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La fonction ressources humaines à l’horizon 2020

La fonction ressources humaines est aujourd’hui en pleine évolution. Les professionnels qui l’exercent ne peuvent plus se limiter à être les gestionnaires des salariés et, en particulier, de leurs compétences.

13 mai 2013
François Silva

Telle est la conséquence des mutations majeures que les entreprises vivent en raison du développement des nouvelles technologies, de la numérisation, des énergies nouvelles – avec la nécessité d’entrer dans une économie « zéro carbone » –, du poids de plus en plus important des marchés des pays émergents.

Vers des ruptures
Beaucoup de secteurs sont confrontés à des changements qui, à terme, vont correspondre à des ruptures majeures. Si les entreprises ne les ont pas préparés, cela aboutira à leur effondrement. C’est d’ailleurs celui qu’a connu Kodak lors de sa faillite en 2012, à l’issue de deux décennies d’errance pendant lesquelles elle n’a pas su comprendre, s’adapter et proposer des produits différents. En effet, le marché sur lequel Kodak était le numéro un incontesté depuis des décennies évolua progressivement de la photo générée par l’argentique (avec une bonne dimension de marketing) à une nouvelle demande centrée sur l’image numérique. Kodak aurait dû remettre en question son modèle d’entreprise à l’époque performant, pour en créer un nouveau. Pour ce faire, plus que de passer de 180 000 salariés en 1990 à moins de 12 000 en 2012, l’entreprise aurait dû faire émerger une organisation nouvelle remettant tout en cause, y compris les métiers de ses salariés et leurs compétences.

De la banque à l’automobile, des médias à la grande distribution, de l’énergie à la construction, de l’enseignement à la médecine, de l’agroalimentaire au tourisme, rares sont les secteurs qui ne sont pas à l’aube de ruptures majeures qu’il faut comprendre, faire comprendre, partager. Mais il faut aussi participer à l’émergence de nouvelles pratiques professionnelles s’appuyant sur de nouvelles organisations et des métiers soit nouveaux, soit aux compétences renouvelées. Que de révolutions les salariés vont avoir à vivre !

Des gains constants de productivité
Depuis la première révolution industrielle, toute l’organisation du travail a eu pour objectif de générer de nouveaux gains de productivité. Ce but a formé à chaque étape un élément essentiel de la compétitivité des entreprises qui savaient le mettre en œuvre. Le développement du taylorisme et du fordisme a constitué une étape importante de cette rationalisation par l’organisation scientifique du travail.

Le développement de l’informatique, à partir des années 1970, mais surtout de la micro-informatique dans les années 1980, s’est intégré dans le même objectif. Ce n’est plus l’automatisation des processus de production pour transformer la matière, mais l’automatisation de la gestion de l’information. Mais c’est toujours la même volonté de rationaliser l’organisation du travail et le même objectif de produire plus avec moins de ressources. La mise en place des progiciels de gestion intégrés (tels SAP et Peoplesoft), depuis la fin des années 1980, a fait véritablement muer l’informatique en système d’information. C’est ainsi que les activités administratives sont entrées dans des logiques de processus, sur un modèle proche de celui de la chaîne de montage. Mais surtout, en automatisant la gestion de ses informations et de leur flux, les entreprises ont fait des gains de productivité considérables.

La fonction ressources humaines a dû, comme dans toutes les autres grandes fonctions de l’entreprise, réorganiser ses activités en les structurant autour des systèmes d’information. En facilitant la reconfiguration de ses processus, le système d’information sur les ressources humaines (SIRH) a symbolisé cette réorganisation. La dématérialisation complète de la paye qui se développe actuellement est l’aboutissement de cette évolution. C’est ainsi que, par le déploiement du SIRH, la fonction a pu faire depuis le début des années 1990 d’importants gains de productivité. Beaucoup de ses tâches ont été automatisées et les systèmes d’information ont progressivement structuré l’ensemble de la fonction autour des logiques de processus. L’organisation des entreprises est maintenant restructurée sur les mêmes principes.

Les limites des processus et de l’information
Mais les logiques de processus ne sont plus pertinentes. En effet, elles sont centrées sur l’information qui ne prend en compte que les résultats. Les processus ne valorisent pas les relations interpersonnelles, c’est-à-dire la nature des liens et des comportements que chacun a construit avec son équipe et au-delà. Cette recherche constante de l’efficacité élimine de fait, peu à peu, tout ce qui peut perturber l’obtention d’un meilleur résultat.

Les entreprises sont centrées, en premier lieu, sur la gestion de leurs objectifs, leurs définitions, leurs suivis, leurs validations. Cette culture du résultat s’appuie sur des informations qui sont collectées, traitées, distribuées et ensuite commentées et analysées par les systèmes d’information. La production de rapports (reporting), à base d’information, est devenue une activité essentielle des gestionnaires. C’est sur cette base que leur travail est valorisé. Mais cette gestion de l’information dans cette recherche constante de productivité se fait au détriment de la relation. Cette dernière représente donc, sinon un handicap, tout au moins une perte de temps pour le gestionnaire, car le temps est de l’argent.

De plus, la messagerie électronique a encore accru la masse d’information gérée quotidiennement, qui est de plus en plus impressionnante, à tel point qu’on la qualifie au Québec d’infobésité. Aujourd’hui, nombreux sont les salariés qui remettent en question ce mode d’organisation avec un management ne recherchant que des résultats. En effet, n’avoir que des objectifs à atteindre a induit un mal-être, car les salariés ont le sentiment de ne plus être reconnus et d’être des pions. C’est ainsi que se développent des tensions de plus en plus importantes qui, mal maîtrisées, peuvent avoir des effets ravageurs.

Des outils pour améliorer le relationnel
Aux États-Unis, le palmarès des entreprises où il fait bon à vivre constitue une attractivité importante pour pouvoir recruter les meilleurs étudiants. Ces derniers veulent travailler dans des entreprises où les conditions de travail permettent leur épanouissement. Dans le secteur de la haute technologie en particulier, les valeurs d’autonomie et de responsabilisation sont recherchées chez les salariés. Aujourd’hui, de nouvelles questions apparaissent avec le développement de la numérisation (courriels, outils sociaux…) et n’ont plus rien à avoir avec les logiques de processus sur lesquelles s’est construite la gestion de l’information. En effet, toutes ces technologies, après avoir dématérialisé l’information, se positionnent maintenant autour des problématiques de communication. Nous sommes au cœur des relations humaines. En quoi ces outils peuvent-ils les optimiser ?

Mais ces technologies, ce sont d’abord et surtout des salariés qui les utilisent pour communiquer entre eux. Les enjeux d’aujourd’hui sont donc centrés sur les comportements qu’ont les personnes entre elles. Ce n’est pas par hasard que ces outils sont qualifiés de sociaux. Ils ont pour objectif de créer les conditions pour que les utilisateurs soient en situation de mieux communiquer entre eux.

Or, pour être efficace, une relation doit aussi n’avoir pour finalité qu’elle-même. C’est la gratuité du geste, le plaisir de dire bonjour et d’obtenir un sourire en retour. Selon Norbert Alter, c’est le don et le contre-don comme valeur sociale qu’il faut développer dans la vie professionnelle. Le développement de la créativité et de la qualité des prestations est meilleur s’il existe un cadre professionnel convivial. En effet, on obtient de meilleurs résultats si les salariés ont du plaisir à travailler ensemble, si l’ambiance de l’équipe est bonne et qu’on peut y exprimer sa créativité... Evidemment, les relations interpersonnelles constituent le quotidien de chacun dans une entreprise. L’équipe constitue la cellule de base dans une organisation et le gestionnaire en est l’animateur.

Accompagner pour faire du collaboratif
Aujourd’hui, un gestionnaire est confronté à cette injonction paradoxale entre les logiques du résultat (l’information) et celles de la relation entre les personnes (la communication). C’est pourquoi les nouveaux enjeux de la fonction ressources humaines sont maintenant centrés sur les comportements des salariés et plus particulièrement sur l’accompagnement des gestionnaires dans leur capacité à gérer leurs équipes. Il devient nécessaire de valoriser ou de développer les comportements générant de meilleures relations interpersonnelles. Là, encore, la fonction ressources humaines doit contribuer à créer les conditions pour que les gestionnaires soient en situation de valoriser les comportements relationnels de leur équipe, c’est-à-dire que chaque salarié ne soit pas dans une posture individuelle, mais collaborative. La seule somme des individus est moins importante que les mêmes unis dans une dynamique collective de travail.

Si la gestion de proximité est garante au quotidien de l’implication des salariés dans leur travail, c’est la fonction ressources humaines qui va devoir, selon Sandra Enlart, directrice générale d’Entreprise & Personnel, « apporter aide et soutien aux actions du management. C’est à mon avis une mission très importante, voire essentielle de la filière RH. Il ne faut pas oublier qu’à trop remplir la besace du manager, il ne pourra plus faire son travail. Il est donc nécessaire de le décharger et de le soutenir ».

La fonction ressources humaines est garante de cette culture par le recrutement de personnes ayant des comportements adéquats et par une organisation du travail qui valorise et développe de tels comportements. Ce qui exige que les gestionnaires ne soient pas laissés seuls avec leurs équipes dans la gestion de leurs relations interpersonnelles. Il faut qu’ils puissent eux aussi se réguler à travers un accompagnement, mission alors confiée à la fonction ressources humaines qui deviendrait ainsi pleinement un urbaniste des relations humaines.

François Silva, directeur, Institut des Nouvelles Pratiques Managériales, France Business School

Source : Effectif, volume 16, numéro 2, avril/mai 2013.


François Silva