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Encadrer le travail des jeunes

Une discussion sur le travail des jeunes, ses conséquences pour la persévérance scolaire et la façon de les intégrer sans compromettre leur santé et leur sécurité.
4 avril 2023
37e AVENUE

La moitié des élèves de première secondaire du Québec occupent un emploi à temps partiel. Le cinquième des élèves de première et de deuxième secondaire travaillent même plus de 15 heures par semaine. En contexte de pénurie de main-d’œuvre, la tentation de recruter parmi les (très) jeunes est de plus en plus forte. Quelles sont les conséquences de ce phénomène sur la réussite scolaire, le décrochage et la santé et la sécurité des jeunes qui travaillent? Et quelles sont les responsabilités des organisations qui les embauchent?

L’Ordre des CRHA a récemment réuni un panel pour discuter de ces questions à l’occasion du Rendez-vous Relations au travail 2023. Compte-rendu.

Un projet de loi sur le travail des enfants au Québec

Le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi pour encadrer le travail des enfants. Dans une allocution préenregistrée, Jean Boulet, CRHA, ministre du Travail et ministre responsable de la région de la Mauricie et de la région du Nord-du-Québec, en a rappelé les orientations. Si le fait d’occuper un emploi peut avoir beaucoup d’effets bénéfiques, selon le ministre, notamment en matière d’autonomie et d’estime de soi, il faut garder le cap sur l’essentiel : la réussite scolaire.

« La conciliation études-travail est un enjeu de société important, dit-il. Mais il est évident que la place des jeunes est d’abord et avant tout à l’école et qu’une bonne formation leur garantit un meilleur avenir professionnel. Des études ont également démontré qu’au-delà d’un certain nombre d’heures consacrées au travail chaque semaine, le risque de décrochage scolaire augmente. »

Le ministre espère que la nouvelle loi entrera en vigueur d’ici la prochaine rentrée scolaire, à l’automne. L’Ordre des CRHA compte se prononcer en faveur d’un âge minimum pour travailler et d’un nombre d’heures de travail limité pour les jeunes.

Un phénomène qui prend de l’ampleur

La nouvelle loi arrive à point nommé. Les élèves qui travaillent sont en plus grand nombre qu’auparavant. Ils et elles commencent aussi à travailler plus tôt.

« L’été dernier, je suis allée dans un restaurant, et mon fils de 12 ans s’est fait offrir un emploi en plein souper! » mentionne Me Manon Poirier, CRHA, directrice générale de l’Ordre des CRHA.

La pénurie de main-d’œuvre incite aussi les organisations à offrir plus d’heures de travail à leurs jeunes recrues et à les payer davantage. Ce qui, selon Me Poirier, pourrait avoir des effets négatifs sur la persévérance scolaire.

« C’est un peu la tempête parfaite, poursuit-elle. Avant, quand un jeune allait travailler ou qu’il abandonnait l’école pour accepter un emploi, c’était souvent au salaire minimum. Aujourd’hui, on trouve des jeunes qui décrochent en troisième secondaire parce qu’ils ont trouvé des emplois à 22 $ ou 24 $ l’heure. C’est préoccupant à long terme, quand on considère l’importance de l’éducation pour la société. »

Un bon choix de société?

Les organisations devraient résister à la tentation de pourvoir à tout prix les postes vacants, selon Catherine Leprince, chargée de projet, milieu des affaires, au Comité régional pour la valorisation de l’éducation (CREVALE) de la région de Lanaudière. « Elles ont la responsabilité de valoriser l’obtention d’un diplôme, considère-t-elle, en commençant par le DEP, et ce, malgré la pénurie de main-d’œuvre. »

Me Poirier souligne par ailleurs que l’Ordre se questionne sur l’intérêt, pour la société, de recruter d’aussi jeunes travailleurs et travailleuses. « Il y a encore des groupes d’adultes qui sont sous-représentés en milieu de travail : les personnes en situation de handicap, les autochtones, les personnes expérimentées. Est-ce que la solution des jeunes ne serait pas celle de la facilité? »

Des jeunes vulnérables

En matière de santé et de sécurité au travail, les jeunes constituent une clientèle vulnérable. La CNESST a recensé dans cette catégorie de main-d’œuvre 203 accidents du travail qui ont requis une indemnisation en 2021, une hausse de 36 % par rapport à l’année précédente.

« C’est une préoccupation majeure, souligne Manuelle Oudar, CRHA, présidente-directrice générale de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Les jeunes sont particulièrement à risque parce qu’il s’agit souvent de recrues [au sein d’une organisation]. Nous avons déterminé, à la Commission, que les risques de lésions professionnelles sont plus élevés au cours des premières semaines après l’embauche. »

La nature des emplois confiés à des personnes plus jeunes multiplie aussi les facteurs de risque : manipulation de charges lourdes, travail répétitif, horaires irréguliers. Et si les jeunes travaillent souvent dans le commerce de détail, la restauration et l’hébergement, c’est dans le secteur des soins de santé que l’on observe le plus de lésions professionnelles.

« Les jeunes connaissent moins les méthodes de travail, l’environnement de travail et les risques qu’il comporte, estime Manuelle Oudar. L’organisation doit s’assurer d’informer son personnel au sujet des risques encourus et des mesures de prévention à prendre. »

Prévenir les accidents du travail

Afin de minimiser les risques de lésions professionnelles chez les jeunes, la CNESST s’est dotée d’une stratégie spécifique. Celle-ci inclut notamment deux escouades de prévention, qui visitent les jeunes en milieu de travail et dans les écoles pour les sensibiliser aux enjeux de santé et sécurité au travail. Il existe même un programme de vulgarisation destiné aux enfants du primaire.

Les organisations et les parents doivent aussi faire preuve de vigilance, selon Catherine Leprince. D’abord pour s’assurer que les jeunes occupent des emplois pour les bonnes raisons, puis pour les encadrer efficacement.

« On peut se poser de sérieuses questions sur le niveau de fatigue », dit-elle en parlant des élèves de première et de deuxième secondaire qui travaillent plus de 15 heures par semaine. Elle ajoute que la maturité émotionnelle de ces très jeunes travailleurs et travailleuses n’est pas aussi développée que chez les plus de 16 ans, ce qui requiert un encadrement plus étroit.

Bien intégrer est indispensable

Si l’on souhaite que le travail des jeunes soit bénéfique pour tout le monde, une bonne stratégie d’intégration est indispensable, selon Roxanne Desrochers, CRHA, vice-présidente aux ressources humaines de Coffrages Synergy, une entreprise du domaine de la construction dont les effectifs dépassent les 1500 personnes. L’entreprise a notamment instauré un programme de compagnonnage, à l’intérieur duquel des mentors et mentores accueillent les jeunes sur les chantiers et les conseillent au sujet des techniques de travail. Cette relation de partenariat renforce les connaissances acquises à l’école tout en minimisant le stress qu’ils ou elles peuvent ressentir.

« Cela a considérablement augmenté le sentiment d’appartenance et le taux de rétention », juge-t-elle.

Coffrages Synergy a aussi créé l’Institut Synergy, un programme destiné aux élèves du DEP en charpenterie et menuiserie. Les élèves qui y participent travaillent en usine, dix heures par semaine, dans un quart de soir. Résultat : une meilleure maîtrise des outils et moins d’accidents. Enfin, l’application mobile Synergy transmet un fil d’actualité et de la formation filmée en direct sur les chantiers.

Quant au CREVALE, situé à Joliette, il propose depuis 2006 le programme Oser-Jeunes, destiné aux organisations qui souhaitent embaucher des jeunes pendant l’année scolaire. Ce programme offre une certification à trois niveaux (bronze, argent et or) en matière de conciliation travail-études. Les spécialistes du CREVALE conseillent aussi les entreprises sur les méthodes à adopter pour accéder aux niveaux de certification supérieurs.

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