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Accident de travail et comportement téméraire du travailleur

Un accident de travail découle souvent de plusieurs causes à l’égard desquelles l’employeur doit déterminer les correctifs à mettre en place afin d’éviter qu’un tel événement se reproduise. Toutefois, il existe des situations particulières où, malgré la mise en place de mesures de contrôle, de formation, d’information et de protection et/ou de procédure sécuritaire de travail, un employé téméraire décide de son propre chef d’agir de manière à subir une lésion. Qui plus est, il est possible que ce travailleur ait subi des mesures disciplinaires pour cette même raison auparavant. L’employeur va alors tenter de faire refuser la réclamation auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) en demandant l’application de l’article 27 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) pour négligence grossière et volontaire du travailleur. Cet article prévoit toutefois que lorsque la lésion est grave, l’article 27 ne pourra pas être appliqué. De plus, il faut que l’employeur démontre le caractère « volontaire » de la négligence, ce qui n’est pas souvent le cas.

2 mars 2016
Lyse Dumas, CRIA

Toutefois, l’employeur ne devrait pas avoir à subir les conséquences financières d’une telle lésion. Lorsqu’il peut démontrer que le travailleur a agi de manière « téméraire » sans respecter les règles de sécurité, et ce, malgré qu’il lui ait donné toute la formation et l’information nécessaires, l’employeur pourrait demander l’application du 2e alinéa de l’article 326 du fait qu’il s’en trouve obéré injustement.

Plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles (aujourd’hui, le Tribunal administratif du travail [TAT]) ont été rendues en faveur des employeurs. L’analyse des notions « d’obérer et d’injustice » sont les deux éléments sur lesquels le tribunal va se pencher.

Article 326 de la LATMP :
« La Commission impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers ou d’obérer injustement un employeur. L’employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d’un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l’année suivant la date de l’accident. »

Une décision rendue en mars 2013 fait une analyse exhaustive de la jurisprudence en la matière. Dans cette cause, le travailleur s’était blessé sérieusement en s’amputant trois doigts. L’employeur avait plaidé initialement la négligence, mais la CLP dans une autre décision, avait refusé d’appliquer l’article 27 en raison de la gravité de la lésion. L’employeur a également déposé une demande en vertu du 2e alinéa de l’article 326. Dans sa décision portant sur l’imputation, le juge s’est exprimé ainsi[1] :

« [46] Le tribunal estime que la seule et unique cause de la lésion professionnelle réside dans le fait que le travailleur a fait pénétrer son bras dans la cage de protection de la poinçonneuse, geste qui relève de la pure volonté du travailleur et qui relève de l’insouciance et de la témérité.

[47] La CSST a analysé la demande de l’employeur sous l’angle de la négligence grossière et volontaire. Avec respect, le tribunal estime que ce n’est pas là la bonne question à se poser puisqu’en financement, c’est l’injustice qu’il faut démontrer pour réussir dans une demande de transfert de coûts, en plus du fait d’être obéré.

[48] Le tribunal ne doit pas décider si le travailleur a fait preuve de négligence grossière et volontaire au sens de l’article 27 de la loi le 22 septembre 2011.

[49] Le soussigné est plutôt saisi d’une demande de partage de coûts en vertu de l’article 326 de la loi et il doit décider si l’employeur est obéré injustement, rien de plus, rien de moins. »

La prétention selon laquelle le travailleur ne voulait pas se blesser volontairement n’est pas une notion devant être prise en compte par la CLP. C’est plutôt la notion de « témérité du travailleur » qui accomplit un geste dont les conséquences seront possiblement une blessure qui doit faire l’objet de l’analyse[1].

« [51] Le fait que le travailleur ne voulait pas se blesser n’est pas pertinent [9], même lors de l’analyse sous l’article 27.

[52] Toutefois, les circonstances de la survenance de l’événement font croire au tribunal qu’il aurait dû savoir qu’une lésion allait nécessairement s’ensuivre vu les circonstances dans lesquelles il a décidé de faire pénétrer son bras à l’intérieur de la cage protectrice. »

[53] Le travailleur a donc posé un geste insouciant et téméraire, de façon volontaire dans l’exercice de ses tâches et ce geste qui a entraîné les blessures diagnostiquées le jour de l’événement. Il savait très bien, à cause des instructions qui lui avaient été données et répétées et à cause de l’état même des lieux que le fait de pénétrer son bras à l’intérieur de la cage protectrice comportait en lui-même un risque presqu’inévitable de lacération. »

Dans une décision récente, la CLP du Saguenay a conclu dans le même sens que la décision dont il est question ci-dessus et a reconnu que l’insouciance du travailleur est la seule et unique cause de la survenance de la lésion. Qui plus est, dans cette cause, le travailleur occupait un emploi de chef mécanicien chez l’employeur. Il a subi un accident de travail alors qu’il effectuait un essai routier à bord d’un véhicule récréatif, celui-ci s’étant renversé sur le côté. Le diagnostic de polytraumatisme a alors été établi[2].

[38] Cependant, il est d’avis, dans la présente affaire, que la lésion du travailleur est survenue dans les circonstances qui ont présenté un caractère extraordinaire, inusité, rare et exceptionnel, dans des gestes posés en contravention de toute règle de l’art, principe de sécurité et avec insouciance accompagnée de témérité.

[39] Le tribunal conclut qu’il était loin d’être probable qu’un tel événement survienne dans le cadre des risques inhérents aux activités de l’employeur.

Le TAT, tout comme la CNESST, n’a pas à déterminer si l’article 27 de la LATMP s’applique ou non pour déterminer l’application du 2e alinéa de l’article 326. Pour ce faire, la preuve présentée par l’employeur doit démontrer l’injustice dont il est victime en raison du fait que l’événement soit survenu malgré la prise des mesures nécessaires pour protéger la sécurité de son travailleur et démontrer que celui-ci a été téméraire et insouciant en ne respectant pas la procédure. La CLP a déjà posé les mêmes constats dans le cas d’un travailleur qui ne respectait pas ses limitations fonctionnelles temporaires lors d’une assignation temporaire[3].

[21] De l’avis du tribunal, la manipulation d’une lourde charge dans les escaliers, sans aide, constitue une manœuvre téméraire. Dans le contexte d’une assignation temporaire et en présence d’une blessure affectant la région lombaire, même en rémission, cette manœuvre devient grossièrement une négligence.

[22] Cette négligence, directement responsable de la prolongation de la période de consolidation, correspond à une situation d’injustice au sens de l’article 326 de la loi [4].

[23] En effet, la négligence grossière, même si elle n’est pas volontaire en l’espèce, est assimilable à une circonstance inusitée, inhabituelle ou exceptionnelle, et donc étrangère aux risques que doit supporter l’employeur, car ce dernier n’y pouvait rien.

Il est important de documenter les avis donnés à un travailleur et lorsqu’une situation ou un événement survient, de faire une enquête exhaustive afin de démontrer, s’il y a lieu, que le travailleur avait été formé adéquatement et que la procédure sécuritaire de travail était bien connue. Une demande en vertu du 2e alinéa de l’article 326 pourra alors être déposée afin de faire rembourser en totalité les coûts engendrés par la lésion subie.

Source : VigieRT, mars 2016.


1 CLP Québec, 27 mars 2013, 485248-31-1210.
2 CLP Saguenay-Lac-Saint-Jean, 28 avril 2015, 552144-02-1409.
3 CLP Abitibi-Témiscamingue, 29 mars 2012, 446740-08-1108.

Lyse Dumas, CRIA Consultante Dumas Gestion-conseil SST