans un premier temps déterminer la gravité de la violence au travail pour ensuite considérer les autres facteurs pouvant atténuer cette gravité. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des blessures physiques pour sévir.

— La violence physique entre travailleurs, et davantage encore lorsqu’elle est dirigée contre une personne en situation d’autorité, n’a pas sa place dans l’industrie;

— quelle que soit l’importance d’une telle agression, elle constitue toujours une faute grave qui doit être sanctionnée avec sévérité;

— toutefois, comme pour les cas de vol, on ne saurait consacrer en cette matière le principe d’une sanction automatique de congédiement;

— l’employeur ne doit recourir à une mesure aussi extrême que lorsqu’il y a lieu de prévoir que le recours à des mesures disciplinaires, si sévères soient-elles, ne serait qu’illusoire lorsque le comportement du salarié a été tel qu’il a définitivement compromis son lien d’emploi; et

— chaque cas est un cas d’espèce, qui doit être apprécié au regard de toutes les circonstances révélées par la preuve ainsi que du dossier antérieur du plaignant.

Les facteurs qui ont été considérés afin d’évaluer la proportionnalité de la sanction sont les suivants :

— le dossier disciplinaire;

— les années de service;

— le fait qu’il s’agisse d’un cas isolé ou non;

— la provocation;

— l’absence de préméditation;

— les répercussions financières de la pénalité au regard de circonstances individuelles;

— l’existence d’un traitement discriminatoire de la part de l’employeur relativement à la politique établie;

— toute autre circonstance atténuante, telles des excuses; et

— la gravité de l’attaque.

Le congédiement d’un opérateur dans une usine pour avoir touché le cou d’un chef d’équipe pendant qu’il proférait des menaces à son endroit, que ce soit avec l’index ou avec un couteau fermé, tout en imitant le geste de trancher la gorge est confirmé; il constitue l’exercice d’une violence physique, menaçante et agressive. Il n’y a pas de circonstances atténuantes dans cette affaire pouvant en diminuer la gravité.

 

Industries Perfection inc. et Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501[3].

On peut également consulter : Société canadienne des postes et Syndicat des postiers du Canada[4]; et Cofrancaimport export inc. et Fraternité interprovinciale des ouvriers en électricité[5].

Dans le contexte de l’examen d’une possible réintégration, il y a lieu de considérer le risque de récidive.

Syndicat international des travailleuses et travailleurs de la boulangerie, confiserie et du tabac, section locale 350 (FTQ) et Kraft Canada inc. (établissement du 3055, rue Viau, Montréal)[6].

 

Voici maintenant des cas d’application de ces principes généraux.

1. Bagarre

 

1.1 Congédiement modifié

Le congédiement imposé au plaignant pour avoir tenté d’agresser un collègue qui venait de lui casser le nez a été annulé, et une suspension de quatre mois y a été substituée. Une bagarre entre employés qui constitue un cas isolé n’entraîne pas le congédiement automatique.

Le plaignant, un livreur de véhicules automobiles, a été frappé au visage par un collègue, qui lui a cassé le nez et a brisé ses lunettes. Déstabilisée, la victime s’est munie d’une barre de fer et s’est mise à la recherche du collègue agresseur. Un autre employé est intervenu afin de mettre fin à la querelle.

Dans l’examen de la proportionnalité de la sanction, l’arbitre a conclu : 1) à l’existence d’un dossier disciplinaire; 2) à une longue ancienneté (25 ans); 3) au fait qu’il s’agissait d’un cas isolé; 4) à la provocation du collègue; 5) à l’absence de préméditation de la part du plaignant lorsqu’il s’est muni de la barre de fer, son geste étant attribuable à une aberration momentanée; 6) à l’incidence financière de la sanction; 7) à l’existence de discrimination de la part de l’employeur au regard de la politique établie pour la sanction d’un tel délit; 8) à l’existence d’autres facteurs atténuants, tel le fait d’avoir présenté des excuses; et 9) à l’absence d’agression de la part du plaignant.

Teamsters, chauffeurs et employés divers, section locale 69 et AlliedSystems (Canada) Company[7].

 

1.2 Congédiement annulé

Le congédiement imposé à un préposé à l’entretien ménager pour avoir levé le poing à l’endroit d’un collègue qui l’avait frappé à la tête est annulé; la politique de « tolérance zéro » en matière de bagarres ne s’applique pas, car le plaignant n’a pas participé à cette agression.

Un employé a enfoncé avec force deux doigts sur le côté de la tête du plaignant en jurant et en le menaçant. Le plaignant a levé le bras et a serré le poing en réaction à cette agression. Après cet événement, il a donné un coup de pied dans une chaudière parce qu’il était frustré.

L’arbitre a souligné qu’il n’était pas l’agresseur ni le provocateur dans aucun des échanges. Le geste de lever le poing durant la bagarre constituait un réflexe et une réaction de défense.

Industries de maintenance Empire inc. et Union des employées et employés de service, section locale 800 (FTQ) (Alexandre Nadon)[8].

 

Malgré la politique de « tolérance zéro » en matière de violence, le plaignant ne mérite aucune mesure disciplinaire pour avoir empoigné un collègue au collet, geste causé par la frayeur qu’il a ressentie en entendant les cris de ce dernier, qui voulait lui faire une blague.

L’arbitre a conclu que c’était le cri soudain du collègue du plaignant, inattendu et saisissant, qui avait immédiatement déclenché la réaction en chaîne qui a suivi. La faute reposait entièrement sur le collègue, qui avait été l’instigateur de la querelle. L’employeur a prétendu que la victime d’une blague non provoquée et de mauvais goût n’était pas fondée à se venger de façon démesurée. Toutefois, le plaignant n’avait jamais eu l’intention de se venger ni de répliquer de façon violente à l’agression verbale de son collègue. L’arbitre a souligné qu’il s’agissait de circonstances exceptionnelles qui n’influaient pas sur l’application de la politique de l’employeur.

Syndicat indépendant des employés de production de J. Houle et Fils inc. et G.E.A. Houle inc. (Yvan Allard)[9].

 

2. Bagarre amicale

2.1 Suspension confirmée

La suspension de trois jours imposée à deux salariés pour s’être bagarrés amicalement et avoir causé le bris d’un mur est confirmée, même si leur intention n’était que de s’amuser.

L’employeur a suspendu les plaignants trois jours, estimant que leur comportement aurait pu entraîner des blessures graves. Il a invoqué à ce sujet le règlement d’entreprise qui interdit toute bagarre, bousculade ou conduite comportant des risques qui mettent en péril la sécurité des personnes.

L’arbitre a mis en évidence le fait que la notion de « violence au travail » que l’on trouve au Code canadien du travail[10], au Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail[11] ainsi qu’à la politique de l’employeur sur le sujet n’englobe pas uniquement les agressions, mais inclut aussi les bagarres amicales, car cette législation vise à protéger les salariés et à éviter les situations pouvant occasionner des blessures ou la maladie. L’intention ludique des plaignants importe peu; une mauvaise intention à l’occasion d’un geste de violence ne constitue qu’un facteur aggravant.

D’autre part, la bousculade survenue constituait en outre une récidive, étant donné que les plaignants avaient été avertis auparavant de cesser ce comportement.

Purolator Courrier ltée et Teamsters Québec, section locale 931[12].

 

3. Agression

3.1 Congédiement confirmé

Le congédiement imposé à un débardeur pour avoir agressé physiquement deux représentants de l’employeur est confirmé, l’arbitre n’ayant pas retenu le moyen de défense fondé sur l’état psychologique du plaignant, qui alléguait avoir souffert d’une dépression majeure et de dépendance à l’alcool.

L’arbitre a déterminé que plusieurs circonstances viennent aggraver la faute du plaignant : le fait de s’en prendre à deux représentants de l’employeur dans l’exercice de leurs fonctions, dans un contexte de défi à l’autorité. Ces agressions ne peuvent être considérées comme des gestes isolés et spontanés, puisqu’elles se sont déroulées au cours d’une période d’environ 40 minutes, sans compter qu’elles ont été précédées, accompagnées et suivies d’injures, de menaces et d’intimidation. Même si elles n’ont entraîné aucune blessure, elles ont été violentes.

Association des employeurs maritimes et Syndicat des débardeurs, section locale 375 (SCFP) (François Collin)[13].

 

3.2 Congédiement modifié

La décision de l’arbitre, qui a substitué une suspension de six mois au congédiement imposé à un agent de sécurité pour avoir donné des coups au visage et au corps d’un collègue, a été confirmée.

L’agent de sécurité, un transporteur de fonds aux clients commerciaux et bancaires, a agressé verbalement et physiquement un collègue.

La Cour supérieure a donné raison à l’arbitre, qui avait considéré à titre de facteurs atténuants le fait que le plaignant avait été provoqué par son collègue et qu’il comptait 15 ans d’ancienneté. Elle a souligné que l’arbitre avait tenu compte des éléments suivants : 1) la commission d’une faute grave; 2) la provocation du collègue; 3) l’absence de préméditation; 4) un dossier disciplinaire vierge; 5) l’absence d’excuses et de regrets; et 6) l’effet d’une réintégration dans le milieu de travail.

Selon elle, l’implantation d’une politique de « tolérance zéro » ne suffit pas pour justifier un congédiement. Il faut tenir compte de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes, même si, dans certains cas, cette politique permet de ne pas appliquer le principe de la progression des sanctions.

Société en commandite Garda Sécur c. Morin[14].

 

Le congédiement imposé à une emballeuse dans une usine pour avoir aspergé avec le contenu d’un extincteur contenant des produits chimiques un collègue qui l’agaçait est modifié en une suspension de un mois; il y a eu provocation de la part du collègue, et ce dernier n’a pas subi de dommages corporels.

L’arbitre a souligné que le collègue avait contribué à provoquer la plaignante physiquement et verbalement. De plus, l’employeur a favorisé la victime au détriment de la plaignante, n’imposant de sanction qu’à cette dernière, alors que la victime avait été l’instigatrice de l’incident.

L’arbitre a retenu que l’usage d’un extincteur contenant des produits dangereux pour la santé et la sécurité d’autrui constituait un facteur aggravant. À titre de facteurs atténuants, il y a lieu de retenir le caractère spontané et irréfléchi du geste de la plaignante, son bon dossier disciplinaire, le fait qu’elle était appréciée de ses autres collègues, de même que la reconnaissance de la nature dangereuse de son geste.

Elopak Canada inc. et Syndicat des travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 (Tuyet Lac)[15].

 

Le congédiement imposé à une préposée à la machinerie pour avoir donné des coups sur la tête de son collègue au moyen d’un tube de carton est modifié en une suspension de cinq mois; l’employeur n’était jamais intervenu entre celle-ci et son collègue afin d’éviter une escalade de violence.

L’arbitre n’a pas tenu compte des manquements de la plaignante allégués par l’employeur, car ce dernier n’a jamais transmis d’avis disciplinaire à cet effet. De plus, il y a eu provocation de la part de son collègue, et il ne s’agit pas d’un geste prémédité. L’arbitre a pris en considération les 13 ans d’ancienneté de la plaignante. Enfin, il a souligné qu’en raison de son âge (60ans), les conséquences financières d’un congédiement étaient évidentes.

Union des employées et employés de service, section locale 800 et Créations Joseph Ribkoff inc. (169644 Canada inc.) (Réjeanne Cool)[16].

 

Le congédiement d’un aide général dans une usine, ayant commis une agression à l’endroit de son supérieur, est modifié en une suspension de 10 mois.

Devant le refus du supérieur d’affecter un employé supplémentaire à la tâche effectuée, le plaignant a empoigné son supérieur par le cou, l’a repoussé et a proféré des menaces à son endroit.

Malgré la gravité de l’agression envers le supérieur et l’absence de provocation, l’arbitre s’est dit d’avis que le maintien du congédiement serait une peine excessive. Il a tenu compte de l’absence de préméditation, de l’absence d’antécédents de violence tant au travail que dans la vie privée du plaignant, de ses 12 ans d’ancienneté, de son bon dossier disciplinaire (comprenant une seule journée de suspension), ainsi que des excuses et des regrets exprimés.

Syndicat international des travailleuses et travailleurs de la boulangerie, confiserie et du tabac, section locale 350 (FTQ) et Kraft Canada inc. (établissement du 3055, rue Viau, Montréal) (Steve Perron)[17].

 

3.3 Suspension annulée

Le contexte de harcèlement psychologique dont le plaignant était victime, et qui l’a amené à agresser physiquement son collègue, constitue un facteur atténuant; sa suspension de trois mois est annulée.

Le plaignant, un ambulancier, a fait l’objet de trois suspensions liées au même événement. L’employeur lui a notamment imposé une suspension de trois mois pour avoir agressé physiquement et publiquement un collègue. L’arbitre a confirmé les deux premières suspensions, puis a annulé celle de trois mois.

La Cour supérieure a retenu que l’arbitre, même s’il s’était mal exprimé, avait décidé d’annuler cette suspension en raison du contexte de harcèlement psychologique et des provocations dont le plaignant était victime, situation à laquelle l’employeur n’avait pas remédié malgré une demande expresse du plaignant à cet effet. Même si la conclusion de l’arbitre pouvait paraître surprenante, la Cour a préféré ne pas intervenir.

Coopérative des ambulanciers de la Mauricie c. Imbeau[18].

 

4. Agression sexuelle

4.1 Congédiement confirmé

Le congédiement imposé à un infirmier pour avoir agressé sexuellement une collègue sur les lieux du travail est confirmé.

L’arbitre a déclaré qu’une agression sexuelle à l’endroit d’un employé sur les lieux du travail constitue une faute d’une gravité telle que l’on peut difficilement estimer qu’un congédiement ne constitue pas une sanction appropriée.

CSSS A et Syndicat des infirmières et infirmiers de l’Est-du-Québec (R.S.)[19].

 

5. Menaces de mort et de voies de fait

5.1 Congédiement confirmé

Le congédiement imposé à un journalier travaillant dans une usine d’abattage et de transformation de dindes pour avoir proféré des menaces de mort à l’endroit d’un collègue et des membres de la direction est confirmé; malgré son ancienneté, il n’a manifesté aucun remords, il présente des antécédents de violence et il s’agissait d’une récidive.

Le plaignant a affirmé, après qu’un représentant syndical eut posé un doigt sur sa poitrine, qu’il viendrait avec un fusil afin de tirer sur des personnes.

L’arbitre a conclu que la faute du plaignant était grave. Quant à la proportionnalité de la sanction, on ne peut dire que le plaignant a agi sous le coup de la colère, puisqu’il a réitéré des menaces de mort à l’occasion d’une seconde rencontre. De plus, malgré que le plaignant était reconnu pour son caractère généralement bouillant, les menaces de mort ont perturbé les personnes qui les ont entendues.

De manière générale, lorsqu’il est question de menaces, il est rare que le congédiement soit modifié.

Toutefois, les arbitres vont imposer une sanction moins sévère lorsque des problèmes de santé sont en cause, qu’aucun risque de récidive n’existe et qu’il y a absence de préméditation et d’antécédents de violence au travail ou dans la vie privée. Le congédiement pourra aussi être modifié dans le cas où le plaignant a un dossier disciplinaire vierge ou peu chargé, ou s’il a exprimé rapidement des excuses et des remords, ou encore dans les cas où il a suivi une thérapie pour apprendre à maîtriser sa colère.

Syndicat des travailleuses et travailleurs d’abattoir de volaille de St-Jean-Baptiste (CSN) et Unidindon inc. (Normand Blouin)[20].

Société des casinos du Québec inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939 (Mongi-SlimBoureghda)[21]; Association du personnel des employés des industries Ling RockTenn et Emballages RockTenn Warwick inc. (Rock Guillemette)[22]; Syndicat des travailleuses et des travailleurs de Carrefour Providence (CSN) et Carrefour Providence (Jean-Pierre Gingras et griefs syndicaux)[23].

 

5.2 Suspension confirmée

La suspension de trois mois imposée à un magasinier du secteur manufacturier pour avoir, devant ses collègues, proféré des menaces de mort visant l’ensemble du personnel composant la direction de l’entreprise est confirmée; le fait qu’il présente un risque de récidive important constitue une circonstance aggravante et justifie la sévérité de la sanction.

Durant une réunion d’équipe, le plaignant, en présence de collègues, a proféré des menaces de mort à l’endroit de l’employeur en faisant référence à l’auteur d’une tuerie et il a mimé l’action de tirer avec un fusil.

L’arbitre a conclu non seulement à la gravité de la faute, mais aussi à la présence de plusieurs facteurs aggravants. En effet, les propos du plaignant ont été tenus publiquement, l’employeur était explicitement visé, le plaignant a maintenu une attitude de défi, il ne s’est pas excusé, et le risque de récidive est élevé. L’arbitre n’a pas considéré ses 25 ans d’ancienneté ni son dossier disciplinaire vierge à titre de facteurs atténuants.

Unifor Québec, section locale 728 et Paccar du Canada ltée (André Fitzgerald)[24].

 

5.3 Congédiement modifié

Le congédiement imposé au plaignant pour avoir proféré des menaces de mort à l’endroit d’une collègue est modifié en une suspension de 10 jours; le contexte doit être pris en considération pour évaluer le degré de dangerosité.

Le plaignant, un salarié à temps partiel, travaillait à titre de gardien d’animaux et de conducteur de promenade en petit train dans un jardin zoologique.

L’arbitre, en examinant la gravité de la faute, a souligné que la réaction du plaignant, reliée à une insatisfaction à l’égard de ses conditions de travail, était démesurée et inacceptable; elle justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire. Toutefois, l’arbitre s’est dit d’avis que de telles menaces devaient être évaluées dans leur contexte pour en déterminer le degré de dangerosité réelle.

Dans le présent cas, malgré la saine préoccupation de l’employeur pour la sécurité de tous, ce dernier n’a pris aucune mesure spéciale pendant la semaine suivant les faits et précédant le congédiement. De plus, la collègue a confirmé qu’elle n’avait pas reçu de menaces directes et qu’elle ne s’était pas sentie menacée outre mesure.

Centre de conservation de la biodiversité boréale (C.C.B.B.) inc. (Zoo sauvage de St-Félicien) c. Girard[25].

 

5.4 Suspension modifiée

Une suspension de six mois imposée à un chauffeur d’autobus pour avoir prononcé des menaces de mort sous le coup de la colère et de façon spontanée est réduite à trois mois; il compte 10 ans d’ancienneté et son dossier disciplinaire est vierge.

L’arbitre a rappelé les critères établis par la jurisprudence arbitrale en matière de violence ou d’agression à l’endroit d’un supérieur. Ils guident l’arbitre dans la détermination d’une sanction même s’il s’agit, en l’espèce, de menaces.

L’arbitre a souligné que la victime ne s’était pas sentie menacée par le plaignant, et que ce dernier avait pris l’initiative de sa réhabilitation en faisant appel lui-même au programme d’aide aux employés. Selon la jurisprudence arbitrale, on ne recourt à une sanction extrêmement sévère que dans des cas où les salariés ont agi de façon délibérée et possèdent un dossier disciplinaire.

Société de transport de Montréal et Syndicat des chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et employés de services connexes au transport de la STM, section locale 1983 (SCFP) (Jean Lanthier)[26].

 

6. Menaces de voies de fait

6.1 Congédiement confirmé

Le congédiement imposé au plaignant pour avoir menacé de porter atteinte à l’intégrité physique de sa supérieure est confirmé.

Le plaignant occupait un poste de préposé au service à la clientèle. Il reconnaît avoir prononcé les paroles reprochées, mais affirme qu’il n’a jamais eu l’intention de s’en prendre physiquement à sa supérieure.

L’arbitre n’a pas appliqué le principe de la progression des sanctions vu la gravité des fautes commises. Il n’a pas retenu la défense du plaignant, qui a invoqué son état de santé psychologique pour excuser sa conduite, car ce dernier n’a fourni aucune preuve médicale à cet égard. L’arbitre a conclu en invoquant la capacité d’un individu à être responsable de ses actes.

Pati et BMO Groupe financier[27].

 

Le congédiement imposé au plaignant — un boucher — pour avoir menacé l’intégrité physique d’un supérieur alors qu’il était en colère contre lui et armé de couteaux est confirmé; le plaignant ne peut atténuer sa faute en prétendant que son supérieur l’avait provoqué en refusant de lui expliquer les raisons pour lesquelles il était suspendu.

L’employeur a convoqué le plaignant à une rencontre afin de lui annoncer qu’il était suspendu aux fins d’une enquête, sans lui préciser le motif de la rencontre. À cette occasion, le plaignant s’est mis en colère et s’est dirigé vers le bureau d’un supérieur, couteaux à la main, en menaçant de lui infliger des blessures, en hurlant et en frappant la porte du poing.

L’arbitre a indiqué que le plaignant ne comptait que 24 mois d’ancienneté et qu’il n’avait exprimé aucun remords. Il s’agit d’une faute grave qui avait rompu le lien de confiance.

Métro Richelieu inc. (Super C Pointe-aux-Trembles) et Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 (TUAC) (Pascal-Dominique Desjardins)[28].

 

Le congédiement imposé à un conducteur de chariot élévateur pour avoir déchiré un avis disciplinaire qu’on lui remettait et pour avoir proféré des menaces relatives à l’intégrité physique de son supérieur est confirmé; il a un dossier disciplinaire chargé et refuse de corriger son comportement d’insubordination.

Le plaignant aurait dit : « J’ai hâte de travailler le soir. On va s’occuper de lui! » (en parlant de son superviseur), pour ensuite claquer la porte.

L’arbitre a déclaré que les paroles prononcées sur un ton agressif à l’endroit de son supérieur étaient des menaces. Selon lui, il importe peu que celui qui profère des menaces les mette à exécution, l’important étant la perception qu’en avait eue la victime.

Sapa et Syndicat des métallos, section locale 7785 (Yves St-André)[29];

Voir aussi Câbles Ben-Mor inc. et Syndicat des salariés de Les Câbles Ben-Mor inc. (CSD)[30], où il s’agit de menaces de voies de fait à l’égard d’un collègue.

 

7. Propos agressifs et intimidation

7.1 Suspension modifiée

La suspension de trois jours imposée à un col bleu, qui était un représentant syndical, pour avoir tenu des propos s’apparentant à un défi à l’autorité de son contremaître, est réduite à un jour; il faut tenir compte du contexte de défense des droits d’un salarié dans lequel ces paroles ont été prononcées.

L’arbitre n’a pas assimilé les propos tenus par le plaignant à des menaces envers un supérieur. Dans le contexte de la discussion, ces propos doivent être interprétés comme étant une insubordination.

Il ajoute que le contexte syndical, dans lequel le plaignant défendait les intérêts d’un salarié, doit donc être considéré à titre de facteur atténuant. À cela s’ajoutent le principe de la progression des sanctions et le dossier disciplinaire vierge du plaignant.

Syndicat des cols bleus de Gatineau et Gatineau (Ville de) (Luc Lafortune)[31].

 

7.2 Suspension confirmée

La suspension de un mois imposée à un préposé à l’entretien ménager dans un centre jeunesse pour avoir intimidé une supérieure qui le rencontrait au sujet de l’impatience qu’il avait exprimée devant des jeunes en bousculant une chaise est confirmée; le fait qu’il ne reconnaisse pas les manquements reprochés ni la mission et les valeurs du centre constituait des facteurs qui ont aggravé sa faute.

L’arbitre a souligné les conséquences du comportement du plaignant sur la clientèle composée de jeunes. Selon lui, il était nécessaire que la sanction soit sévère, malgré son dossier disciplinaire vierge et ses sept ans d’ancienneté.

Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre jeunesse de Québec et Centre jeunesse de Québec (Adrien Ross)[32].

 

7.3 Congédiement confirmé

Le congédiement imposé à un technicien en informatique en raison de son comportement intimidant à l’égard de ses collègues et d’injures proférées à l’endroit de son supérieur, lesquels ont entraîné une détérioration du climat de travail, est confirmé.

Le plaignant refusait d’aider ses collègues et de coopérer avec eux; il avait des accès de colère, il tenait des propos intempestifs, il avait des regards chargés d’agressivité et il avait tendance à vouloir imposer ses idées sans tenir compte de l’opinion des autres. L’accumulation de toutes ces manifestations avait créé un climat de travail malsain. Il dénigrait également ses gestionnaires.

L’arbitre a déclaré que le principe de la progression des sanctions était inapplicable à l’égard du plaignant, puisque ce dernier niait toute responsabilité dans les faits reprochés.

Société Radio-Canada et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 675 (SCFP 675) ─ Groupe des employées et employés de bureau et professionnelles et professionnels ─ Unité des services généraux et administratifs[33].

 

Conclusion

Qu’il s’agisse de menaces ou d’agressions, les grands principes et les facteurs atténuants et aggravants demeurent les mêmes. De plus, le fait de menacer de mort ou de voies de fait ainsi que le geste d’agresser une personne peuvent entraîner les mêmes conséquences sur le plan disciplinaire. Un congédiement sera justifié en cas de rupture du lien de confiance.

La répression et la prévention de tels comportements de la part des employés sont reliées aux obligations légales de l’employeur en matière de santé et de sécurité du travail.

En outre, il ressort de la jurisprudence analysée que l’examen du contexte est capital dans la détermination de la sévérité de la sanction. Le laxisme de l’employeur, la perception de la victime et des collègues, le sentiment de crainte engendré ainsi que la détérioration du climat de travail font partie de ce contexte. Il est entendu que le comportement reproché qui présente un élément de dangerosité, qui constitue une récidive ou qui est empreint d’agressivité nécessitera une réponse plus vigoureuse de l’employeur. D’autre part, une longue ancienneté n’a pas de poids en présence de la preuve d’un tel comportement.

Pour tenter d’annuler ou de réduire la sanction, le salarié fautif peut invoquer notamment la provocation d’un collègue ou des difficultés vécues au travail. Quant aux allégations relatives à des problèmes de santé, elles doivent être établies par une preuve médicale. Enfin, tenter de justifier ses actes par son tempérament bouillant est peu convaincant. Les aveux, les excuses sincères et le recours au programme d’aide aux employés sont d’un plus grand secours.


France Rivard

Source : VigieRT, mai 2014.

1 RLRQ, c. S-2.1
2 RLRQ, c. C -12.
3 (T.A., 2001-02-01), SOQUIJ AZ-01141088, D.T.E. 2001T-309.
4 (T.A., 1990-07-03), SOQUIJ AZ-90142134, D.T.E. 90T-1281, [1990] T.A. 931.
5 (T.A., 1992-09-23), SOQUIJ AZ-92141264, D.T.E. 92T-1423.
6 (T.A., 2008-01-28), SOQUIJ AZ-50473712, D.T.E. 2008T-209.
7 (T.A., 2006-11-28), SOQUIJ AZ-55000256, D.T.E. 2007T-214.
8 (T.A., 2010-10-06), SOQUIJ AZ-50685629, EXPT 2010-2476, D.T.E. 2010T-759.
9 (T.A., 2010-08-05), SOQUIJ AZ-50670969, EXPT 2010-2180, D.T.E. 2010T-650.
10 L.R.C. 1985, c. L -2.
11 DORS/86-304 du 13-03-1986, (1986) 120 Gaz. Can. II 1105.
12 (T.A., 2012-12-04), SOQUIJ AZ-50931761, 2013EXPT-401, D.T.E. 2013T-145.
13 (T.A., 2004-11-16), SOQUIJ AZ-50285753, D.T.E. 2005T-112, [2005] R.J.D.T. 391.
14 (C.S., 2012-06-05 [jugement rectifié le 2012-06-29]), 2012 QCCS 2549, SOQUIJ AZ-50863722, 2012EXP-2554, 2012EXPT-1377, J.E. 2012-1341, D.T.E. 2012T-471. Révision judiciaire de la sentence rendue par l’arbitre Me Marcel Morin, (T.A., 2011-05-13), SOQUIJ AZ-50752292, 2011EXPT-1051, D.T.E. 2011T-375.
15 (T.A., 2013-05-17), SOQUIJ AZ-50972090, 2013EXPT-1250, D.T.E. 2013T-454.
16 (T.A., 2014-01-30), 2014 QCTA 95, SOQUIJ AZ-51049090.
17 (T.A., 2008-01-28), SOQUIJ AZ-50473712, D.T.E. 2008T-209.
18 (C.S., 2009-03-23), 2009 QCCS 4715, SOQUIJ AZ-50579973, D.T.E. 2009T-796. Révision judiciaire de la sentence rendue par l’arbitre Paul Imbeau (T.A. 2008-11-03).
19 (T.A., 2012-11-07), SOQUIJ AZ-50916599, 2012EXPT-2432, D.T.E. 2012T-866, A.A.S. 2012A-86.
20 (T.A., 2012-11-09), SOQUIJ AZ-50916597, 2012EXPT-2480, D.T.E. 2012T-883.
21 (T.A., 2007-02-09), SOQUIJ AZ-50424647, D.T.E. 2007T-356. Requête en révision judiciaire rejetée (C.S., 2008-01-14), 500-17-036462-078, 2008 QCCS 599, SOQUIJ AZ-50474503, D.T.E. 2008T-246.
22 (T.A., 2013-07-29), SOQUIJ AZ-51003180, 2013EXPT-1882, D.T.E. 2013T-690.
23 (T.A., 2013-06-25), SOQUIJ AZ-50991343, 2013EXPT-1632, D.T.E. 2013T-588.
24 (T.A., 2013-10-28), SOQUIJ AZ-51025795, 2014EXPT-76, D.T.E. 2014T-31.
25 (C.S., 2004-06-01), SOQUIJ AZ-50258036, D.T.E. 2004T-71. Révision judiciaire de la sentence rendue par l’arbitre Me Carol Girard, (T.A., 2004-03-18), SOQUIJ AZ-50229691, D.T.E. 2004T-458.
26 (T.A., 2011-02-14), SOQUIJ AZ-50729730, 2011EXPT-639, D.T.E. 2011T-228.
27 (T.A., 2014-02-13), 2014 QCTA 81, SOQUIJ AZ-51046087, 2014EXPT-426, D.T.E. 2014T-160.
28 (T.A., 2012-09-28), SOQUIJ AZ-50900063, 2012EXPT-2217, D.T.E. 2012T-773.
29 (T.A., 2012-10-01), SOQUIJ AZ-50899068, 2012EXPT-2218, D.T.E. 2012T-774.
30 (T.A., 2010-08-18), SOQUIJ AZ-50671249, 2010EXPT-2325, D.T.E. 2010T-698.
31 (T.A., 2013-07-30), SOQUIJ AZ-51003011, 2013EXPT-1884, D.T.E. 2013T-692.
32 (T.A., 2013-04-16), SOQUIJ AZ-50962840, 2013EXPT-1116, D.T.E. 2013T-404, A
33 (T.A., 2013-11-04), SOQUIJ AZ-51019353, 2013EXPT-2325, D.T.E. 2013T-857