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Congédiement ou licenciement?

La jurisprudence québécoise regorge de décisions où la Commission des relations du travail a été appelée à examiner les critères retenus par un employeur afin de motiver un licenciement et où l’employé a contesté la décision en invoquant qu’il s’agit plutôt d’un congédiement déguisé.

25 novembre 2014
Mohamed Badreddine et Rhéaume Perreault, CRIA

Pourtant, bien qu’ils soient diamétralement opposés, « la frontière entre les deux concepts de congédiement et de licenciement est parfois bien mince. »[1]

Alors que la perte d’emploi découlant d’un licenciement est imputable à des motifs objectifs et en lien avec les besoins de l’entreprise qui ne visent pas un employé, le congédiement est plutôt une fin d’emploi dont le facteur décisif est l’employé même et sans rapport avec les besoins de l’entreprise.

L’affaire Annie Leclerc c. Résidence La Guadeloupe inc.[2] est un exemple de ces innombrables cas de jurisprudence. Dans cette affaire, le commissaire de la Commission des relations du travail a rejeté la plainte en congédiement sans cause juste et suffisante déposée par la plaignante en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.

LES FAITS
L’employeur exploite un centre d’hébergement pour personnes âgées en perte d’autonomie (ci après la « résidence »). Les employés de cette résidence se composent principalement de préposés aux bénéficiaires, d’infirmières auxiliaires et d’une infirmière autorisée. La plaignante y occupait le poste d’infirmière autorisée. Ses compétences lui permettaient aussi d’effectuer les tâches d’une infirmière auxiliaire. Le 5 octobre 2012, la plaignante prit un congé de maternité suivi d’un congé parental. Sa date de retour au travail était prévue pour le mois de décembre 2013.

La résidence accueille deux types de clients. Les premiers sont des usagers placés par un Centre de santé et de services sociaux (ci-après le « CSSS »). Les autres clients proviennent du secteur privé.

Au moment des faits en litige, le salaire horaire de la plaignante était de 17,50 $ l’heure alors que celui des infirmières auxiliaires était de 12,00 $ l’heure.

En 2010, la résidence a déménagé dans un nouveau bâtiment construit aux coûts de plusieurs millions de dollars. La construction du nouveau bâtiment avait été financée par une institution financière en vertu d’un contrat de prêt.

En 2011, le bilan financier de la résidence indiquait un déficit. En 2012, il indiquait un surplus. Le contrat de prêt avec l’institution financière prévoyait que la résidence devait maintenir un certain ratio comptable lequel n’avait pas été respecté en 2011 et 2012. L’institution financière exigeait alors un plan de redressement ou de restructuration et des coupes budgétaires. À défaut, elle avait informé la résidence qu’elle pourrait rappeler le prêt ce qui, le cas échéant, aurait probablement mis fin à ses activités. À la suite d’une analyse comptable et de divers scénarios, les propriétaires de la résidence ont rencontré les employés en avril et en mai 2012 afin de les informer de la situation et de la possibilité que des postes soient abolis. Le 24 avril 2012, la plaignante a assisté à une telle réunion.

Au mois de septembre 2013, la résidence a décidé de recourir aux services gratuits d’une infirmière autorisée offerts par le CSSS à la suite de l’entente nationale intervenue entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec qui prévoyait qu’un CSSS doit fournir les professionnels de la santé pour les usagers. Par conséquent, la résidence a décidé d’abolir le poste de la plaignante pour réaliser des économies.

Le 10 septembre 2013, la résidence a embauché une infirmière auxiliaire.

Le 18 novembre 2013, la résidence a informé la plaignante, qui était alors en congé parental et qui devait revenir au travail au mois de décembre 2013, que son poste était aboli. La preuve a révélé que lors d’une conversation entre la plaignante et la résidence, la plaignante a formulé la demande d’être gardée à l’emploi à titre d’infirmière auxiliaire et de changer le titre de son emploi sur le talon de paie d’infirmière autorisée à infirmière auxiliaire. Lors de cette discussion, la plaignante n’a pas abordé la question pourtant évidente du réajustement salarial.

La résidence n’a donc pas offert à la plaignante un poste d’infirmière auxiliaire étant convaincue que celle-ci n’accepterait pas une baisse de salaire.

Après sa fin d’emploi, la plaignante a appris que la résidence était à la recherche d’infirmières auxiliaires.

Dans sa plainte, la plaignante soutenait qu’elle avait fait l’objet d’un congédiement déguisé et que l’employeur avait enfreint ses obligations en ne lui offrant pas un poste d’infirmière auxiliaire alors qu’elle avait les compétences pour en assumer les responsabilités.

LA DÉCISION
La Commission des relations du travail était appelée à trancher deux questions dans ce litige. La première visait à savoir si la plaignante avait fait l’objet d’un congédiement ou d’un licenciement. La deuxième, est-ce que l’employeur devait lui offrir un poste d’infirmière auxiliaire dans le cas où elle avait réellement fait l’objet d’un licenciement?

Le commissaire a rappelé que les motifs qui servent à choisir le poste à abolir doivent être objectifs, impartiaux et non inspirés d’éléments subjectifs propres à un employé.

Dans le cadre d’une plainte en congédiement sans cause juste et suffisante à l’égard d’une fin d’emploi découlant supposément d’un licenciement, la Commission des relations du travail a rappelé qu’elle est autorisée à vérifier si les critères de sélection choisis par un employeur sont raisonnables ou s’ils cachent un congédiement déguisé. À cet effet, le commissaire a rappelé les propos tenus par la Cour d’appel dans l’affaire Bousquet c. Desjardins[3] :

« [36] […]

Ce sont les critères retenus eu égard aux besoins de l’entreprise qui doivent faire l’objet d’examen pour déterminer si la conduite de l’employeur est objective plutôt que subjective.

Dans l’examen que le commissaire peut faire des motifs de sélection pour déterminer s’il s’agit d’un congédiement ou d’un licenciement, le commissaire ne peut imposer ses propres critères. Il peut seulement s’assurer que les motifs déclarés sont réels et non des prétextes destinés à camoufler un dessein illégal. »

En appliquant ces principes aux faits, le commissaire a conclu que la décision de la résidence constituait réellement un licenciement et non un congédiement. La décision d’avoir recours aux services gratuits des infirmières autorisées du CSSS permettait de faire d’intéressantes économies dans un contexte financier difficile.

Quant à la question de savoir si la résidence avait une obligation de proposer à la plaignante licenciée un autre emploi au sein de son entreprise, le commissaire a reconnu qu’un important courant de jurisprudence prévoit une telle obligation. Cependant, il a rappelé que cette obligation doit être évaluée au cas par cas et qu’elle est conditionnelle à l’intérêt de l’employé pour le poste. À cet effet, il écrit ce qui suit :

« [48] Si un courant jurisprudentiel important impose à un employeur l’obligation d’offrir un poste disponible et approprié à un salarié qui se retrouve en situation de licenciement, on doit analyser le respect ou non de cette obligation avec discernement, et en fonction de l’analyse des faits pertinents à chaque espèce.

[49] Cette obligation imposée à l’employeur a aussi son corollaire. Le salarié doit démontrer un intérêt pour être replacé dans un poste disponible, et qu’il est disposé à l’accepter aux conditions de travail applicables à ce moment. »

En l’espèce, étant donné que la plaignante avait seulement demandé à la résidence de changer le titre figurant sur son talon de paie d’infirmière autorisée à infirmière auxiliaire sans discuter du taux horaire alors qu’elle savait pertinemment qu’il y avait une importante différence du taux horaire entre les deux postes, le commissaire a conclu que la décision de la résidence était justifiée de croire que la plaignante n’aurait pas accepté une baisse salariale. Par conséquent, elle n’a pas enfreint son obligation d’offrir à la plaignante de lui maintenir un emploi et il ne s’agissait pas d’un prétexte pour se débarrasser d’elle.

CONCLUSION
Lorsqu’un employeur décide de procéder à un licenciement, les critères choisis pour déterminer le poste à abolir doivent être objectifs et non inspirés d’éléments subjectifs propres à un employé ciblé.

Bien que les critères choisis pour procéder au licenciement soient laissés à l’entière discrétion de l’employeur dans l’exercice de ses droits de gestion, ils doivent avoir un lien raisonnable avec les besoins de l’entreprise.

Source : VigieRT, novembre 2014.


1 Propos du Commissaire Christian Drolet dans l’affaire Annie Leclerc c. Résidence La Guadeloupe inc., 2014 QCCRT 0524, par. 35, reprenant les propos de la Cour d’appel dans l’affaire Cloutier c. Alsco, division de Western LinenSupply Co. Ltd., 2005 QCCA 1150, par. 18.
2 2014 QCCRT 0524.
3 D.T.E. 97T-1375.

Mohamed Badreddine et Rhéaume Perreault, CRIA