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Licenciement collectif : un mandat troublant

Martin Pellerin*, CRHA, est spécialisé en développement organisationnel. Depuis plusieurs mois, l’entreprise où il travaille éprouve des difficultés financières. Elle doit effectuer d’importants changements à sa structure organisationnelle pour assurer sa survie. Le président mandate donc Martin pour élaborer une nouvelle structure organisationnelle qui permettra de supprimer au moins dix postes. Il l’avise aussi de ne pas en glisser un mot aux employés. Martin est mal à l’aise devant cette situation gardée secrète et ne sait pas comment entreprendre son mandat, car les dossiers des employés ne sont pas à jour (évaluation du rendement, description de poste, etc.). Comment doit-il réagir?

Karine Pelletier, CRHA<br />Karl Jessop, CRIA

L'ÉCLAIRAGE DÉONTOLOGIQUE

Pour agir dans les règles de l’art… 

Même si la façon de procéder de son employeur est selon lui discutable, Martin doit se rappeler qu’il est lié par le secret professionnel. Issu de la Charte des droits et libertés de la personne, du Code des professions et du Code de déontologie des membres de l’Ordre, le secret professionnel est un droit fondamental; tout professionnel qui y est tenu ne peut divulguer les renseignements confidentiels qui lui ont été révélés en raison de son état ou profession, à moins qu’il n’y soit autorisé par la personne qui lui a fait ces confidences ou par la loi. Dans le cas qui nous intéresse, l’employeur a révélé ses intentions à Martin dans le cadre de ses fonctions et en sa qualité de professionnel et lui a expressément interdit de divulguer ces informations aux employés. Martin ne peut donc pas aviser les employés de ce qui se prépare. 

Malgré tout, Martin n’est pas dépourvu de toutes ressources…

Tout d’abord, Martin doit exercer pleinement son rôle-conseil. Suivant son code de déontologie, avant de faire des recommandations à son patron sur la structure organisationnelle, il doit avoir une connaissance complète des faits. De plus, il doit exposer à son employeur, de façon objective, la nature et la portée du problème qui ressort des faits. Dans ce cas-ci, cela veut dire que Martin doit demander à son employeur l’accès à tous les renseignements qui lui sont nécessaires pour effectuer le mandat. Il doit lui faire valoir l’importance que le dossier de chaque employé soit suffisamment documenté pour qu’il puisse prendre les bonnes décisions. 

Toujours selon son Code de déontologie, Martin doit informer son employeur des risques inhérents à la solution envisagée pour résoudre le problème. Il doit lui présenter les scénarios possibles en en faisant ressortir les risques. En d’autres termes, il doit lui expliquer les risques associés au fait qu’il réalise le mandat de restructuration organisationnelle malgré son manque d’information et les autres modes de fonctionnement qui serviraient mieux les intérêts de l’organisation.  

Il faut aussi se rappeler que Martin est libre d’accepter ou de refuser un mandat : il en va de son indépendance professionnelle. D’ailleurs, le fait de ne pas obtenir tous les éléments qu’il juge nécessaire à l’exécution d’un mandat constitue un motif juste et raisonnable d’y mettre fin. Bien sûr, le fait pour Martin de refuser une tâche est sûrement un exercice difficile… Il vaut peut-être mieux alors qu’il use de son pouvoir de persuasion et expose les risques possibles pour amener l’employeur à réviser sa position sur la meilleure façon de procéder au licenciement. 

À retenir

  • Respecter le secret professionnel
  • Exercer son rôle-conseil auprès de son employeur
  • Intervenir avec une connaissance complète des faits
  • Faire des recommandations 

LA DÉONTOLOGIE EN ACTION

Quelques considérations pratiques et juridiques  

Martin se retrouve dans une situation que de nombreux professionnels devront affronter durant leur carrière. Lorsqu’une entreprise éprouve des difficultés financières, il n’est pas rare que la direction décide de réduire les effectifs.  

Pour bien remplir son rôle de conseiller, Martin doit obtenir tous les renseignements nécessaires pour bien conseiller son employeur.  

Pour élaborer une nouvelle structure organisationnelle, Martin doit connaître l’orientation que l’entreprise veut prendre sur le plan de sa gestion. De plus, il doit pouvoir accéder à des informations précises concernant toutes les personnes qui peuvent être touchées par cette réorganisation. 

En effet, lorsqu’un employeur supprime des postes, il doit être en mesure d’expliquer ce qui motive la décision de garder ou de réaffecter tel employé ou, au contraire, de licencier tel autre. Martin doit donc expliquer à son employeur qu’il est essentiel pour lui d’avoir tous les renseignements pertinents afin d’évaluer les compétences et les capacités des employés impliqués par la réorganisation et aussi d’identifier les personnes qui seront excédentaires.  

Une fois les choix faits, Martin devra aussi conseiller son employeur sur les conditions de cessation d’emploi concernant les postes abolis. Pour ce faire, il doit avoir accès aux données pertinentes figurant au dossier des employés impliqués. 

Lorsqu’un employeur abolit des postes, il est tenu de donner un préavis aux employés ou de verser une indemnité de délai de congédiement tenant lieu de préavis. De plus, conformément aux dispositions de la Loi sur les normes du travail, il doit, s’il procède à l’abolition de plus de dix postes à l’intérieur d’une période de deux mois, donner un avis de licenciement collectif, dont copie doit être transmise à la Commission des relations du travail. 

Martin doit donc être en mesure de faire l’analyse complète de la situation, concernant tant l’organisation que chacun des individus touchés. Par la suite, il pourra faire part à son employeur des possibilités qui s’offrent à lui et aussi du coût des indemnités à verser. 

Finalement, il est aussi important pour l’employeur de prévoir un plan de communication, aussi bien pour les employés qui seront mis à pied que pour ceux qui seront déplacés dans l’organisation. Martin devrait aussi, sur réception de ce mandat, établir un calendrier afin de tenir son employeur informé de l’évolution de son analyse et de lui permettre, ponctuellement, de discuter des options possibles ou des situations imprévues qui pourraient surgir avant que la nouvelle structure organisationnelle soit rendue publique.


Karine Pelletier, CRHA
Karl Jessop, CRIA