ressources / revue-rh / archives

Du leadership transformationnel au leadership collaboratif

Depuis que James McGregor Burns (1978) et Bernard Bass (1985) ont introduit la notion du leadership transformationnel, qu’ils différencient alors du leadership transactionnel, plusieurs centaines d’articles ont été publié sur le sujet. À cette époque, l’augmentation de la rapidité des changements et la croissance des enjeux de compétitivité apportaient leur lot de bouleversements et les modèles traditionnels de gestion étaient de plus en plus remis en question. Le leadership transformationnel apparaissait comme une voix prometteuse pour permettre aux gestionnaires et dirigeants de guider leur organisation vers le succès.

7 juillet 2014
Étienne Beaulieu, CRHA | Julie Bourbonnais

Rappelons que le leader transactionnel, axé sur les tâches, la résolution de problèmes et l’action s’appuie sur les normes, principes, récompenses et punitions. C’est le modèle du superviseur responsable, qui planifie, oriente, dirige et contrôle. À l’opposé, le leader transformationnel combine charisme, vision inspirante, stimulation intellectuelle et considération pour les individus. Visionnaire, il est capable de mobiliser les troupes et de reconnaître leur contribution.

De nombreuses recherches scientifiques tendent à démontrer que le leadership transformationnel est davantage lié à l’efficacité organisationnelle et à des comportements citoyens chez les employés. Ainsi, de nombreux programmes de développement de cadres ont été mis en place afin d’améliorer les capacités associées au leadership transformationnel, telles les habiletés stratégiques, de communication et de mobilisation.

Le leadership transformationnel: toujours pertinent aujourd’hui?
Toutefois, force est d’admettre que les bouleversements se sont encore accentués dans le milieu des affaires : enjeux complexes où les meilleures pratiques ne suffisent plus, course à la compétitivité qui passe par l'innovation continue, guerre des talents et gestion de la diversité à l'ère de l'internationalisation et des réseaux sociaux, émergence de nouveaux modèles d’affaires et d'une économie parallèle basée sur le partage de produits et de services.

La réalité des organisations s’est donc drôlement transformée en une génération! Il n’y a pas si longtemps, on parlait de changements planifiés, de planification stratégique sur cinq ans, de diagnostics organisationnels qui cherchaient la cause des difficultés, comme si tout était pour se régler par l’application d’une solution désignée (un programme de reconnaissance, par exemple). Toutefois, plusieurs ont appris qu’il suffit d’un changement de dirigeants, d’un compétiteur agressif, d’une innovation du marché, d’employés récalcitrants, de souci d’optimisation ou de nouveaux outils ou processus pour tout faire dérailler. L’agilité et la résilience sont devenues essentielles pour perdurer dans un monde du travail connecté, interdépendant et en constante évolution.

Dans ce contexte, demander au plus grand nombre de leaders d’être transformationnels, est-ce la voie à suivre? On ne peut nier que la capacité de communiquer, d’inspirer et de reconnaître les contributions individuelles tout en stimulant intellectuellement les équipes dans le travail peut avoir des répercussions très positives tant sur le bien-être des employés que sur la performance organisationnelle. Par contre, est-ce raisonnable de demander aux gestionnaires d’être à la fois inspirants, stratégiques et empathiques? Le cynisme croissant noté dans les organisations serait-il lié aux attentes déçues suite à l’arrivée d’un leader faillible, qu’on attendait comme un super-héros? Par ailleurs, la culture d’innovation actuelle nécessite de travailler au sein de réseaux en constante mutation. Faire reposer la stratégie et la mobilisation des employés d’une organisation sur les épaules d’un leader, aussi inspirant soit-il, apparaît risqué.

Enfin, de nombreuses entreprises, en voulant à leur tête un leader dit transformationnel, se sont laissé séduire par la vision inspirante d’un dirigeant qui s’est avéré plutôt inefficace à long terme. La soif du pouvoir et le narcissisme d’individus brillants et articulés causent souvent, après une période de lune de miel, une désillusion et une perte de mobilisation importante des employés, avec toutes leurs conséquences néfastes.

Le leadership collaboratif
Le leadership collaboratif est proposé comme une alternative prometteuse pour faire face à ces nombreux défis. Il s’agit d’une façon de s’organiser, de collaborer et de travailler qui permet une meilleure gestion de la complexité, une plus grande capacité à innover et une façon de neutraliser les enjeux de pouvoir.

Le leadership collaboratif puise ses racines dans un paradigme qui considère les organisations comme des systèmes vivants (plutôt que comme des machines), dans les approches open source et dans la culture wiki. Cette conception du leadership repose sur quatre principes fondamentaux : 1) une grande diversité de talents, 2) mise au service d’un projet commun nécessaire, audacieux et bien ciblé, 3) soutenue par une structure ou des systèmes efficaces et agiles, 4) ayant comme valeurs essentielles la bienveillance et la recherche de solutions.

Le processus décortiqué
La première étape consiste à convier les différentes parties de l’écosystème de l’organisation à participer à la définition d’une vision, d’un projet ou d’un changement ciblé. Des questions importantes et audacieuses doivent être à la base de l’invitation, car la première phase du processus implique une exploration des « possibles ».

Comme dans la nature, une plus grande diversité de points de vue et de contributions est garante de résilience, de créativité et de capacité d’adaptation. Ainsi, il est important d’inviter des gens ayant une variété de points de vue et d’expérience.

Lors de cette première étape, il est essentiel d’élaborer une vision audacieuse, inspirante en se basant sur les talents présents, les besoins réels du milieu et les aspirations authentiques des participants. Elle aura ainsi plus tendance à perdurer dans le temps.

Ensuite, par un processus relativement structuré, se succèdent des périodes d’exploration d’actions, d’expérimentation, de mise en action et d’ajustements en continu. On utilise pour ce faire une panoplie de méthodologies qui rétablissent le dialogue, favorisent la créativité et la responsabilisation (World café, Forum ouvert, etc.).

Des ingrédients clés pour réussir
Ce processus, en apparence simple, crée des périodes souvent appelées zones d’angoisses. La diversité de points de vue bouscule souvent les idées reçues et crée un univers de possibilités qui peuvent être déstabilisantes. Il est important de reconnaître ces périodes comme étant essentielles à l’émergence de solutions plus adaptées et durables.

D’autre part, la structure doit offrir des repères, sans alourdir inutilement le processus. Exit les ordres du jour détaillés à la minute près, les procès-verbaux et les plans d’action super précis. En clarifiant les objectifs visés, les contributions attendues, les indicateurs clés et en effectuant un suivi des décisions et des engagements majeurs, l’équilibre entre la rigueur et l’agilité est plus facilement atteint.

Enfin, la bienveillance est une des clés du leadership collaboratif. Avoir le souci des autres, reconnaître la contribution de chacun et débattre des idées sans attaquer la personne sont des règles qui doivent être renforcées afin de permettre la cohésion et la confiance.

Le rôle du gestionnaire demeure évidemment important, mais largement modifié. Il doit maîtriser l’art de poser des questions percutantes et utiles, plutôt que d’avoir toutes les réponses. Il doit savoir inviter, plutôt que convoquer. Enfin, il doit voir à la création et au maintien des conditions nommées plus haut pour permettre une culture facilitant l’émergence de solutions.

Des exemples en sol québécois
Afin d’expliquer concrètement de quoi il s’agit, examinons quelques exemples d’applications et de succès concrets.

L’Insectarium de Montréal
Anne Charpentier, directrice de l’Insectarium, a expérimenté la cocréation et le leadership collaboratif en s’inspirant d’un processus plus large vécu à l’Espace pour la vie (regroupant le Biodôme, le Jardin Botanique, l’Insectarium et le Planétarium Rio Tinto Alcan). L’Insectarium, dont la popularité croissante dépasse sa capacité actuelle, doit être agrandi. La directrice, appuyée par le directeur général de l’Espace pour la vie, interpelle employés, collaborateurs et citoyens : comment créer un nouvel Insectarium qui ferait vivre des expériences sensorielles et des rencontres inédites qui ravivent le rapprochement humain/insecte, afin de créer un lien émotif indispensable à notre avenir comme être humain? Plus spécifiquement, tous sont invités à réfléchir aux questions suivantes :

  • Qu’est-ce qui n’a pas encore été fait?
  • Si les insectes nous invitaient dans leur monde, à quoi serions nous conviés?
  • À quoi ressembleraient des expériences vraiment significatives pour nous rapprocher des insectes?
  • Comment l’espace et l’architecture peuvent-ils contribuer à cette expérience?

Lors de divers forums, employés de l’Insectarium et des autres institutions de l’Espace pour la vie, designers, muséologues, philosophes, artistes, entomologistes, documentaristes et citoyens se sont rassemblés pour cocréer les nouveaux espaces. Le concept a ainsi été développé et raffiné, sur une période d’un an, sans que personne ne puisse s’attribuer la paternité du projet. Il s’agit vraiment d’un effort collectif, qui a combiné discussions en grand groupe, prototypage, analyses, validation et enrichissement par l’ensemble des parties prenantes. Malgré la crainte des premiers mois de ne pas pouvoir concrétiser le projet à temps, le concept développé dépasse toutes les attentes et est présentement soumis à un concours d’architecture international prestigieux. Ce qui est le plus étonnant, c’est qu’aucune résistance n’a été observée de la part d’employés, de collaborateurs ou de l’administration tout au long de la démarche. L’audace, l’authenticité, la nécessité du projet et la bienveillance ont permis cette exploration inusitée et stimulante, malgré la structure administrative bureaucratique extrêmement lourde de la Ville de Montréal.

Laboratoires d’innovation
Par ailleurs, de nombreux laboratoires d’innovation, qui s’appuient sur les principes du leadership collaboratif, sont en croissance au Québec. L’Hôpital Sainte-Justine a fait grand bruit en février avec son événement Hacking Health, un hackathon qui a rassemblé des professionnels de la santé et des hôpitaux, des informaticiens et des designers pour créer ensemble des solutions numériques pour améliorer le quotidien des mères et des enfants malades. Autre exemple, Québec en mode solutions est une organisation qui rassemble des joueurs de différentes industries autour de problématiques complexes, afin de trouver des solutions innovantes, via un processus de réflexion et de prototypage rapide. Ces laboratoires proposent tous des processus où diversité, projet commun, structure agile et expérimentation sont combinés pour produire des résultats fascinants en très peu de temps.

Conclusion
Le leadership collaboratif est donc une manière de créer et de mettre en œuvre des projets qui ne s’appuient pas uniquement sur les épaules des leaders, ni sur des normes établies. Il va au-delà de la consultation, de la consolidation d’équipe ou de l’amélioration du climat de travail. Il s’agit plutôt d’une manière différente de travailler et de structurer le travail qui permet l’innovation et aide les gens à retrouver le sens de leur contribution. Toutefois, il va sans dire que cela risque de remettre en question les processus de sélection des gestionnaires, les programmes de développement du leadership et la nature même des structures des organisations.

Il est impossible de contraindre qui que ce soit à changer. Le changement vient de l’intérieur. À moins d’inventer des façons qui permettent à un grand nombre de faire l’expérience personnelle du changement de paradigme, l’évolution demeurera un mythe.
– Éric Trist

Julie Bourbonnais, Ph. D., psychologue organisationnelle, Grisvert
Étienne Beaulieu, CRHA, associé, Grisvert

Source : Effectif, volume 17, numéro 3, juin/juillet/août 2014.


Author
Étienne Beaulieu, CRHA Associé - Stratégie et transformation organisationnelle Humance

Étienne est associé et leader de la pratique à la stratégie et transformation organisationnelle chez Humance, une firme-conseil qui allie stratégies d’affaires et stratégies humaines afin d’aider les organisations à faire émerger une culture porteuse et engageante qui stimule la performance.

Guide expérimenté en eaux vives, Étienne accompagne depuis plus de 25 ans des leaders et des gestionnaires devant faire face à des défis et à des enjeux stratégiques de taille au sein de leur organisation.

Il a recours à des approches novatrices et participatives qui permettent d’atteindre les résultats attendus, même dans les situations les plus critiques. Gardant le cap sur les objectifs d’affaires, il favorise des solutions qui créent des conditions favorables à la mobilisation et à l’engagement d’un maximum de personnes.

Citoyen du monde passionné et engagé, il a le privilège d’avoir découvert les peuples et les cultures de plus d’une trentaine de pays au cours de plusieurs voyages. Enfin, il est papa de deux filles qui le comblent de bonheur.


Author
Julie Bourbonnais Psychologue organisationnelle, associée Hors Piste
Julie Bourbonnais est détentrice d’un doctorat en psychologie organisationnelle et possède 20 ans d’expérience comme gestionnaire, conseillère, formatrice, coach et animatrice. Elle affectionne particulièrement les démarches qui permettent d’innover pour résoudre des problèmes complexes et accélérer les transformations requises. Au fil des ans, elle a travaillé de près avec de nombreuses organisations - privées, publiques et à but non lucratif, petites et grandes, dans les secteurs culturel, manufacturier et de services - désirant optimiser leurs résultats d’affaires en créant des environnements de travail sains, dynamiques, rigoureux et collaboratifs. Elle considère aujourd’hui essentiel d’aider les cadres, employés et conseillers à mieux reconnaître et contrer rapidement les comportements toxiques qui font trop souvent des ravages en entreprise. La sauvegarde du meilleur de l’être humain – sa créativité, son humanité, son ingéniosité – est au cœur de ses préoccupations.