ressources / revue-rh / archives

Comment éviter le flou artistique...

Si le milieu artistique est caractérisé par la liberté de création, il doit cependant composer avec les limites du talent et des ressources disponibles, des fonds privés ou publics ainsi que des cadres législatifs sur le droit d’auteur et des relations du travail qui lui sont propres.

12 décembre 2011
Louis Senécal, CRHA

Les professionnels de la gestion des ressources humaines peuvent commettre l’erreur d’aborder un dossier impliquant des artistes en ayant recours aux modèles utilisés depuis des décennies dans les relations traditionnelles de travail.  

Les relations du travail dans les milieux traditionnels
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la polarisation domine l’histoire des relations du travail. C’est ainsi que, dans un monde qui simplifie trop souvent des systèmes complexes, la majorité des professionnels des relations du travail se disent d’allégeance soit patronale, soit syndicale. Malheureusement, lorsqu’on fait des regroupements simplistes, toutes les nuances nécessaires à la compréhension du terreau particulier où naissent des questions de relations du travail atypiques sont occultées. L’encadrement juridique du travail des artistes est beaucoup plus subtil.

Simpliste ou non, le cadre traditionnel des relations du travail permet une discussion qui répond à des règles non écrites et à des rôles clairement définis. On connaît les joueurs : l’employeur, le superviseur, le salarié et le syndicat. Les droits de l’employeur, du salarié et du syndicat en cause sont la plupart du temps bien établis. Le salarié a l’obligation de fournir une prestation de travail précise, dans des conditions définies, et doit respecter un cadre juridique pour le faire. En contrepartie, l’employeur a l’obligation de payer pour cette prestation, d’établir des normes de santé et de sécurité, de se soumettre aux normes du travail applicables et, le cas échéant à une convention collective.

Le cadre spécifique aux milieux artistiques
Mais qu’arrive-t-il quand le dossier n’implique pas d’employeur, qu’il ne touche pas un salarié, qu’il inclut des éléments de supervision assumés par un tiers, dont la prestation attendue est plus ou moins définie, et qu’il ne se déroule pas dans un lieu de travail déterminé? On entre alors dans un monde de nuances, d’interprétation dont le cadre est multidimensionnel. Le travail des artistes s’inscrit précisément dans ce territoire des relations du travail qui se définit au fur et à mesure des dossiers, des circonstances et des enjeux. La tentation est grande alors de parler de flou artistique!

Cet état de fait a été reconnu tant au fédéral qu’au provincial depuis nombre d’années. Les analyses et réflexions des intervenants des milieux culturels ont mené à l’adoption de lois cadres dans le domaine de la gestion des relations du travail dans le monde des artistes : la Loi sur le ministère de la Culture et des Communications et la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma. Ces législations ont mené à l’accréditation de plusieurs associations.

Les lois spécifiques au milieu culturel se greffent au cadre législatif traditionnel en relations du travail. En plus, la multitude d’associations reconnues s’ajoute aux centrales syndicales traditionnelles. Devant cette kyrielle de règles et de groupes d’intérêts, le gestionnaire des ressources humaines doit bien situer le débat avant d’analyser ou de recommander une approche dans un dossier.

Une illustration de la réalité
Pour faciliter la compréhension des enjeux liés aux relations du travail dans le monde artistique, voici deux situations concrètes qui permettent de bien comprendre les frontières perméables de ce milieu fascinant.

Un journaliste, membre de l’UDA, dans un milieu de salariés syndiqués
Dans le domaine des médias électroniques, on a parfois à négocier les contrats de chroniqueurs, journalistes et animateurs. Il arrive souvent que des membres de la fédération des journalistes du Québec et de l’Union des artistes travaillent dans un milieu de journalisme syndiqué en vertu du Code canadien du travail.

Doit-on recommander qu’un journaliste agisse à titre de salarié syndiqué dans le cadre d’un contrat collectif de travail? Doit-on plutôt recommander que sa prestation soit fournie dans le cadre d’un contrat de production en vertu des normes applicables aux membres de l’Union des artistes? Doit-on plutôt négocier un contrat de travail de salarié non syndiqué ou un contrat à titre de fournisseur de service non assujetti aux normes régissant les artistes?

Quant au journaliste lui-même, quel est son intérêt dans la qualification du cadre juridique régissant sa prestation de travail? Souhaite-t-il bénéficier de la souplesse fiscale liée à un statut de travailleur autonome, dans le cadre d’un contrat de sous-traitance ou de service? A-t-il avantage à bénéficier de la sécurité liée à un statut de salarié à temps partiel régi par la convention collective? Veut-il imposer les normes précises régissant la prestation d’un artiste sous l’égide de l’Union des artistes?

Pour ce qui est du diffuseur, il est probable que le statut juridique et fiscal de la personnalité qu’il souhaite avoir en ondes est beaucoup moins important que le fait que cette personnalité puisse attirer un auditoire. Souhaite-t-il imposer un cadre de travail spécifique au risque de perdre l’intérêt de cette personnalité? A-t-il besoin d’une main-d’œuvre flexible et spécialisée répondant également à des impératifs financiers limités?

Cet exemple permet de voir comment les divers intérêts en cause sont importants sur le terrain des notions juridiques qui peuvent a priori sembler claires à la lecture des lois. Ainsi, même s’il est clair qu’un artiste au sens de la loi doit d’abord être un « travailleur autonome » et qu’un salarié exerçant le même travail peut être inclus dans le certificat d’accréditation d’un syndicat du domaine de la diffusion, chaque situation exige une analyse détaillée et force les intervenants en cause à s’entendre.

Certaines questions fondamentales peuvent guider l’analyse :

  • Qui retient les services? Un producteur ou un employeur?
  • Qui paie la prestation? Le diffuseur, le producteur, un tiers?
  • Qui doit fournir la prestation? Un travailleur autonome au service de plusieurs diffuseurs ou producteurs? Une personne salariée?
  • S’agit-il d’une prestation qui permet une grande liberté créative ou qui répond à des normes spécifiques liées à la forme et au contenu?
  • Cette prestation pourrait-elle être offerte par plusieurs personnes possédant le même niveau d’expertise ou est-elle exclusive à la personne visée?
  • Quel est le niveau de supervision de la prestation et quel est le statut du superviseur?
  • Quelles sont les ressources nécessaires et à qui appartiennent-elles?
  • Sur toutes ces questions, quelle est l’opinion des organisations syndicales, de celui qui retient les services et de celui qui offre sa prestation?

Certes, ces questions permettent une analyse plus poussée, mais il est impossible de donner une recette infaillible qui permet de statuer facilement sur le cadre juridique spécifique à une situation donnée.

Un technicien du cinéma salarié travaillant sur un plateau
Le nombre d’intervenants requis pour une production cinématographique est impressionnant et laisse entrevoir, à première vue, des complexités contractuelles et juridictionnelles (voir graphique ci-dessous).

Voici un exemple...
Les dernières années ont été le forum d’un litige juridictionnel entre deux organisations syndicales dans le secteur des techniciens travaillant sur les plateaux de cinéma : l’Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son et l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre et de cinéma.

Mais des développements technologiques importants changent maintenant le rôle des maisons de services techniques qui regroupent parfois des salariés syndiqués sous l’égide du Code du travail du Québec. Ainsi, il arrive de plus en plus souvent que des techniciens de maisons de services techniques doivent physiquement exercer une partie ou la totalité de leur travail à partir d’un plateau de tournage. La question est de savoir si ces techniciens salariés déjà membres d’un syndicat doivent payer une cotisation syndicale à l’une ou l’autre des deux organisations syndicales qui représentent les techniciens de plateau de cinéma, et ce, en plus de leur cotisation d’origine.

Encore une fois, la réponse à cette question dépend de la personne qui la pose. Le producteur américain qui débarque à Montréal avec un budget significatif et un échéancier serré souhaite-t-il que ce débat juridictionnel vienne compliquer son travail? Il est probable qu’il voudra rapidement trouver une solution financière qui lui permettra d’aller de l’avant. Bien que les syndicats des maisons locales de services techniques puissent légitimement défendre leur juridiction sur ce terrain nouveau, celles-ci restent conscientes de l’importance de l’image de Montréal comme destination de choix pour les producteurs américains, dont les budgets dépassent largement les budgets locaux. Une perception de conflit de juridiction dans le milieu du cinéma a déjà coûté cher à Montréal; mais ce fait peut-il justifier que le cadre des relations du travail national soit mis de côté afin de profiter d’une manne économique générant des emplois bien rémunérés dans un domaine de pointe?

Conclusion
Les milieux artistiques québécois contribuent activement l’identité nationale. C’est certainement pour cette raison qu’au cours des récentes années, on a voulu protéger ses artisans. Il est évident que ces nouvelles règles jouent un rôle important dans l’établissement des rapports entre employeurs ou donneurs d’ouvrage et artisans, qu’ils soient syndiqués, travailleurs autonomes ou salariés non syndiqués. L’important est donc de bien analyser le contexte en place pour pouvoir éventuellement agir stratégiquement dans ce domaine.

Louis Senécal, CRHA, avocat

Source : Effectif, volume 14, numéro 5, novembre/décembre 2011.


Liste d’associations représentant les intervenants du milieu culturel

  • Alliance numériQC - Réseau de l’industrie numérique du Québec
  • Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists
  • Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son
  • Alliance internationale des employés de scène, de théâtre et de cinéma
  • Association des compagnies de théâtre
  • Association des galeries d’art contemporain
  • Association des producteurs de films et de télévision du Québec
  • Association des producteurs de théâtre privé
  • Association des professionnels des arts de la scène du Québec
  • Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec
  • Association nationale des éditeurs de livres
  • Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo
  • Association québécoise des auteurs dramatiques
  • Canadian Actor’s Equity Association
  • Conseil des métiers d’art du Québec
  • Conseil du Québec de la Guilde canadienne des réalisateurs
  • Conseil québécois de la musique
  • Conseil québécois des arts médiatiques
  • Conseil québécois du théâtre
  • Festivals et événements Québec
  • Guilde des musiciens et musiciennes du Québec
  • Regroupement des artistes en arts visuels du Québec
  • Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec
  • Regroupement national des arts du cirque
  • Regroupement québécois de la danse
  • Réseau indépendant des diffuseurs d’événements unis
  • Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique
  • Société des auteurs de radio, télévision et cinéma
  • Société des musées québécois
  • Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada
  • Société pour la promotion de la relève musicale de l’espace francophone
  • Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec
  • Théâtres Unis Enfance Jeunesse
  • Théâtres Associés Inc.
  • Union des artistes
  • Union des écrivaines et écrivains du Québec
  • Writers Guild of Canada

Source : Effectif, volume 14, numéro 5, novembre/décembre 2011.


Louis Senécal, CRHA Vice-président - services RH aux membres Conseil du patronat du Québec (CPQ)