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La formation sur l’enquête interne en cas de harcèlement psychologique : quelques heures bien investies!

Plusieurs entreprises offrent aux membres de leur personnel des sessions d’information sur le harcèlement psychologique en général. Par contre, peu d’entre elles mettent l’accent sur le traitement des plaintes ou griefs relatifs au harcèlement ou donnent une formation plus pointue aux personnes-ressources appelées à traiter ces dossiers à l’interne.

25 février 2009
Isabelle Cantin, CRHA

C’est en répondant systématiquement aux mêmes questions ou en faisant leur bilan de fin d’année que des organisations constatent que leurs employés ne savent pas toujours à quoi s’attendre si une enquête interne est déclenchée en vue de déterminer si une plainte ou un grief pour harcèlement au travail est fondé. Dans une optique d’efficacité et souvent d’harmonisation des approches dans le cas d’entreprises de grande taille, certaines organisations ont donc élaboré une formation plus pointue. Ces expériences ont unanimement été perçues comme une pratique d’amélioration du climat de travail qui constitue souvent, à court terme, un bon investissement.

Comment ces entreprises ont-elles mené un tel projet à terme?

Planification de la session
La planification de la session présuppose l’examen de la politique sur le harcèlement et des problématiques rencontrées. Cet exercice permet de voir si la politique est adéquate et, le cas échéant, de déterminer les correctifs nécessaires.

Plusieurs entreprises ont ainsi réalisé que leur politique était muette ou incomplète au sujet des points suivants :

  • les délais pour porter plainte et pour traiter les plaintes ou les griefs;
  • le droit (voire l’obligation) d’intervenir lorsqu’un problème de harcèlement psychologique est porté à la connaissance de l’employeur, dès lors qu’il existe un motif raisonnable de croire qu’il y a eu harcèlement psychologique, même en l’absence de plainte ou de grief;
  • l’étude de la recevabilité de la plainte ou du grief et le déroulement de cette étape;
  • la possibilité de participer, en tout temps, à une médiation afin de tenter de trouver une solution à la problématique;
  • le droit pour les parties, lors d’une enquête interne par exemple, d’être accompagnées par un observateur de leur choix, autre qu’une personne appelée éventuellement à intervenir à titre de témoin;
  • le déroulement du processus d’enquête, incluant le rôle de l’enquêteur, des parties et des témoins ainsi que, le cas échéant, des représentants syndicaux;
    l’étendue des informations que les parties recevront avant, durant et après l’enquête interne;
  • les conséquences en cas de représailles (à l’endroit d’une personne de bonne foi) reliées à l’application de la politique ou à la participation au processus de traitement d’une plainte ou d’un grief.
À qui s’adresse la formation?
Les entreprises jugent en général préférable de former les personnes-ressources en premier lieu, puis les gestionnaires et les employés. Concernant ces derniers, certaines privilégient la formation en grand groupe, tandis que d’autres créent plusieurs petits groupes qu’elles subdivisent même selon le statut des employés (syndiqués, non syndiqués, salariés et employés cadres).

Plusieurs facteurs peuvent influencer de telles décisions, dont la disponibilité du formateur et des employés ainsi que les coûts. Chacune des options comporte aussi des avantages et des inconvénients. L’avantage le plus intéressant est sans contredit le fait que, dans un groupe non divisé, tous les participants reçoivent les mêmes informations au même moment. Par contre, plus le groupe est grand, moins les personnes sont susceptibles d’interagir avec le formateur. Quelques entreprises ont à cet effet constaté que certains participants hésitent à poser des questions en présence de leur supérieur.

Déterminer le format et la durée
Pour être intéressante, une formation doit comporter un volet théorique et un volet pratique. Le formateur expérimenté doit se renseigner au préalable sur l’organisation et sur ses valeurs de façon à donner une formation taillée sur mesure en fonction de l’environnement de l’entreprise. Le « couper-coller » n’a donc pas sa place! Il doit aussi savoir capter l’attention des participants en donnant des exemples de cas jurisprudentiels pour illustrer ses propos. Un bref rappel des principes de base est généralement fait pour s’assurer que tout le monde est au même diapason. En ce qui concerne les personnes-ressources, bien qu’une session d’une journée puisse être instructive, une demi-journée s’avère un bon compromis, quitte à leur donner une autre formation plus tard, sur des éléments plus pointus ou sur les sujets qui ont suscité le plus de questions. En général, pour les gestionnaires et les salariés, un bloc de formation d’environ deux heures est suffisant.

Ce sur quoi il faut insister
Parmi tous les points d’intérêt non traditionnels, c’est le déroulement de l’enquête interne qui a suscité le plus de questions de la part des employés en général.
Une bonne pratique d’amélioration du climat de travail en lien avec le harcèlement psychologique consiste donc à intégrer dans la politique un processus d’enquête interne qui respecte les normes reconnues. Il faut aussi s’assurer que les personnes-ressources comprennent ce processus et que les employés savent à quoi s’attendre, peuvent poser des questions et reçoivent des réponses. Par exemple, certaines entreprises ont informé leurs employés sur les points suivants :

  • qui est susceptible de mener une enquête interne;
  • combien de temps peut durer une enquête interne;
  • quels renseignements seront requis de la partie plaignante;
  • quels renseignements seront communiqués à la partie mise en cause;
  • comment les parties seront convoquées, quand et par qui;
  • où se dérouleront les rencontres individuelles;
  • comment les déclarations seront recueillies et quel genre de preuve les parties pourront présenter ou déposer;
  • qui choisira les témoins et comment et par qui ils seront convoqués;
  • que faut-il savoir au sujet de la confidentialité;
  • qui aura accès au rapport d’enquête;
  • qui fera les suivis.

Il est particulièrement important de définir à l’avance le cadre de l’enquête interne et de s’assurer que ce cadre tient compte des droits de chacun. Il s’agit d’une question de respect et d’équité procédurale. On ne peut pas improviser quand il s’agit d’un processus aussi sérieux qu’une enquête interne et chaque étape a son importance. Ceci ressort d’ailleurs d’une décision récente de la Cour supérieure concernant la cause Cheikh-Bandar c. Pfizer Canada Inc. (2008) dans laquelle un employé se plaignait, entre autres, de la manière dont l’enquête interne avait été menée à la suite des trois plaintes qu’il avait formulées. Dans cette affaire, l’employé a eu gain de cause devant la Commission des relations du travail et la Cour supérieure a décidé qu’il n’existait aucun motif justifiant la révision des conclusions de la commissaire. Il a été reproché à l’employeur de ne pas avoir, comme il le prétendait, fait une enquête « complète et rigoureuse ». La preuve, devant la Commission des relations du travail, a en particulier révélé que le plaignant n’a pas été rencontré pour préciser sa plainte. Les témoins essentiels identifiés par le plaignant n’ont pas non plus été rencontrés. Il a aussi été jugé que l’enquête, empreinte d’arbitraire, n’a pas respecté les règles énoncées dans la politique en place.

L’ensemble de la jurisprudence dans les cas où des enquêtes internes ont été remises en question démontre que les points suivants sont importants :

  • le respect des règles énoncées dans la politique interne;
  • l’indépendance et l’impartialité de l’enquêteur (attention au conflit d’intérêts apparent, perçu ou réel);
  • la divulgation des allégations à la partie mise en cause (pour lui permettre de faire valoir son point de vue);
  • la diligence;
  • les idées préconçues ou les conclusions tirées de manière prématurée;
  • la qualité des informations communiquées à la partie mise en cause et aux témoins importants;
  • l’examen rigoureux de l’ensemble de la preuve (testimoniale et documentaire);
  • la rigueur;
  • l’évaluation de la crédibilité des témoins déclarants (par exemple le degré de connaissance des faits, la connaissance directe ou indirecte des faits, la relation entre le témoin et les parties, le degré de précision, les contradictions, les problèmes de mémoire, le degré de collaboration, les comportements durant l’entrevue);
  • le nouvel interrogatoire au besoin ou la clarification des faits.
Conclusion
Pour respecter les obligations légales, les employeurs doivent créer un milieu de travail exempt de harcèlement en prenant des mesures raisonnables pour prévenir le harcèlement et, le cas échéant, pour le faire cesser. Il n’est pas suffisant de se contenter d’élaborer une politique succincte et de la remettre aux employés. L’idéal, comme certaines entreprises l’ont compris, est de préparer une formation complète sur le processus d’enquête, permettant ainsi aux employés de savoir non seulement à quoi s’en tenir, mais aussi ce qui peut se passer advenant le dépôt d’une plainte ou d’un grief relatifs à du harcèlement.

Me Isabelle Cantin, CRHA, LL.M.

Source : Effectif, volume 12, numéro 1, janvier/février/mars 2009.


Isabelle Cantin, CRHA