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Femmes en finance du Québec : un modèle réussi de mentorat

La montée des femmes dans les postes de direction n’a rien d’une marche tranquille. Le plafond de verre existe toujours. Selon une étude de la firme McKinsey réalisée en 2011, à leur entrée sur le marché du travail, les femmes représentent 53 % de la main-d’œuvre. Elles composent ensuite 40 % de la population de gestionnaires, 35 % des directeurs, 27 % des vice-présidents, 24 % des vice-présidents principaux, 19 % des cadres supérieurs et seulement 5 % des PDG de la liste Fortune 500.

6 décembre 2015
Yvon Chouinard, CRHA, Distinction Fellow

Au Canada, selon une autre étude publiée par TD Economics, les conseils d’administration des compagnies listées sur l’indice boursier S&P/TSX, soit les grandes compagnies publiques, ne comptaient que 11 % de femmes.

Et pourtant, la justification économique n’a jamais été aussi forte. En effet, le Conference Board américain, dans un rapport publié en 2014, révèle que les entreprises qui comptent un pourcentage plus élevé de femmes dans les postes de leadership que leurs comparables ont une meilleure performance financière.

Plus de femmes aux commandes

Voilà des données qui alimentent la mobilisation de la présidente de l’Association des femmes en finance du Québec (AFFQ), Dana Ades-Landy. Quotidiennement, elle milite pour qu’un plus grand nombre de femmes accèdent aux conseils d’administration des entreprises cotées en bourse. Mais ce n’est pas sa seule préoccupation. Il y a quelques années, elle a réalisé qu’il fallait aussi aider les femmes œuvrant en finance à progresser dans leur carrière ; le mentorat lui est apparu comme l’outil le mieux adapté pour y arriver.

Or, comme peu de membres ont accès à un programme de mentorat structuré dans leur propre organisation, Dana Ades-Landy a décidé de contourner cet obstacle en proposant de jumeler des mentors et des mentorées provenant d’entreprises différentes, parfois même en concurrence.

D’abord, un projet pilote

Le programme fut conçu et mis en place en 2013, en employant exclusivement des ressources bénévoles. Avant d’offrir le programme à tous les membres de l’AFFQ, le comité de mentorat a estimé plus prudent d’expérimenter le processus dans le cadre d’un projet pilote avec une cohorte initiale de douze dyades.

Devant le succès remporté par le projet pilote – un fait démontré clairement lors de l’évaluation du programme –, le programme fut ensuite proposé à un plus grand nombre de membres. En 2014, plus d’une vingtaine de nouvelles dyades ont été créées et il semble que le comité de mentorat soit en mesure de maintenir ce rythme pour les années à venir.

La coordination essentielle

Aucun programme de mentorat ne peut survivre et atteindre ses objectifs sans la présence d’un système de coordination qui veille à ce que les mentors et les mentorés y trouvent leur compte, et qui anticipe et règle tout problème qui pourrait survenir dans les relations mentorales.

Dans son rôle de co-chef mentor, Lucie Rousseau, coach de gestionnaires bien connue, affirme que plusieurs éléments sont déterminants dans le succès du programme de l’AFFQ. « Au départ, nous apportons un grand soin à la sélection et au pairage des dyades. Le mentor doit avoir bien décrit ce qu’il peut offrir dans le profil qu’il nous fournit lors de son recrutement. À cet égard, nous recherchons des mentors prêts à s’investir avec générosité. Puis, nous faisons un suivi rigoureux et régulier auprès de tous les mentors pour nous assurer qu’ils se sentent soutenus et appréciés. Ce suivi est fait dès les premiers mois de la relation afin de vérifier que les dyades sont bien amorcées ; il se prolonge tout au cours de la relation mentorale. De plus, les mentors bénéficient d’un forum d’échanges dans le cadre de formations additionnelles ultérieures. »

Jasmine Adhami, conseillère juridique chez Cogeco Câble qui agit comme co-chef mentorée, dit d’abord s’assurer que les mentorées comprennent le temps qu’elles devront investir pour elles-mêmes durant une année. « De plus, nous leur demandons de remplir un formulaire dans lequel elles décrivent leurs attentes et leurs besoins. La qualité de leurs réponses nous indique le sérieux de leur démarche. Puis, nous effectuons un suivi rigoureux et régulier auprès de toutes les mentorées afin d’évaluer si elles demeurent alignées sur leurs objectifs et si elles évoluent bien dans le programme. Finalement, il est important que les mentorées reconnaissent le caractère confidentiel des discussions qu’elles ont avec leur mentor ou la co-chef mentorée qui les suit, afin de favoriser la présence d’un climat de confiance propice aux échanges et aux réflexions profondes. »

L’importance de recruter de bons mentors

Sachant que le recrutement de bons mentors est la pierre angulaire de son programme, l’AFFQ a recherché l’appui formel de la Caisse de dépôt et de placement du Québec et la participation d’autres grandes organisations qui possèdent un bassin très riche de cadres supérieurs susceptibles de devenir des mentors talentueux. Un tiers des mentors du programme de l’AFFQ sont des hommes. Chaque année, lors de son gala annuel, l’AFFQ reconnaît la contribution des mentors avec son prix du Grand Mentor.

Nécessité de former préalablement les mentors et les mentorées

Même si les mentors sélectionnés pour accompagner les mentorées sont tous des personnes de grande expérience, il fut établi dès le départ que la préparation des mentors et des mentorées étaient un facteur crucial pour favoriser le succès des relations mentorales. Les participants ont donc droit à une formation ciblée qui précise les rôles de chacun tout en les initiant au mentorat lui-même.

Une autre activité de développement des mentors est également tenue pour les mentors environ six mois après le début de leur relation mentorale. Cette rencontre est surtout l’occasion pour les mentors d’échanger leurs points de vue relativement à leur expérience de mentor et aux défis qu’ils doivent relever à cet égard.

Encadrement déontologique des relations

En raison de la nature très ouverte du programme qui associe des personnes provenant de diverses entreprises, l’AFFQ a créé un code de déontologie qui encadre les relations en plus d’une convention de mentorat qui spécifie clairement les rôles du mentor et de la mentorée ainsi que l’importance de la confidentialité de leurs échanges.

Évaluation du programme

Ne laissant rien au hasard ou à la chance, il a été décidé dès le départ que le programme serait évalué en deux étapes. La première étape est constituée d’entrevues relativement courtes comportant seulement quelques questions pour évaluer le degré de satisfaction après quelques mois et identifier tout problème existant dans la relation mentorale. Dans un tel cas, il est alors possible d’apporter du soutien immédiat au mentor ou à la mentorée.

La deuxième évaluation consiste en un questionnaire relativement élaboré administré de façon anonyme aux mentors et aux mentorées et qui mesure la majorité des composantes du programme ainsi que la qualité et le taux de satisfaction par rapport aux relations et à l’atteinte des objectifs.

Les leçons à retenir

Le programme de l’AFFQ semble un véritable modèle à suivre, autant par les associations professionnelles que par les entreprises qui souhaitent implanter un programme de mentorat. Succès d’autant plus remarquable, qu’il a été mis sur pied et géré strictement par des bénévoles.

Parmi les leçons à tirer de l’expérience de l’AFFQ, en voici un certain nombre qui peuvent servir d’inspiration :

  • bien définir les objectifs du programme et les partager dans l’organisation ;
  • bâtir des cohortes – sur une base annuelle par exemple – au lieu de créer des dyades au fur et à mesure, afin de concentrer les activités de formation, de suivi et d’évaluation ;
  • créer un comité de mentorat – qu’on peut aussi nommer comité de pilotage – qui facilite le jumelage des mentors et des mentorés et qui soutient les activités de coordination du programme ;
  • recruter les mentors individuellement au lieu de faire un appel à tous ; une telle approche élimine les problèmes d’ordre politique et permet de recruter les meilleurs mentors possible ;
  • mettre en place un système de coordination où les responsabilités sont clairement articulées ; cela peut être une personne ou quelques-unes ;
  • donner aux mentors et mentorés une formation initiale qui leur permet de bien comprendre leurs rôles respectifs dans le déroulement de la relation mentorale ;
  • permettre aux mentors de partager leur vécu mentoral dans le cadre de formations complémentaires ou d’activités de codéveloppement ;
  • faire une évaluation de l’état des dyades au bout de 90 jours environ, afin de s’assurer que les relations problématiques sont rapidement identifiées et corrigées ;
  • mener un sondage auprès des mentors et des mentorés à la fin de la relation pour évaluer les divers aspects du programme et des relations mentorales et faire des ajustements si nécessaire.

Yvon Chouinard, CRHA, président, Isotope Conseil inc.

Source : Effectif, volume 18, numéro 5, novembre/décembre 2015.


Références bibliographiques

  • Joanna Barsh et Lareina Yee (2012). Unlocking the Full Potential of Women at Work, McKinsey & Company et The Wall Street Journal’s Executive Task Force for Women in the Economy.
  • Beata Caranci, Leslie Preston et Andrew Labelle. (2013). Get on Board Corporate Canada. Greater transparency needed for gender diversity on Canadian boards. Special Report. TD Economics.
  • Evan Sinar, Richard Wellins, Rebecca L. Ray, Amy Lui Abel et Stephanie Neal (2014). The Global Leadership Forecast (GLF) 2014 | 2015, Ready-Now Leaders: Meeting Tomorrow’s Business Challenges. The Conference Board and Development Dimensions International.

Author
Yvon Chouinard, CRHA, Distinction Fellow Conseiller en mentorat Yvon Chouinard

Yvon Chouinard, CRHA, Distinction Fellow, est conseiller en mentorat. Il œuvre activement comme bénévole à Mentorat Québec au sein de son comité Veille et Recherche. Il est en particulier rédacteur en chef de La Sentinelle mentorale qui est publiée en janvier lors du Mois du mentorat.