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La non-disponibilité en raison du congé de maternité est-il un motif valable de refuser d’accorder l’emploi à une candidate?

Ne pas être disponible pour occuper un poste en raison d’un congé de maternité constitue-t-il un motif de non-octroi de l’emploi à une candidate enceinte? La Commission de la fonction publique, dans la décision Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2018 QCCFP 20, répond par la négative en ajoutant qu’il s’agit de discrimination. En voici les explications.

10 octobre 2018
Me Valérie McDuff, CRHA

Faits

Les parties à cette affaire impliquent l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (ci-après « l’Association ») et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (ci-après « le DPCP »). L’Association conteste devant la Commission de la fonction publique (ci-après « la Commission ») le refus du DPCP d’octroyer un poste à une employée.

 

Cette dernière, au moment des faits, occupe déjà un poste au sein du Bureau du DPCP à Québec. En septembre 2016, elle apprend qu’elle est enceinte.

À la suite de la création de nouveaux postes de procureurs, un appel de candidatures est effectué, et l’employée postule en janvier 2017.

Alors qu’elle l’annonce à sa supérieure immédiate, cette dernière lui répond : « Tu ne peux pas, tu ne seras pas là. » L’employée comprend qu’ils ont besoin de quelqu’un rapidement, mais affirme à sa supérieure immédiate, en faisant allusion à sa grossesse : « Voyons, vous ne pouvez pas ne pas me prendre pour cette raison-là! »

Il s’avère que la supérieure immédiate de l’employée fait partie du comité de sélection. Il semble toutefois, tel qu’elle le mentionne à l’employée, que son rôle n’est pas décisionnel.

Les critères de sélection établis par le comité sont : l’intérêt, la motivation, le degré d’organisation et le « pouvoir de convaincre et de mettre de côté ce qu’on a appris ».

Une grille d’entrevue est mise en place par sa supérieure. Cependant, aucune règle n’est prédéterminée lors de l’entrevue par rapport au choix des candidats.

Cinq candidates sont passées en entrevue par le comité, y compris l’employée.

Avant le début des entrevues, cette dernière est le premier choix du comité de sélection. Or, au fur et à mesure des entrevues, elle dégringole au troisième choix. Il semble que sa force n’est pas de « se vendre » en entrevue.

Dans son témoignage, l’employée explique que le poste convoité est dans son domaine d’expertise. Dans son poste actuel, elle a obtenu un rendement supérieur aux attentes, c’est-à-dire la cote A.

Elle estime qu’elle répond bien à toutes les questions; elle fait ce travail depuis huit ans. Elle aide même une autre candidate à se préparer à son entrevue.

Le comité est au courant de la grossesse de l’employée.

Lors de l’entrevue, une question est posée à chacune des candidates afin de savoir quand elle peut entrer en poste. L’employée se fait donc poser la même question. Toutefois, de manière informelle, sa supérieure immédiate s’enquiert de son état de santé et de sa grossesse. Elle lui demande également si elle prend le congé long ou le congé court offert par l’employeur.

La supérieure participe finalement au choix de la première candidate passée en entrevue, celle que l’employée avait aidée. Celle-ci, à sa grande surprise, n’obtient pas le poste.

L’Association juge que la décision de l’employeur constitue de la discrimination fondée sur la grossesse, ce qui contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après « la Charte ») et qu’il s’agit également d’une pratique interdite allant à l’encontre de la Loi sur les normes du travail (ci-après « la LNT »).

Décision

 

Les articles pertinents de la Charte invoqués par la Commission sont les articles 4, 10 et 16.

Cette dernière juge que de prime abord, il existe une probabilité d’un lien entre le refus d’octroyer le poste à l’employée et le fait qu’elle soit enceinte, ce qui constitue un motif de discrimination interdit par la Charte.

En effet, tous les membres du comité savaient que l’employée était enceinte. De plus, il est inapproprié dans un contexte d’entrevue, selon la Commission, de s’enquérir auprès de la candidate de la nature du congé qu’elle prendra, soit d’un congé long ou d’un congé court. Le même raisonnement s’applique en ce qui concerne l’état de santé et la grossesse de la candidate. Ces questions ne devraient pas être posées en entrevue de sélection, et ce, même si les gens se connaissent.

La Commission ajoute que le commentaire formulé par la supérieure avant le processus d’entrevue « Tu ne peux pas, tu ne seras pas là. » est également illicite et discriminatoire.

Ainsi, pour conclure à de la discrimination, il faut simplement que la grossesse de l’employée ait contribué à la décision de son employeur de ne pas lui accorder le poste.

Il n’est pas non plus nécessaire que l’employeur ait une intention discriminatoire. En effet, il est possible que les comportements ou gestes discriminatoires soient fondés sur plusieurs éléments et soient inconscients.

En l’espèce, la justification offerte par l’employeur pour refuser d’octroyer le poste à l’employée est sa mauvaise performance lors de l’entrevue. Il s’agit cependant de la candidate la plus qualifiée et expérimentée pour cet emploi au Québec.

Par ailleurs, les membres du comité n’ont conservé aucune preuve de la grille d’entrevue, et aucun écrit ne subsiste sur les critères utilisés pour évaluer les candidates et les résultats qu’elles ont obtenus. Seule une section de la grille d’entrevue préparée a été utilisée.

Bref, selon la Commission, l’employée est la plus qualifiée, et le processus de sélection n’a pas été suivi rigoureusement.

Cela signifie que les raisons pour écarter l’employée constituent des prétextes et que sa disponibilité a joué un grand rôle dans la décision de l’employeur. La Commission conclut donc que l’employée n’a pas obtenu le poste en raison de sa grossesse.

En ce qui concerne le remède, un tribunal ne peut nommer un candidat à un poste en lieu et place de l’employeur. L’exception énoncée par la Cour fédérale[1] réside dans la certitude du plaignant d’obtenir le poste. Ainsi, à moins que le plaignant ne soit certain d’obtenir le poste, seuls la reprise du processus de sélection ou le versement de dommages-intérêts constituent les réparations possibles, car elles permettent de remédier au préjudice subi. La Commission détermine que cette exception s’applique à l’employée. Si elle n’avait pas été enceinte, elle aurait certainement obtenu le poste.

La Commission juge que la décision de l’employeur a été prise de manière abusive, déraisonnable et discriminatoire. La mesure la plus appropriée selon elle est de procéder à l’attribution du poste à l’employée.

Conclusion

Cette décision fait ressortir le principe selon lequel un processus d’entrevue doit être rigoureux et sans tache. Même lorsque les relations entre le comité de sélection et le candidat sont familières, ces dernières doivent être mises de côté lors de l’entrevue. De plus, la mauvaise performance au moment de l’entrevue ne peut à elle seule faire en sorte d’éliminer un candidat alors que d’autres aspects tels que le curriculum vitae ou les évaluations sont également examinés. Un processus sérieux et justifié de sélection de candidats milite en faveur de l’absence de l’utilisation de motifs discriminatoires pour éliminer un candidat, que cette utilisation soit consciente ou non.


Author
Me Valérie McDuff, CRHA Avocate
Me McDuff est une avocate pratiquant en droit du travail et de l’emploi qui intervient exclusivement à titre de tierce partie neutre et impartiale dans des mandats de prévention et de gestion du harcèlement et des conflits en milieu de travail. Me McDuff se spécialise dans des mandats d’enquête de harcèlement psychologique ainsi que dans la médiation de plaintes de harcèlement psychologique. Me McDuff intervient dans les situations complexes et sensibles impliquant notamment des membres de la direction ou des conseils d’administration. Elle a par ailleurs développé une expertise pour les dossiers d’inconduite sexuelle et de plaintes visant des gestionnaires. Avant de se spécialiser en prévention et en gestion du harcèlement, Me McDuff a pratiqué le droit du travail dans un cabinet d’avocats international. Me McDuff est membre du Barreau du Québec et est médiatrice accréditée. Titulaire d’un baccalauréat en droit civil (LL.B.) et d’un Juris Doctor (J.D.) de l’Université de Montréal, elle est conseillère en ressources humaines agréée (CRHA).

Source :

Source : VigieRT, octobre 2018.

1 Chopra c. Canada (Procureur général), [2008] 2 R.C.F. 393.