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Le supérieur immédiat : un acteur clé dans la santé au travail

Dans bien des cas, le supérieur immédiat est embauché à ce poste avant tout pour ses compétences techniques en lien avec le type de production ou ses compétences de gestion. Les priorités dictées par la haute direction sont la plupart du temps reliées à l’atteinte d’objectifs de productivité, de rentabilité, à la définition d’objectifs stratégiques, d’optimisation de la production, etc.

2 octobre 2013
Élaine Tremblay, Isabelle Gagné et Richard Matte

Le supérieur immédiat doit également s’assurer du respect des règles et des procédures, être un bon motivateur pour son équipe, maintenir un bon climat de travail, agir comme conciliateur lors des conflits, etc. On comprend donc qu’en plus de ses connaissances techniques, le supérieur doit savoir gérer son temps et ses priorités pour atteindre l’ensemble de ses objectifs; mais sa façon de communiquer et son savoir-être sont aussi importants, car il a une grande influence sur le comportement et la perception des travailleurs.  

Il est effectivement de plus en plus reconnu que le supérieur immédiat est un acteur clé au sein de l’entreprise en ce qui concerne l’adhésion des travailleurs à la santé et à la sécurité, la prévention des troubles musculo-squelettiques et des troubles de santé mentale ainsi que le succès du processus de réintégration des employés absents du travail.

Une étude de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) portant sur la participation et l’implication des travailleurs en matière de santé et de sécurité démontre clairement que les relations entre les travailleurs et leur gestionnaire peuvent faciliter ou non leur implication dans l’application des règles et des normes à cet égard. Lorsque les travailleurs estiment que leur relation avec leur supérieur leur permet de parler des problèmes éprouvés au travail, d’être écoutés, respectés et consultés dans l’élaboration des solutions, il y a sans contredit un effet positif sur leurs comportements et leur participation à la santé et à la sécurité. À l’inverse, lorsque la dynamique des relations avec les gestionnaires est difficile, cet effet est négatif.

De même, lorsqu’on recense les différents indicateurs psychosociaux, le soutien de l’organisation et du supérieur est un élément très important inscrit dans plusieurs questionnaires et études portant sur le sujet. On interroge notamment les travailleurs sur la gestion dans l’entreprise, la qualité des relations avec le supérieur immédiat. Les éléments comme la latitude décisionnelle et la communication sont également des facteurs clés qui passent souvent par le supérieur immédiat. Celui-ci a donc un impact direct sur le quotidien des travailleurs et sur la perception qu’ils ont de leur travail, de leurs conditions de travail ou même sur leur motivation à revenir au travail après une absence.

Voilà déjà bien des rôles à jouer pour une seule personne! Les superviseurs ont-ils le temps et les habiletés pour relever tous ces défis et sont-ils vraiment conscients de l’importance de leur rôle?

Encadrer le retour au travail: un rôle de trop pour le supérieur immédiat?
Quand s’y ajoute la tâche d’encadrer le retour au travail d’un employé, sans ligne de conduite claire de la haute direction ni concertation entre les professionnels des services de santé et du service des ressources humaines, on peut comprendre que certains supérieurs puissent la percevoir négativement, comme une corvée de plus sur leur longue liste de responsabilités.

De façon générale, les supérieurs immédiats souhaitent coopérer à la prévention en matière de santé et au processus de retour au travail; ils reconnaissent aussi l’importance de soutenir leurs employés et de mettre en place des mesures d’accommodement appropriées à leur réintégration.

Le supérieur immédiat n’est toutefois pas toujours suffisamment outillé pour faire face à ces rôles et se retrouve souvent livré à lui-même. Plusieurs études, telles celle de Gard et Larsson et celle de Holmgren et Dahlin Ivanoff, ont effectivement mis en évidence que les supérieurs immédiats ne perçoivent pas avoir les ressources requises ou les disponibilités nécessaires pour mettre en place les meilleures pratiques de prévention et de retour au travail.

À cet égard, Krupa, Kirsh, Cockburn et Gewurtz ont démontré que les attitudes et les comportements du supérieur immédiat lors du retour au travail sont fortement influencés par les ressources matérielles et humaines mises à sa disposition.

Professionnel RH : un rôle de soutien
Devant ces constats, que peut faire le professionnel en ressources humaines pour mieux encadrer et soutenir les supérieurs immédiats dans ces rôles et les amener à adopter les bonnes pratiques face à leurs employés? Voici quelques pistes de solutions, tant en prévention qu’en réadaptation.

Implanter des politiques et procédures claires et cohérentes en matière de prévention et de gestion de l’invalidité – Bien que la plupart des employeurs reconnaissent l’importance de la santé et du bien-être de leurs employés, beaucoup d’organisations n’ont pas de politiques et de procédures claires à cet égard.

Mettre en place un programme d’aide à l’organisation ou une démarche de prévention – Selon la Chaire de recherche sur l’intégration professionnelle et l’environnement psychosocial de travail, un programme d’aide à l’organisation en prévention et gestion des absences en santé mentale permet notamment de soutenir son équipe d’employés et se traduit par différentes actions concrètes telles que : être sensible aux difficultés rencontrées par les employés, être disponible pour en discuter, gérer rapidement les conflits, tenir régulièrement des réunions d’équipe et encourager le coaching et le mentorat.

Il existe également d’autres types de démarches pour la prévention des problèmes de santé mentale. L’Université Laval, en collaboration avec l’IRSST, propose le Guide pour une démarche stratégique de prévention des problèmes de santé psy­chologique au travail; cette démarche en cinq points va de la préparation à l’implantation des actions et des impacts. En plus de bien définir les facteurs de risques et l’importance de l’engagement dans une telle démarche, on y trouve certains exemples concrets sur les pratiques de gestion positive et des exemples de comportements au travail visant à réduire le stress chez les travailleurs.

Une démarche similaire est proposée dans le site Internet de Protégeons la santé mentale au travail, qui propose un ensemble exhaustif de ressources uniques et gratuites conçues pour protéger et promouvoir la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail ainsi que des outils d’amélioration.

Former les dirigeants et les supérieurs immédiats pour les sensibiliser à l’importance de leur rôle, de leurs actions et de leurs comportements et les outiller en vue du maintien de la santé et du bien-être de leurs employés. À titre d’exemple, une formation sur l’importance et l’impact de la reconnaissance au travail qui comporte des outils concrets et efficaces.

S’assurer d’une bonne communication entre les professionnels du service de santé et du service des ressources humaines, entre la haute direction et le supérieur immédiat dans l’application des mesures et des modalités de retour au travail d’un employé en processus de réintégration au travail.

Effectuer une rencontre préparatoire au retour au travail avec tous les acteurs concernés afin de concevoir et d’implanter ensemble le plan de retour au travail. Il est effectivement reconnu que l’action concertée est un des leviers les plus importants du succès du retour au travail.

Informer et sensibiliser les collègues sur les restrictions de l’employé et sur les mesures d’accommodement qui seront mises en place. Ceci permet souvent d’éviter bien des frictions au sein de l’équipe et d’éviter les fausses interprétations et les croyances erronées pouvant affecter le climat de travail.

Nommer un «coordonnateur du retour au travail» au sein de l’entreprise – Il s’agit d’une personne clé dans le succès du retour au travail, sélectionnée avant tout pour sa crédibilité auprès de l’employé, et qui doit particulièrement détenir de bonnes habiletés de communication, de résolution de problèmes et de conflits.

Faire appel, au besoin, à des consultants externes, tant en prévention qu’en réadaptation par exemple pour implanter ou réviser les politiques et les procédures de prévention et de gestion de l’invalidité, pour évaluer les besoins de formation des gestionnaires, pour coordonner le retour au travail avec les acteurs clés, etc.

Plusieurs actions, à plus ou moins grande échelle, peuvent donc être mises en place par le professionnel en ressources humaines afin de sensibiliser, d’outiller et de soutenir le supérieur immédiat, lui permettant ainsi d’assumer pleinement ce rôle clé dans l’adhésion des travailleurs à la prévention des troubles de santé physique et mentale ainsi que dans le succès du processus de réintégration des employés absents du travail. On évitera ainsi que le niveau de détresse psychologique et de stress lié au travail du supérieur immédiat augmente en raison de responsabilités trop lourdes et difficiles à assumer.

Il appartient aux professionnels en ressources humaines de conscientiser les supérieurs immédiats à l’importance de jouer leur rôle de sentinelle, mais également d’agir en tant que personnes-ressources capables d’accompagner leurs employés en matière de prévention et de résolution de problèmes de santé au travail.

Élaine Tremblay, ergothérapeute, vice-présidente et associée, Intergo, Isabelle Gagné, ergothérapeute-ergonome CCPE, présidente et associée, Intergo, et Richard Matte, CRHA, psychologue du travail, directeur associé, Matte Groupe conseil/IIC Partners.

M. Matte et Mme Tremblay sont respectivement président et membre du conseil d’administration de l’Association des professionnels en santé au travail.

Source : Effectif, volume 16, numéro 4, septembre/octobre 2013.


Bibliographie

CORBIÈRE, Marc et Marie-Josée DURAND. Du trouble mental à l’incapacité au travail, Presses de l’Université du Québec, 2011.

BRUN, Jean-Pierre, Caroline BIRON et France ST-HILAIRE. Guide pour une démarche stratégique de prévention des problèmes de santé psychologique au travail, Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail, Université Laval, 2009.  

Processus organisationnels et psycho-sociaux favorisant la participation des travailleurs en santé et en sécurité du travail , IRSST, R-211, 1999.

BRUN, Jean-Pierre. Management d’équipe : 7 leviers pour améliorer bien-être et efficacité au travail, Éditions d’organisation, 2008.

Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail de l’Université Laval.

Équipe de recherche sur le travail et la santé mentale.

Protégeons la santé mentale au travail, enquête de PSMT.


Élaine Tremblay, Isabelle Gagné et Richard Matte