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Impact de la rémunération variable sur l’engagement des employés

La rétention du personnel est devenue un enjeu clé pour de nombreuses entreprises québécoises. Le développement d’un fort niveau d’engagement organisationnel chez les employés se révèle une stratégie gagnante à cet égard.

20 février 2012
Émilie Lavoie, Stéphane Renaud et Lucie Morin

En effet, la littérature démontre clairement que les employés qui présentent un niveau élevé d’engagement envers leur organisation ont une plus faible propension à quitter leur employeur. Les entreprises ont donc tout intérêt à cultiver ce sentiment chez leurs employés afin de favoriser leur fidélisation.

Par ailleurs, plusieurs études scientifiques constatent que les individus qui présentent une satisfaction globale élevée à l’égard de leur emploi sont ceux qui démontrent le plus haut niveau d’engagement organisationnel, et cette satisfaction repose sur plusieurs aspects, dont la rémunération.

L’engagement affectif d’abord…
Pour les chercheurs Porter, Steers, Mowday et Boulian (1974), l’engagement organisationnel correspond à « la force relative de l’identification d’un individu et à son implication dans une organisation particulière » (traduction libre). Trois aspects sont reliés à l’engagement organisationnel dans cette définition : une forte croyance dans les objectifs et les valeurs de l’entreprise, la volonté de l’employé de faire des efforts supplémentaires pour son organisation et, enfin, son fort désir de préserver sa citoyenneté organisationnelle. Ainsi, l’individu non seulement s’identifie à une organisation, mais il en partage aussi les valeurs et les objectifs et le maintien de sa citoyenneté organisationnelle provient de sa propre volonté. Il s’agit d’une définition essentiellement unidimensionnelle, puisqu’elle ne considère pas les facettes sous-jacentes à l’engagement organisationnel.

Pour leur part, Allen et Meyer (1990) pensent aussi que l’engagement organisationnel est un état psychologique vécu liant l’individu à l’organisation. Toutefois, ils le considèrent comme un concept multidimensionnel. Ils précisent qu’un individu peut ressentir trois types d’engagement envers un employeur : affectif, de continuité et normatif. Ces trois sentiments ne seraient pas nécessairement vécus simultanément par un employé, ni de la même façon par chaque individu.

L’engagement affectif fait référence à un attachement émotif à l’organisation. L’individu qui manifeste ce type d’engagement éprouve un sentiment d’appartenance et d’identification à l’entreprise ainsi qu’un haut degré d’implication dans l’organisation. Il veut rester dans l’entreprise.

D’autre part, l’engagement de continuité est un attachement calculé. L’individu demeure dans l’entreprise afin d’éviter d’être pénalisé par les coûts associés à son départ ou s’il ne perçoit pas d’autres solutions.

Enfin, l’individu qui manifeste un engagement normatif éprouve un attachement de loyauté, c’est-à-dire qu’il reste chez son employeur parce qu’il ressent une obligation, un devoir de demeurer au sein de cette entreprise.

Les résultats de nombreuses études scientifiques indiquent que c’est l’engagement affectif qui est le plus significatif en regard de la rétention. Un faible engagement affectif chez un individu influera beaucoup plus sur son intention de quitter son entreprise que l’inverse.

Et la rémunération variable?
Comme on le sait, la rémunération variable réfère à toute forme de rémunération accordée à un individu ou à un groupe d’individus, autre qu’un taux de base ou un salaire, dans laquelle les versements fluctuent dans le temps selon certains critères de performance qualitatifs ou quantitatifs, prédéterminés ou non, généralement associés à une performance individuelle, de groupe ou d’entreprise (ISQ, 2000).

La rémunération variable peut prendre différentes formes. St-Onge et Thériault (2006) proposent trois catégories de régimes de rémunération variable : le régime basé sur le rendement individuel (prime individuelle, commission, rémunération à la pièce), le régime basé sur le rendement collectif à court terme (prime d’équipe, partage des gains de productivité, partage du succès et participation aux bénéfices) et le régime basé sur le rendement collectif à long terme (régime d’octroi ou d’achat d’actions, régime d’option d’achat d’actions et plan d’actionnariat salarié).

L’adoption de régimes de rémunération variable par les entreprises serait à la hausse. Autrefois réservés aux professionnels et aux cadres des entreprises, ces régimes sont de plus en plus offerts à l’ensemble des employés. Ainsi, une étude récente réalisée par des chercheurs québécois démontre que 35,5 % des entreprises canadiennes disent offrir un régime de rémunération variable à leurs employés (Cloutier, Morin et Renaud, 2010).

Enfin, les régimes de rémunération variable présentent de nombreux avantages pour les entreprises. En effet, ils contribuent à la réduction des coûts fixes de la main-d’œuvre, augmentent le rendement des employés en liant une partie de leur rémunération à leur performance et permettent de mieux récompenser certains comportements attendus chez les employés (Cloutier, Morin et Renaud, 2010; St-Onge et Thériault, 2006). La rémunération variable améliore aussi, en général, la performance et la productivité des entreprises.

Lien entre la satisfaction envers la rémunération variable et l’engagement organisationnel
Une étude a été effectuée auprès des nouveaux employés embauchés entre avril et septembre 2009 par une entreprise du secteur des nouvelles technologies d’envergure internationale, située à Montréal. Les résultats dont il est fait état dans les lignes suivantes reposent sur les réponses de 141 employés.

L’étude consistait à mesurer la satisfaction des employés envers trois régimes de rémunération offerts par l’entreprise soit : les régimes de bonis, les régimes de partage des bénéfices et les régimes d’actionnariat.

Dans cette étude, seule la dimension affective de l’engagement a été mesurée. Les employés devaient se prononcer sur les six énoncés suivants :

  • J’éprouve vraiment un sentiment d’appartenance envers ABC.
  • ABC représente beaucoup pour moi.
  • Je suis fier d’appartenir à ABC.
  • Je ne me sens pas affectivement attaché à ABC.
  • Je n’ai pas vraiment le sentiment de « faire partie de la famille » dans l’entreprise.
  • Je ressens vraiment les problèmes d’ABC comme si c’était les miens.

Les employés devaient répondre en utilisant une échelle de 1 (tout à fait en désaccord) à 7 (tout à fait en accord). La satisfaction et l’engagement affectif ont été mesurés trois fois : au temps 1 (181 répondants, soit un taux de réponse de 72 %), au temps 2 (145 répondants parmi les précédents, soit un taux de réponse de 80 %) et au temps 3 (141 répondants pour un taux de réponse de 97 %). Certains autres facteurs pouvant affecter l’engagement organisationnel des employés ont aussi été mesurés afin de pouvoir isoler l’effet de la satisfaction sur l’engagement.

Des résultats révélateurs
L’utilisation de données recueillies en trois étapes a permis de s’assurer du lien de causalité entre la satisfaction envers les trois régimes de rémunération variable et l’engagement affectif des employés. Les résultats révèlent que c’est la satisfaction envers les régimes de bonis qui fait augmenter le plus l’engagement affectif des employés. La satisfaction envers les régimes d’actionnariat vient également affecter positivement le niveau d’engagement organisationnel des travailleurs, mais dans une moindre mesure que la satisfaction envers les régimes de bonis. Enfin, de façon surprenante, les résultats n’indiquent aucun lien significatif entre la satisfaction envers les régimes de partage des bénéfices et l’engagement organisationnel affectif. Chez cet employeur, la satisfaction envers les régimes de partage des bénéfices n’a donc pas fait augmenter l’engagement organisationnel affectif de nouveaux employés durant les dix-huit premiers mois de leur emploi.

Pistes d’amélioration
Afin de favoriser le développement de l’engagement organisationnel, les gestionnaires des ressources humaines devraient porter une attention particulière à la façon dont le régime de rémunération variable au sein de leur entreprise est conçu. Les résultats suggèrent que les liens entre l’effort fourni par l’employé, la performance qu’il atteint dans le cadre de son travail et la récompense qui en résulte doivent être clairs et explicites aux yeux des salariés si l’on veut favoriser le développement de l’engagement organisationnel.

Dans le cadre des régimes de bonis, ces liens sont en général directs pour les employés, l’atteinte et le dépassement des objectifs de travail dépendant d’eux-mêmes (Cloutier, Morin et Renaud, 2010). Ces régimes permettent aux employés d’améliorer leur rémunération en contrepartie d’une performance attendue sur laquelle ils ont un effet direct, ce qui rend le contrat de travail plus optimal à leurs yeux. Ils sont alors plus motivés à s’impliquer.

Par ailleurs, pour atteindre l’objectif visé, soit développer l’engagement organisationnel, le régime de rémunération variable d’une entreprise doit offrir des sommes suffisamment significatives pour inciter les individus à déployer des efforts supplémentaires dans leur travail, ce qui correspond justement à une partie de la définition de l’engagement organisationnel.

Aussi, il est primordial que l’entreprise mette à la disposition des employés les outils et le soutien nécessaires pour aider les employés à atteindre leurs objectifs de travail. Le soutien organisationnel perçu par les employés est un facteur majeur dans le développement de l’engagement. Finalement, les régimes de rémunération variable pourraient être aussi utilisés en conjonction avec d’autres pratiques de gestion des ressources humaines, telles la formation et le développement, comme levier d’engagement organisationnel.

Conclusion
Cette étude démontre que c’est la satisfaction envers les régimes de bonis qui a le plus grand impact positif sur l’engagement affectif des travailleurs, suivie par la satisfaction envers les régimes d’actionnariat. Ces résultats suggèrent que les divers régimes de rémunération variable ne sont pas tous égaux en ce qui concerne l’engagement ou, autrement dit, qu’ils n’ont pas tous le même effet sur l’engagement organisationnel. Il semble que certains régimes soient plus efficaces que d’autres pour les entreprises qui souhaitent développer cette attitude chez leurs employés. Ces constats sont importants et utiles pour les gestionnaires en ressources humaines. En effet, ces résultats peuvent les aider à prendre des décisions plus éclairées en matière de pratiques de gestion des ressources humaines et de pratiques de rémunération.

Émilie Lavoie, analyste en rémunération, Université de Montréal, Stéphane Renaud, professeur titulaire, École de relations industrielles, Université de Montréal, et Lucie Morin, professeure titulaire, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal

Source : Effectif, volume 15, numéro 1, janvier/février/mars 2012.


Émilie Lavoie, Stéphane Renaud et Lucie Morin