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L’art de réussir une collaboration inter-fonctions

La collaboration entre le service des ressources humaines et les autres fonctions d’une organisation peut avoir un impact très positif sur une entreprise. Voici quelques exemples de collaborations réussies et des conseils pour tirer son épingle du jeu.

19 octobre 2015
Emmanuelle Gril

Pour se positionner davantage dans leur rôle de partenaire stratégique, certains gestionnaires RH mettent en place des collaborations inter-fonctions au sein de l’entreprise. Ce maillage peut s’effectuer avec tous les services, qu’il s’agisse des opérations, du marketing, des finances, de la production ou de l’expérience client. Le secret pour réussir? Avoir l’esprit ouvert, parler le même langage et savoir asseoir sa crédibilité.  

Meubles South Shore : la collaboration tous azimuts!

Jérôme Caron, CRHA, vice-président, culture d’amélioration continue chez Meubles South Shore, explique que la collaboration inter-fonctions est intégrée à la structure même de l’entreprise, et ce, depuis longtemps. « Je travaille ici depuis quatorze ans, et il en a toujours été ainsi. C’est quelque chose de très fort chez nous et qui est généralisé à tous les départements. En ressources humaines, nous ne voulons pas être des gens qui restent assis devant leur bureau. Au contraire, on va sur le plancher, on participe aux réunions avec les gestionnaires, les superviseurs, on se rend dans les usines, on intervient au niveau de la production. Bref, on est partout! Cette façon de fonctionner nous permet de nous intégrer naturellement aux autres fonctions », affirme-t-il.

Il souligne d’ailleurs que les gestionnaires venus d’autres entreprises sont souvent surpris de voir à quel point les gestionnaires RH sont présents dans tous les domaines, que ce soit le marketing, les opérations ou la production. Mais rapidement, ils constatent la valeur ajoutée que cela apporte à l’organisation.

Car chez Meubles South Shore, la collaboration inter-fonctions n’est pas qu’un vœu pieu : elle se pratique au quotidien et tout le monde met la main à la pâte. Ainsi, les membres du service des ressources humaines peuvent remplacer temporairement un gestionnaire du service à la clientèle pendant ses vacances et peuvent intervenir dans des dossiers concernant la qualité et l’amélioration continue, prenant ainsi part à l’effort collectif et à la mise en place de solutions. La directrice des ressources humaines, Mme Annie Lavigne, CRHA, participe activement à un projet de valorisation de la marque au service du marketing. « Autre exemple remontant à quelques années : nous avions du retard dans le développement de produits. Tout le monde a mis l’épaule à la roue, même les RH, et en trois mois, nous sommes arrivés avec 120 nouveaux produits », illustre Jérôme Caron.

De quelle façon obtient-on une telle efficacité? Une fois les besoins évalués, des équipes interdisciplinaires sont mises sur pied de façon à faire avancer les projets plus vite. On n’hésite pas non plus à « sortir » de ses fonctions habituelles un employé possédant une compétence particulière, pour l’affecter à une autre tâche. « Cette façon de faire est intégrée à notre mode de gestion. À propos de leur définition de tâches, nous disons à nos gens de fixer eux-mêmes les limites de ce qu’ils souhaitent accomplir », illustre Jérôme Caron.

Quelles sont les qualités requises pour réussir un tel maillage avec les autres fonctions? D’abord, être capable de toucher à tout. « Comment bien travailler avec les gestionnaires si on ne comprend pas leur réalité? C’est pour cela qu’il faut aller sur le terrain et prendre la mesure de leurs besoins. Nous, les RH, nous sommes partout et nous voulons faire partie de la solution », soutient M. Caron.

Ensuite, il faut placer les bonnes personnes aux bons postes, de façon à ce que la collaboration inter-fonctions soit généralisée à toute l’entreprise et au sein de tous les services. « Nous n’embauchons pas d’employés au profil individualiste, mais des personnes qui sont tournées vers la collaboration, quitte à leur offrir par la suite un plan de développement pour amener leurs autres compétences à maturité », dit Jérôme Caron. Il ajoute qu’il faut aussi être très attentif aux mesures et s’assurer que les indicateurs clés de performance soutiennent la démarche collaborative.

Les plus hauts échelons de l’entreprise doivent aussi montrer l’exemple. « Nous avons un président qui est à l’avant-garde dans ce domaine. Et lorsque les employés sentent qu’il existe une réelle collaboration au sein même de la haute direction, cela a nécessairement un impact sur eux », indique M. Caron. C’est manifestement une recette qui marche, puisqu’en dépit des heures difficiles que traverse l’industrie du meuble au Québec, l’entreprise South Shore, elle, a renoué avec la croissance.

LASIK MD : rétroaction à 360°

Malgré les défis d’un nouveau cycle économique pour LASIK MD, le niveau d’engagement de ses employés a augmenté de 1 % depuis l’an dernier. Ce résultat très positif est en partie le fruit d’un projet proposé par le service des opérations en collaboration avec celui des ressources humaines. Le programme É.L.O.G.E.S. (en anglais P.R.A.I.S.E. pour Publicly Recognize All Incidents of Service Excellence) donne l’occasion aux employés de souligner les bons coups de leurs collègues, de leurs gestionnaires et vice-versa.

« Le programme a été mis sur pied en mai 2013 et il a généré plus de cinq mille éloges à ce jour, soit plus de six par jour, se réjouit Chantal Mercier, CRHA, vice-présidente, opérations et ressources humaines. Il permet une rétroaction à 360° à travers nos trente-deux cliniques et les huit départements du siège social », ajoute-t-elle.

Le but ultime d’É.L.O.G.E.S. est d’accroître la satisfaction des employés. « LASIK MD accorde une grande importance à la qualité du service offert aux patients. Or, si l’on veut que nos gens donnent un service de première classe à nos patients, ils doivent se sentir valorisés et reconnus par leurs pairs », explique Mélanie Spinelli, CRHA, directrice des ressources humaines.

Le mode de fonctionnement du programme est simple : via l’intranet de l’entreprise, les employés peuvent envoyer à un collègue, à un gestionnaires et même au grand patron un message pour souligner un bon coup ou le remercier de l’aide apportée dans un dossier. Le message peut être privé ou, au contraire, être partagé avec tous par l’entremise de l’affichage sur l’intranet. L’employé qui publie l’éloge peut le faire anonymement ou non.

On comptabilise aussi le nombre d’éloges reçus par chaque clinique; et celle qui en remporte le plus se verra attribuer, par le service des ressources humaines, un budget lui permettant de réaliser une activité de reconnaissance avec ses employés.

Cette initiative aide à développer l’esprit d’équipe et d’entraide au sein de l’organisation. Par ailleurs, le programme permet aussi de combler un besoin très particulier des travailleurs de la génération Y. « Cette génération a besoin de reconnaissance, et ce, à intervalles réguliers. Ses membres ne veulent pas attendre leur évaluation annuelle pour se faire dire qu’ils sont bons. Avec É.L.O.G.E.S., ils reçoivent fréquemment une rétroaction positive, de la part de toute l’équipe et pas seulement de leur gestionnaire », indique Chantal Mercier.

Cette collaboration entre la fonction ressources humaines et les opérations a été couronnée de succès, notamment grâce à l’interaction et à la complémentarité entre les deux services, qui ont su parler le même langage afin de soutenir les objectifs d’affaires de l’entreprise.

Sofitel Montréal Golden Mile : miser sur ses ambassadeurs

Selon Capucine Bourque, CRIA, à l’hôtel Sofitel Montréal Golden Mile, le service RH évolue en symbiose avec celui des opérations, travaillant main dans la main et multipliant les collaborations. D’ailleurs, le fait que celle qui fut directrice des ressources humaines pendant plusieurs années ait été nommée directrice des opérations il y a quelques mois est particulièrement éloquent à cet égard.

Il faut savoir que, dans le cadre de son programme de ressources humaines, Sofitel a développé un plan de développement de carrière sur mesure pour ses employés, appelé Programme Ambassadeurs. Destiné à l’ensemble de ses 27 600 collaborateurs au sein de ses 121 hôtels sur la planète, ce suivi personnalisé permet d’accompagner les employés sur les plans tant professionnel que personnel. Le programme comporte trois volets destinés à attirer les talents, à les conserver grâce à des formations spécifiques et à leur proposer une évolution de carrière.

Capucine Bourque s’est particulièrement impliquée dans la mise en place du Programme Ambassadeurs à Montréal et dans le coaching des équipes. Pour cela, elle a dû plonger au cœur même des opérations et l’a fait avec succès. Le secret de la réussite selon elle? « Pour qu’il y ait une bonne collaboration inter-fonctions, les différents services doivent agir comme s’ils étaient les morceaux d’un même casse-tête et non pas travailler en silo. » Autre facteur de réussite : faire preuve d’une grande ouverture d’esprit et garder en tête qu’il existe un effet domino entre les secteurs. « Parfois, on doit aussi mettre son orgueil de côté et laisser "gagner" l’autre. Ce n’est pas parce qu’on perd une bataille qu’on a perdu la guerre pour autant… », précise Mme Bourque.

La clé, selon elle, est aussi de comprendre la réalité des autres. « En hôtellerie, on ne s’arrête jamais, c’est 24 heures sur 24. En restauration, il y a aussi des périodes de rush, de 18 h à 21 h par exemple. Si un gestionnaire des ressources humaines quitte le travail à 17 heures, comment pourra-t-il saisir ce que vivent ses gens? Pour ma part, je n’ai pas hésité à rentrer le soir ou les fins de semaine pour voir comment les choses se passent. Pour établir sa crédibilité et trouver les bonnes solutions, il faut donc s’adapter, faire preuve de flexibilité, et parler le même langage », affirme Capucine Bourque.

CGI : cultiver une culture de l’ouverture

Claudine Ricard, CRHA, vice-présidente, ressources humaines chez CGI, indique qu’au sein de cette entreprise, les collaborations entre la fonction ressources humaines et les autres fonctions sont fréquentes. L’une de ses responsabilités est de piloter l’intégration des ressources humaines lors d’acquisitions. À ce chapitre, l’énorme transaction qu’a constitué en 2012 l’achat de l’entreprise européenne Logica, un géant des services informatiques comptant 41 000 employés dans quarante pays, est un excellent exemple de collaboration inter-fonctions.

« Nous avons travaillé en comité multidisciplinaire avec des réunions quotidiennes – ressources humaines, finances, communications, légal, etc. – où chacun devait mener à bien son projet. Il existait bien sûr une interdépendance entre nous, car les décisions d’un secteur ont un impact sur les autres. Par exemple, si les RH veulent harmoniser les conditions de travail, cela aura nécessairement des conséquences pour le secteur des finances », illustre-t-elle. Il est donc primordial de se fixer un objectif commun, vers lequel tous doivent tendre.

Quelles sont les clés du succès pour réussir un projet d’envergure comme l’acquisition de Logica ou assurer le succès d’une collaboration inter-fonctions en général? Selon Claudine Ricard, il faut d’abord que tous aient une excellente connaissance des affaires en plus d’être ouverts aux autres fonctions et de bien comprendre leurs enjeux. « Il faut cultiver une culture d’ouverture et ne pas travailler en silo. Je dis toujours à mon équipe que l’on doit garder le contact avec les autres fonctions en tout temps et ne pas attendre qu’il y ait un projet commun à réaliser. Il est nécessaire de maintenir une relation en continu », souligne-t-elle. Elle ajoute que cette compréhension est aussi facilitée par une gestion des talents favorisant les échanges. « Par exemple, chez nous, en RH, nous avons un membre de l’équipe qui vient du secteur des finances. Bien que n’ayant pas de formation en ressources humaines, cette personne possédait un intérêt, des aspirations et du potentiel. »

La connaissance des autres permet aussi de parler un langage commun. « Lorsqu’on a une bonne attitude de collaboration et qu’on nomme des joueurs d’équipe comme leaders, cela a un effet incontestablement mobilisateur », affirme également Claudine Ricard, en rappelant à quel point il est important que l’exemple vienne d’en haut.

Elle souligne que, dans tout ce processus, la fonction ressources humaines agit souvent comme une sorte de catalyseur. « Nous jouons un rôle de facilitateur, on rend les échanges plus fluides à la table de discussion. Quand chacun parle de ses propres enjeux, nous réussissons à avoir une vision globale, ce qui facilite le dialogue entre les différents secteurs », dit-elle.

Les pièges à éviter? Tenter d’imposer sa vision et se contenter de « cocher des cases » sur une liste de choses à faire, sans tenter de voir plus loin. « Plus on travaille en collaboration avec les autres fonctions et plus on devient bon dans ce domaine, constate Mme Ricard. Même si cela demande un certain investissement et parfois plus de temps, au bout du compte, on obtient une véritable valeur ajoutée. Cela aide non seulement à développer une compétence organisationnelle, mais aussi des solutions plus durables. »

Emmanuelle Gril, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 18, numéro 4, septembre/octobre 2015.


Emmanuelle Gril