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Le groupe de codéveloppement professionnel : une approche puissante et de plus en plus reconnue

En l’an 2000, Adrien Payette signait dans Effectif un article intitulé « Le groupe de codéveloppement et d’action formation, une approche puissante encore méconnue ». Le déploiement de l’approche dont témoigne le présent numéro d’Effectif démontre maintenant le contraire.

20 mars 2014
Claude Champagne, CRHA

Espace collaboratif d’apprentissage, approche pédagogique, communauté de développement des pratiques professionnelles, voilà quelques expressions utilisées au fil des vingt-cinq dernières années pour classifier le groupe de codéveloppement professionnel comme approche et pratique de formation et de perfectionnement.  

Quelques repères
Depuis la fin des années quatre-vingt, le groupe de codéveloppement professionnel, inspiré de divers courants de réflexion sur l’action, du questionnement réflexif et de l’entraide dans l’apprentissage, fait son chemin au Québec. Il trouve son origine à l’École nationale d’administration publique et dans le réseau de la santé et des services sociaux; il se pratique maintenant dans les secteurs public, parapublic et privé, académiques, professionnels et communautaires ainsi que dans des bureaux de consultants. On le trouve en France et dans d’autres pays francophones où on souligne d’ailleurs ses origines canadiennes-françaises, comme gage de pragmatisme et de rigueur. Ici, l’approche s’est développée d’abord au sein des secteurs public et parapublic. Dans l’Hexagone, il a trouvé un premier milieu fertile dans l’entreprise privée. Il rejoint l’esprit d’une famille de pratiques similaires : apprentissage par l’action, praxéologie, coaching par les pairs.

Le groupe de codéveloppement professionnel est intégré dans l’offre de groupes de discussion de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés depuis plusieurs années. C’est, à notre connaissance, le premier ordre professionnel qui l’inclut dans son offre de formation et qui reconnaît des heures de formation continue aux membres qui en font partie.

De quoi s’agit-il? Quatre à huit personnes, d’origine disciplinaires variées ou non, issues de la même entreprise ou provenant de divers milieux, et qui croient que des pairs peuvent contribuer à leur développement professionnel, se donnent le temps, les moyens et des règles pour s’entraider et apprendre ensemble. Elles se rencontrent régulièrement (souvent mensuellement, pour un cycle d’une année à la fois) avec le projet commun d’améliorer leur pratique professionnelle et de se conseiller mutuellement afin de devenir plus efficaces. Leurs travaux se déroulent principalement autour d’un exercice structuré de consultation en quelques étapes, qui conjugue la solution de problème à une démarche réflexive. Chaque membre du groupe joue en alternance le rôle de « client » ou le rôle de « consultant ». À titre de client, il expose une préoccupation ou des questions relatives à un projet ou encore un aspect de sa pratique concerné par celui-ci, pendant que les autres agissent comme consultants pour l’aider à enrichir sa compréhension (réfléchir) et sa capacité d’action (agir). Voici des exemples de sujets de consultation qui sont actuels et qui habitent le client : difficulté à gérer un groupe d’employés, projet qui ne démarre pas, incapacité de gérer son temps et d’établir ses priorités, problème relationnel avec un collègue. Un animateur facilite généralement les rencontres de cette communauté de pratique.

Voilà donc une idée donc assez simple mais puissante, et de plus en plus utilisée et reconnue parce qu’elle répond de façon pertinente à des besoins de développement des pratiques professionnelles. D’ailleurs, depuis la parution de notre ouvrage Le groupe de codéveloppement professionnel en 1997, une communauté grandissante d’utilisateurs a mené à la création de l’Association Québécoise du Codéveloppement Professionnel (AQCP) en 2011. Celle-ci a d’ailleurs élaboré un cadre qui fournit d’excellentes balises à sa mise en application.

Une approche qui se peaufine… mais jusqu’où la modifier?
Diverses expériences ont enrichi et fait évoluer la pratique du codéveloppement professionnel de façon conforme à son esprit. Il arrive qu’on organise un groupe sur un thème (rôle-conseil, métier de formateur, gestion de conflits…) ou formé de personnes d’un même niveau hiérarchique (tous les cadres de première ligne en approche clientèle); parfois, on insiste davantage sur la préparation du client en l’invitant à déposer un résumé écrit avant qu’il expose sa situation; d’autres fois, on précise au démarrage des objectifs d’apprentissages individuels; tantôt on propose des grilles d’analyse pour aider les consultants à contribuer efficacement, tantôt on les guide pour se mettre en mode de questionnement réflexif plutôt que de solution de problème; d’autres fois, on s’assure d’un suivi systématique des principaux dossiers des participants. Chez nos cousins français, on a mis en place des exercices de consultation d’une durée beaucoup plus longue, avec des étapes balisées un peu différemment et plus analytiques.

Au Québec toutefois, le codéveloppement est une méthode d’animation en système ouvert, libre et adaptable selon les besoins de la situation, ce qui ne modifie pas l’approche dans son essence; elle est toujours basée sur les mêmes principes et conditions de réussite : assiduité d’un groupe restreint qui se réunit régulièrement pour discuter de pratiques professionnelles partagées, climat de confiance fondé sur la confidentialité, démarche rigoureuse et convenue contractuellement, échanges réflexifs sur des cas vécus animés par une personne-ressource compétente et retour systématique sur les apprentissages. Bref, un espace privé, presque sacré, d’échange et de réflexion avec des pairs, complices dans l’apprentissage, dans une démarche structurée, confidentielle et convenue entre tous.

Cela dit, l’explosion récente du nombre de groupes génère quelquefois des variations qui s’éloignent des objectifs premiers. Ce n’est pas parce que des personnes échangent des réflexions sur leurs dossiers, qu’elles s’entraident et qu’elles discutent de leur métier qu’elles sont dans une démarche de codéveloppement. Les rencontres qui s’inspirent d’une approche thérapeutique, avec ou sans confrontation, ne correspondent pas au modèle du groupe de codéveloppement professionnel. Et que dire de l’animateur qui se positionne comme l’expert du contenu qui détient les bonnes réponses et qui dépossède les participants de leur rôle de consultant? Ou des situations où l’on affecte un grand groupe de personnes à un projet spécifique, avec une obligation de résultat après un petit nombre de rencontres, sans balise de confidentialité ou avec une animation par le supérieur immédiat de l’équipe? Ces pratiques ne répondent pas aux critères qui définissent l’essence, l’esprit et la méthode du groupe de codéveloppement professionnel.

L’animateur doit maîtriser les processus de groupe, être le gardien de l’esprit de l’approche, mettre sur pied les conditions facilitantes et suivre un code de pratique conséquent. Ses habiletés en animation profiteront au groupe et, plus il sera compétent, plus il pourra le faire cheminer. Par contre, si la contribution de l’animateur est importante, tout ne se joue pas à ce niveau : les participants (comme clients et comme consultants) jouent aussi un rôle déterminant. Dans cet ordre d’idées, devrait-on attendre d’eux qu’ils soient des consultants aguerris et qu’ils aient complété une formation sur le rôle-conseil? L’idée est séduisante, mais sa mise en œuvre ferait perdre au groupe sa simplicité et son accessibilité. Une compréhension minimale du rôle-conseil et de la façon de formuler des questions qui font cheminer le client, l’encadrement fourni par l’animateur et la rétroaction des pairs produisent des résultants habituellement très satisfaisants.

La recherche de conditions optimales pour un groupe de codéveloppement professionnel ne doit pas faire oublier que ses résultats sont tributaires d’un ensemble de facteurs peu contrôlables, malgré le respect de la méthode : c’est la chimie qui se crée entre les participants à partir de la constitution du groupe, la richesse des sujets abordés, l’apport de l’animateur, la mise en place d’un climat de confiance et d’apprentissage et l’utilisation de la méthode qui produisent les résultats. Imaginons qu’un participant soit absent, qu’un thème différent soit abordé, qu’une première intervention amène à explorer certaines pistes et pas d’autres et voilà que le groupe entame une conversation sous un nouvel angle tout aussi pertinent : c’est là où la réflexion et l’échange devaient mener… Cela distingue le codéveloppement professionnel de toute formation programmée ou même du coaching individuel où l’activité se déroule entre deux personnes seulement; ici, la puissance du soutien par les pairs n’est pas planifiable comme celle du formateur en salle de cours.

Du développement professionnel et individuel au développement organisationnel
Le perfectionnement de la pratique professionnelle et des compétences de chaque participant est le premier ancrage du groupe de codéveloppement comme approche de formation. Composante d’un plan de formation ou non, avec des participants qui proviennent d’une ou de plusieurs organisations, le groupe de codéveloppement professionnel répond d’abord à cette visée : une approche de développement individuel à l’aide d’un petit groupe.

Mais, même si un groupe ne s’inscrit pas dans une démarche de développement organisationnel, la participation peut entraîner des changements par la simple prise de conscience d’un participant de sa zone de pouvoir personnel. Les apprentissages acquis en pratiquant l’approche (rigueur de la démarche, habiletés d’écoute, confiance et entraide, reconnaissance de l’expertise des pairs) peuvent avoir des effets contagieux. Le fait que plusieurs participants d’une même organisation traitent de préoccupations communes dans leur groupe peut aussi avoir des impacts positifs non négligeables.

Au-delà des apprentissages individuels, Adrien Payette (2011) s’est intéressé à la contribution du codéveloppement professionnel dans une perspective de développement organisationnel, tant sur le plan de changements induits par la méthode que des objets traités. Le codéveloppement professionnel n’est pas une stratégie suffisante pour soutenir en soi un projet de changement organisationnel. Il n’est pas programmable et vise d’abord la pratique individuelle, il s’effectue dans le cadre d’un exercice dont la structure est plutôt fermée et volontaire et les groupes jouissent d’une grande autonomie dans le choix des sujets abordés. Cette approche a donc tout avantage à être employée en synergie avec d’autres stratégies.

Cela dit, le groupe de codéveloppement professionnel peut contribuer à la diffusion et à la mise en application d’un changement, par exemple un projet de changement culturel, de consolidation de pratiques ou de déploiement de nouveaux profils de compétences. Il peut avoir une fonction d’intégration de la théorie et de la pratique et contribuer au transfert d’apprentissage. Il peut aussi constituer un canal de communication entre les porteurs du changement et les destinataires. Il profitera particulièrement aux agents de changement regroupés qui pourront discuter des enjeux et des difficultés rencontrés dans le projet auquel ils contribuent. Il peut alors avoir une fonction d’intégration de diverses constituantes de l’organisation en présence (ce qui permet d’ouvrir les communications entre les services, d’améliorer les mécanismes de coordination, de favoriser les approches interdisciplinaires).

Toutefois, ce type d’utilisation du codéveloppement professionnel fait ressortir l’enjeu de la masse critique de participants. La recherche de la participation d’un grand nombre devra tenir compte du fait que les groupes doivent être équilibrés et respectueux des dynamiques entre les participants. La participation devra idéalement être volontaire; si tous doivent participer, il faudra traiter les questions d’engagement et de confidentialité de façon réaliste et avec tact.

Les objets de consultation sont aussi des leviers à utiliser. À cet égard, on pourra privilégier des thèmes, proposer des grilles de lecture et d’analyse associées au projet et même associer au groupe un parrain qui fera un lien avec le projet de changement en cours. Le choix des sujets de consultation devrait continuer à se faire parmi les plus importantes préoccupations des participants dans leur pratique actuelle de telle sorte qu’ils ne prennent pas de distance par rapport à leur responsabilité et à leur pouvoir sur la situation. Des sujets à portée organisationnelle ne devraient pas être évacués par les participants de peur d’être mal perçus ou de voir la confidentialité menacée.

Lorsqu’un enjeu organisationnel est présenté dans un groupe de codéveloppement et qu’il est un sujet récurrent dans plusieurs groupes, il devrait « remonter » dans l’organisation et, le cas échéant, être traité à ce niveau. Pour faire circuler ce genre d’information, tout en respectant la confidentialité et en s’assurant que l’information n’est pas nominative, on peut faire un bilan de fin de cycle, à partir de recommandations provenant du groupe et validé par les membres. Cette façon de faire ouvre une communication entre les groupes et l’organisation. Il faudra cependant s’assurer que les groupes ne se transforment pas en lieux de ventilation des insatisfactions et que leurs membres ne perdent pas de vue l’objectif central du codéveloppement, qui est d’améliorer leur pratique individuelle.

On voit donc plusieurs contributions possibles de la démarche au développement organisationnel, mais aussi de nombreux facteurs et limites à prendre en considération. Ces diverses adaptations de la formule devraient d’abord être convenues très clairement dès le démarrage et acceptées par tous les participants ainsi que par les mandataires de l’organisation, pour être conformes à l’esprit du groupe de codéveloppement professionnel et à ses conditions de réussite. Les responsables de l’intervention devront s’occuper des interfaces. Ainsi, le contrat initial devra spécifier clairement les conditions à respecter et la circulation des informations entre le groupe et l’organisation devra être gérée avec doigté, non seulement pour protéger la confidentialité, mais aussi pour faire en sorte que les observations ou recommandations des participants soient écoutées.

Cette dimension du codéveloppement constitue un formidable créneau pour les CRHA et CRIA, particulièrement pour ceux qui ont une expertise en développement organisationnel, en coaching ou en formation. Ils y trouveront un bon outil de développement des personnes et des organisations, tout en pouvant aussi profiter de cette approche pour leur propre développement professionnel.

La simplicité apparente de groupes de codéveloppement professionnel qui ont produit des résultats significatifs a assurément contribué à la popularité de la démarche et a entraîné l’apparition de variations dans sa pratique, notamment en développement organisationnel. Ces innovations sont bienvenues, tant qu’elles respectent l’esprit de l’approche.

Voilà donc une pratique de plus en plus reconnue, et dont les possibilités, si on en respecte bien les forces et limites, sont très prometteuses en développement des ressources humaines.

L’auteur remercie Adrien Payette de ses judicieux conseils pour cet article.

Claude Champagne, CRHA, adjoint intérimaire à la DRH et chef développement organisationnel, CSSS de Saint-Jérôme

Source : Effectif, volume 17, numéro 1, janvier/février/mars 2014.


Sources
  • CHAMPAGNE, C. et LANGELIER, L. (2008). « On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres », Effectif, vol. 11,
    n° 3, juin/juillet/août 2008.
  • PAYETTE, A. et CHAMPAGNE, C., (1997). Le groupe de codéveloppement professionnel, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université du Québec, 211 p.
  • PAYETTE, A (2000). « Le groupe de codéveloppement et d’action formation – Une approche puissante encore méconnue », Effectif, vol. 3, n° 2, avril/mai 2000, p. 30-35.
  • PAYETTE, A. « Codéveloppement et changement organisationnel », dans HOFFNER-LESURE, A. et DELAUNEY, D. (2011 »). Le codéveloppement professionnel et managérial, Éditions EMS, 295 p.
  • Actes du colloque de 2011 et du Grand forum de 2013 de l'Association québécoise du codéveloppement professionnel

Claude Champagne, CRHA