ressources / relations-travail

Victime d’un accident du travail ou d’un acte criminel?

La Loi C-21[1] est entrée en vigueur le 31 mars 2004 en réponse à une carence juridique sur le plan criminel relativement aux accidents du travail. La modification apportée au Code criminel (C.cr.) expose dorénavant les entreprises ainsi que leurs dirigeants à des poursuites de nature criminelle lorsqu’ils font preuve de négligence sur les lieux de travail.

13 avril 2016
Me Philippe Desrosiers, CRIA

Auparavant, il était impératif que la couronne prouve que l’accusé incarnait l’âme dirigeante de l’entreprise. Par conséquent, de nombreuses organisations ont échappées à la justice lorsqu’il était impossible de faire une telle preuve. La Loi C-21 innove dans le domaine de la responsabilité criminelle des entreprises, puisqu’elle s’appuie maintenant sur une présomption de participation de l’organisation à l’infraction.

Plus précisément, cette présomption libellée à l’article 22.1 C.cr. édicte que l’entreprise sera présumée être partie à l’infraction dans les cas où il est prouvé que l’un de ses employés a lui-même participé à l’infraction, par son action ou son omission, et que le cadre supérieur s’est écarté de façon marquée de la norme de diligence raisonnable pour empêcher la participation à l’infraction. Cela implique donc que le cadre supérieur doit ou devrait avoir eu connaissance de l’infraction commise par l’employé.

L’article 217.1 C.cr., introduit par la Loi C-21, indique ce qui suit : « il incombe à quiconque dirige[ant] l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. » Il va sans dire que cette disposition impose à l’entreprise un devoir légal de veiller à la santé et à la sécurité de ses salariés en instaurant des mesures appropriées. À cet égard, le législateur n’a pas jugé nécessaire d’en préciser l’étendue. On peut néanmoins penser que les tribunaux vont se référer aux différentes lois en vigueur en matière de santé et de sécurité au travail.

En ce qui concerne la peine encourue, un organisme reconnu coupable de négligence criminelle par voie d’acte criminel s’expose à une amende n’ayant aucune limite maximale alors que par voie sommaire, l’amende maximale est de 100 000 $.

Négligence criminelle
L’incorporation de ces dispositions législatives au Code criminel est fondée sur la notion de négligence criminelle que l’on retrouve à son article 219. Cette dernière se concrétise lorsqu’une personne pose un acte ou omet de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir tout en démontrant une insouciance déréglée ou téméraire. Il doit s’agir d’un devoir légal imposé à l’employeur, c’est-à-dire, que l’on retrouve dans une loi, un règlement ou tout autre outil législatif ayant force de loi.

La norme de diligence raisonnable
Une entreprise qui fait face à des accusations de négligence criminelle peut invoquer la diligence raisonnable à titre de moyen de défense. Celle-ci comporte trois éléments fondamentaux en matière de santé et de sécurité au travail soit la prévoyance, l’efficacité et l’autorité.

  1. Le devoir de prévoyance
    Le devoir de prévoyance découle des différentes lois provinciales existantes dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail. Le législateur astreint les employeurs à entreprendre les démarches nécessaires afin de comprendre l’étendue du travail effectué par ses employés ainsi que les différents risques qui y sont inhérents.
     
  2. Le devoir d’efficacité
    Il ne suffit pas d’être aux faits des divers risques que comporte l’accomplissement des différentes tâches, il faut les écarter. Il importe de déterminer les mesures de sécurité concrètes dans le but de pallier ces risques et d’assurer un milieu de travail exempt de danger. L’employeur devra, en plus de fournir l’équipement de sécurité nécessaire, donner de la formation ainsi que mener des campagnes de sensibilisation auprès de ses employés afin qu’ils respectent les différentes règles afférentes à leur sécurité.
     
  3. Le devoir d’autorité
    Le devoir d’autorité découle directement du droit de gérance de l’employeur. Ce dernier ne doit faire preuve d’aucune tolérance à l’égard des actes dangereux qui sont posés par ses employés. Il est de son devoir d’imposer des sanctions dans le but de protéger les salariés contre eux-mêmes ainsi que contre leurs pairs. Conséquemment, une personne en autorité doit non seulement être toujours présente pendant l’accomplissement du travail, mais elle doit agir de façon proactive et sanctionner le salarié lorsqu’elle est témoin d’actes téméraires de sa part.


Les affaires Metron et Kazenelson

Les affaires Metron[2] et Kazenelson[3] sont des exemples concrets de l’application judiciaire de ces nouvelles dispositions.

Ces deux affaires relèvent essentiellement de la même trame factuelle, bien que les procès aient eu lieu séparément. Le chef de projet a fait l’objet de cinq chefs d’accusation de négligence criminelle à la suite de l’effondrement d’un échafaudage causant la mort de quatre salariés en plus d’en blesser un gravement alors que l’entreprise elle-même faisait face à un chef de négligence criminelle ayant causé la mort.

Le jour de l’accident, le superviseur de chantier ainsi que cinq ouvriers ont pris place sur un échafaudage, soit une plate-forme de travail suspendue. En tentant de revenir au sol, la plate-forme s’est effondrée. L’enquête a démontré que des traces de marijuana ont été détectées dans l’organisme de trois des travailleurs décédés y compris celui du surveillant. De surcroît, seulement deux cordons d’assurance étaient disponibles dans la zone d’échafaudage, dont la structure présentait des défauts flagrants de conception et d’assemblage.

Dans la première affaire, la compagnie Metron a plaidé coupable à un chef d’accusation de négligence criminelle causant la mort en vertu des différentes dispositions instaurées par la Loi C-21. En première instance, le tribunal avait condamné l’entreprise à verser une amende de 200 000 $ alors que la Cour d’appel a augmenté ce montant à 750 000 $ compte tenu du haut degré de culpabilité morale et de gravité liée à une condamnation criminelle.

Pour ce qui est du chef de projet, bien qu’il incombait au superviseur de s’assurer de la sécurité des travailleurs sur le chantier, le tribunal était d’avis qu’il exerçait un pouvoir de contrôle et de direction sur le superviseur au moment de l’accident. L’enquête a démontré qu’il était au fait que l’échafaudage ne comportait que deux cordons d’assurance alors qu’ils étaient six travailleurs et que ce n’était évidemment pas suffisant. De plus, le chef de projet n’a entrepris aucune démarche afin de pallier la situation pourtant dangereuse pour l’ensemble des travailleurs du chantier.

Considérant qu’il avait le devoir de rectifier la situation en vertu de l’article 217.1 du Code criminel, il a contribué de façon significative à l’accident. Par conséquent, le tribunal l’a reconnu coupable de tous les chefs d’accusation de négligence criminelle lui imposant ainsi une peine de trois ans et demi de prison.

En somme, une analyse de la jurisprudence permet de constater qu’il s’agit de la plus grosse peine d’emprisonnement ayant été prononcée depuis l’entrée en vigueur de la Loi C-21.

Source : VigieRT, avril 2016.


1 Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations), L.C. 2003, ch. C-21(Projet de loi C-45).
2 R. c. Metron construction Corporation, 2013 ONCA 541.
3 R. c. Kazenelson, 2015 ONSC 3639.; R. c. Kazenelson, 2016 ONSC 25.

Author
Me Philippe Desrosiers, CRIA Avocat et conseiller en relations du travail Étude légale Philippe Desrosiers Inc.