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L’ouverture à l’autre et la confidentialité au cœur de la tension créatrice des groupes de codéveloppement

La qualité de la gestion concerne tout le monde dans les organisations, à commencer par les gestionnaires eux-mêmes. Lorsque tout va très vite, prendre le temps de ralentir afin de poser un regard volontaire sur sa pratique de gestion devient un impératif. Une question éthique et un acte responsable.

20 mars 2014
Constance Lamarche

Par surcroît, lorsque les enjeux contradictoires et les situations complexes fusent de toutes parts, on peut imaginer qu’un groupe de codéveloppement professionnel constitue un espace de parole privilégié où les gestionnaires peuvent prendre le recul salutaire à une saine gestion. Dans cet article, nous apprécierons l’apport distinctif de cette approche à la formation et au perfectionnement des gestionnaires par la mise en lumière ce qui pourrait être la pierre angulaire du codéveloppement : l’ouverture à l’autre et la confidentialité.  

Inséparable, le tandem ouverture et confidentialité est en quelque sorte un pivot du codéveloppement. Sans confidentialité, il n’y a pas d’ouverture, et sans ouverture, il n’a pas de véritable codéveloppement. C’est donc de l’approche elle-même qu’il est finalement question. Mais pourquoi ce sujet est-il si intéressant? Parce que le codéveloppement est bien plus qu’un simple processus de résolution de problèmes, puisque les participants sont précisément invités à poser un regard sur leur pratique de gestion. Aussi parce que la confidentialité est incontournable et que son respect influence la qualité de l’apprentissage dans l’action spécialement valorisé dans cette approche. La confidentialité occupe d’ailleurs le premier rang parmi les conditions favorables dont l’animateur doit s’assurer pour que la chimie opère dans un groupe. Il est donc question de présence attentive, de rigueur, de respect mutuel et de maturité morale et politique; il est aussi question du climat de confiance nécessaire pour apprendre les uns des autres, ainsi que d’authenticité et d’engagement collectif.

L’ouverture à l’autre et la confidentialité : un moteur du codéveloppement
C’est précisément parce que cette approche favorise un ralenti périodique favorable aux discussions enrichissantes pour les gestionnaires qu’il importe d’aborder ces deux enjeux conjoints aussi décisifs l’un que l’autre. Effectivement, l’un des défis des participants consiste à composer avec le regard des autres et avec la diversité d’opinions qui caractérisent l’approche.

Lorsque des participants acceptent de s’ouvrir aux autres et de se faire confiance en partageant un aspect de leur pratique, il est fascinant de constater le pouvoir de l’approche de codéveloppement. Elle est puissante et efficace parce qu’on y parle d’histoires vraies et souvent universelles et qu’elle a un impact sur la pratique de gestion. Des histoires généralisables puisqu’elles éclairent fréquemment celles des autres participants. Ceux-ci y rencontrent des situations de vie professionnelle qui les préoccupent, leur posent des défis; ils y vivent des partages qui humanisent, relativisent et brisent l’isolement, des échanges qui font évoluer leur pensée.

L’expérience est déjà déterminante quand un participant accepte, comme «client» de présenter sa version des faits issus d’une situation professionnelle vécue dans le moment présent et d’être questionné par les « consultants ». Les participants jouent ces deux rôles en alternance. L’expérience devient vraiment significative pour eux quand ils arrivent à dénouer des nœuds qui trop souvent paralysent, freinent ou étouffent l’évolution de leur pratique et, par conséquent, le développement de leurs compétences.

En fait, les participants font un réel succès de l’expérience lorsqu’ils découvrent un intérêt pour le ralenti et qu’ils peuvent vérifier, au-delà des rencontres mensuelles, l’utilité des réflexions partagées lorsqu’ils font l’effort de s’exposer à tour de rôle au regard des autres, dans la convivialité et le respect. Ce qui se produit souvent au fil des rencontres, c’est l’émergence d’une aisance contagieuse, d’une liberté d’expression et même d’un humour bienveillant. Ces attitudes franches et pourtant respectueuses caractérisent leurs interventions et leurs réparties. Par ailleurs, ils apprennent aussi, pour qu’un dialogue soit possible, qu’il faut parfois taire ses convictions, cesser de prôner ses valeurs, suspendre son jugement afin de mieux écouter.

Enjeux et dénouement en deux questions
Quoique abrégée, cette réflexion entourant la pratique du codéveloppement en lien avec le thème de l’ouverture et de la confidentialité pose d’ores et déjà deux questions importantes.

1. Une consultation présentée par un gestionnaire à des pairs sur un sujet concret issu de sa pratique comporte-t-elle certains risques?
En d’autres mots, on se demande si le fait d’exposer sa lecture d’une situation professionnelle en partageant ses doutes, ses défis, ses résistances, ses déceptions, parfois sa confusion, sa frustration ou son questionnement peut constituer un risque. La réponse est oui, mais jusqu’à un certain point et il s’agit sans doute d’un paradoxe du codéveloppement. On y vient pour être aidé alors que cela pourrait aussi nuire! Mais comment se fait-il que cela fonctionne si bien la plupart du temps? Voici quelques éléments de réflexion.

Dans un premier temps, on s’ouvre aux autres selon sa volonté, on présente seulement ce que l’on veut partager avec le groupe. Il s’agit essentiellement d’exercer son libre arbitre, étroitement associé à une responsabilité collective de construire un climat d’échange stimulant. En effet, pour que les « vraies affaires » soient discutées, chacun doit se donner au maximum afin de favoriser les conditions de réussite. Et si un sujet est jugé trop confidentiel par un « client », il n’en parle tout simplement pas. Car, ultimement, il est vrai qu’on ne peut pas empêcher les gens de juger et, à cet égard, il n’y aucune garantie sauf l’engagement sur l’honneur quant au respect de soi et des autres obtenu dès le début du processus. C’est donc dire que la manière dont l’animateur et les participants composent avec cette condition déterminera la qualité des échanges et de la démarche du groupe. À ce titre, l’animateur instaure et maintient en quelque sorte un climat propice, car il est le gardien du processus et doit guider le groupe en fixant les balises nécessaires.

Dans un deuxième temps, on ne peut pas apprendre sans courir certains risques, à un moment ou à un autre de sa carrière. Les participants s’entendent sur un contrat d’entraide en vue d’améliorer leur propre pratique de gestion et de faire progresser celle des autres. N’est-il pas vrai qu’on apprend davantage lorsqu’on affronte les obstacles avec un minimum de confiance, sachant qu’on trouvera les solutions le moment venu? C’est justement l’une des offres les plus attrayantes du codéveloppement. Au fur et à mesure que les participants abordent un angle d’analyse plus complexe et systémique, où se retrouve une vaste gamme de nuances, ils apprennent ensemble à être plus humains, tolérants et créatifs, comprenant que le client en consultation passe parfois par une étape de confusion avant de trouver une nouvelle emprise sur sa problématique.

Tous les groupes ne développent pas une chimie favorable et il faut bien sûr composer avec ce qu’il advient. Parfois un client aborde un sujet délicat en suscitant de l’intérêt ou, à l’opposé, une certaine appréhension. D’autres fois, la prudence est de mise lors d’une première présentation, et une certaine réserve s’installe dans le groupe pour un moment. Tout est relatif : on peut parfois redouter qu’une ouverture trop grande ou trop rapide soit défavorable et, au contraire, qu’elle donne rapidement le ton au processus. Le climat s’établit dans un groupe en fonction de plusieurs facteurs et l’animation y joue assurément un rôle important. Cependant, au-delà des étapes de consultation structurées, la participation de chacun apporte sa contribution originale et son lot d’imprévus. Il faut faire confiance à son propre cheminement et à celui du groupe.

2. Le fait de dévoiler une situation mettant en scène un ou des acteurs internes ou externes d’une organisation est-il un manquement à l’éthique?
Il semble impossible de parler de sa vie professionnelle sans y associer d’autres acteurs. On peut alors se demander comment le faire correctement sans manquer aux règles éthiques essentielles. On peut par exemple dépersonnaliser, objectiver ou nuancer ses propos. Mais tout d’abord, rappelons que, lors d’une consultation, c’est le client qui nous intéresse! Car ce qu’il expose représente sa propre construction de la réalité et, tout en ne diluant pas la véracité de la problématique qu’il soumet, il parle essentiellement des défis auxquels il fait face. Les autres acteurs impliqués font en quelque sorte partie du décor et, à ce titre, ils n’occupent que l’arrière-plan de sa présentation. Comprendre que la présence des acteurs dans une situation présentée est bel et bien « accessoire » purifie en quelque sorte l’intention. Et, s’il y a une façon de parler de soi et des autres, il y a également une façon d’écouter, de lire entre les lignes et surtout de faire preuve de discernement. Pour éviter un dérapage en s’éloignant trop de la réalité du client, l’animateur peut parfois rappeler l’objectif du codéveloppement.

Lors d’une consultation, l’attention est donc placée sur le client, qui demande de l’aide parce qu’il est aux prises avec une situation complexe où évoluent d’autres acteurs. Des acteurs qui ont leurs raisons d’être comme ils sont ou d’agir comme ils le font. Et c’est à travers cette réalité que le client doit trouver son chemin. Par une attitude professionnelle impartiale et constructive, les consultants questionnent le client pour bien le comprendre, l’alimenter, lui offrir des propositions différentes de ce qu’il a déjà expérimenté, lui permettant ainsi de mieux se positionner. En fait, ils peuvent l’aider à retrouver sa motivation, sa confiance ou son équilibre. Encore là, l’animateur peut intervenir avec souplesse et rigueur, jouant ainsi un rôle déterminant.

En guise de conclusion, revenons au titre de l’article. Pourquoi parler de tension créatrice? Senge (1991) présente cette notion comme étant un « écart entre ce qui est et ce que nous souhaitons. On appelle cet écart une tension créatrice, car elle est une source d’énergie. S’il n’y avait pas d’écart, il n’y aurait aucune raison de bouger, ni d’agir. » Lors des échanges en codéveloppement, des enjeux se définissent; des idées germent, se testent, s’enchaînent et s’entrechoquent parfois; des positions se nuancent, s’affirment ou s’affrontent et des prises de conscience s’opèrent. La tension qui naît de ce contexte est en quelque sorte un équilibre des forces de chacun, lesquelles oscillent au gré des consultations et des mises en commun. Au fil des présentations, les participants tout comme l’animateur opteront pour la confiance, la prudence ou l’abstention; pour l’expression, la réserve ou le silence. Et ces positions, conjuguées à la confidentialité et à l’ouverture, les mèneront à explorer de nouvelles avenues quant à leurs objets de consultation.

Ce texte a été rédigé avec la participation de Claude Champagne, CRHA, adjoint intérimaire à la DRH et chef développement organisationnel, CSSS de Saint-Jérôme. Il est adapté de l’article «Le groupe de codéveloppement professionnel : L’ouverture à l'autre et la confidentialité, au coeur d’une tension créatrice» (Lamarche, 2013).

Constance Lamarche, conseillère en gestion, en formation et en développement, Société Constance Lamarche inc.

Source : Effectif, volume 17, numéro 1, janvier/février/mars 2014.


Bibliographie

  • PAYETTE, A. et C. CHAMPAGNE (1997). Le groupe de codéveloppement professionnel, Presses de l’Université du Québec, 211 p.
  • SENGE, P. (1991). La cinquième discipline. L’art et la manière des organisations qui apprennent, FIRST, Paris,p. 198-203.

Constance Lamarche