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Les joies de l'hiver : jusqu’où va la responsabilité des employeurs?

Les intempéries de l’hiver ou toute autre catastrophe naturelle peuvent entraîner la fermeture partielle ou totale d’une entreprise. Jusqu’où vont les obligations de l’employeur en pareil cas?

28 février 2013
Alexis Charpentier, CRIA

Bien que certains y soient allergiques, l’arrivée de l’hiver réjouit beaucoup de monde. Sorties familiales en plein air, activités sportives et bien d’autres sont autant de bonnes raisons de mettre le nez dehors.

Toutefois, la saison froide peut avoir des inconvénients pour plusieurs entreprises et pour leurs gestionnaires : augmentation des retards et de l’absentéisme, diminution de la charge de travail, voire cessation temporaire des activités en raison de difficultés d’approvisionnement, etc. S’ajoutent à cette liste certains risques reliés à la santé et à la sécurité des salariés.

En cas de retard ou d’absence, le gros bon sens!
Les absences et les retards dus aux intempéries (verglas, tempête de neige, etc.) sont monnaie courante et font partie du quotidien de bien des entreprises. Un employeur est-il justifié d’imposer une mesure disciplinaire à un employé absent ou en retard pour un tel motif? La réponse à cette question découle de la règle bien établie en matière de relations du travail, soit celle du gros bon sens!

À cet égard, une analyse de la jurisprudence révèle que les critères suivants sont considérés afin de déterminer si l’employeur était justifié d’imposer une mesure disciplinaire à l’employé en retard ou absent en raison d’une tempête de neige ou de mauvaises conditions climatiques :

  • conditions météorologiques;
  • efforts faits par l’employé pour se rendre au travail;
  • existence de solutions alternatives (le transport en commun par exemple);
  • fonctions occupées par le salarié;
  • conséquences du retard ou de l’absence sur le fonctionnement de l’entreprise.

Si chaque cas est un cas d’espèce et doit être analysé selon ses particularités, il ne fait cependant aucun doute qu’il peut s’agir d’un motif tout à fait légitime d’imposer une mesure disciplinaire à un salarié. En outre, il est parfaitement raisonnable d’exiger qu’un salarié quitte son domicile plus tôt qu’à l’habitude afin d’être à l’heure au travail en cas de mauvaises conditions météorologiques. Le salarié a également l’obligation d’informer rapidement son employeur de son retard ou de son absence, afin d’en limiter les inconvénients. Finalement, et comme cela devrait être toujours le cas en matière disciplinaire, la cohérence et la constance dans l’imposition de mesures disciplinaires sont de mise afin d’éviter un sentiment d’iniquité parmi les salariés. La décision d’imposer une mesure disciplinaire ou de ne pas le faire ne devrait en aucun cas dépendre de l’identité du salarié.

Pour assurer cette constance décisionnelle, et si les circonstances au sein de l’entreprise le justifient, certains employeurs adoptent une politique sur les retards et absences, notamment en cas d’intempéries. Une telle politique énonce généralement les attentes de l’employeur et les conséquences du défaut de suivre les règles qui y sont ­prévues. Sa présence peut s’avérer utile pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire, le salarié étant bien averti des attentes de son employeur.

Payer les salariés ou pas?
Les intempéries de l’hiver ou toute autre catastrophe naturelle – on n’a qu’à penser à la tempête Sandy qui a complètement paralysé la ville de New York en octobre dernier – peuvent entraîner la fermeture partielle ou totale d’une entreprise. En ce cas, l’employeur a-t-il l’obligation de rémunérer ses salariés?

L’essence même du contrat de travail implique le versement d’un salaire en contrepartie d’une prestation de travail. Autrement, l’employeur n’a pas à verser de salaire. Ce principe général doit toutefois être nuancé si les salariés sont déjà au travail ou doivent demeurer disponibles. En effet, dans pareille situation, la Loi sur les normes du travail (LNT) oblige l’employeur à verser une indemnité égale à trois heures de salaire à l’employé qui travaille moins de trois heures, si celui-ci s’est présenté sur les lieux de travail ou encore s’il devait demeurer disponible pour travailler.

Suivant les termes de la LNT, l’employeur n’est toutefois pas tenu de respecter cette obligation en cas de «force majeure». Pour être ainsi qualifié, un événement doit répondre aux critères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité. À titre d’exemple, les tribunaux québécois ont reconnu que la crise du verglas de 1998 remplissait ces critères. Il en irait de même si un ouragan tel que Sandy avait pour effet de ralentir les activités d’une entreprise (en raison par exemple des retards de livraison d’un fournisseur américain). À l’inverse, il y a de fortes chances pour qu’une simple tempête de neige ne soit pas considérée comme un événement «imprévisible», compte tenu du climat québécois.

En milieu syndiqué, les mêmes règles s’appliquent, en suivant toutefois les termes de la convention collective. À titre d’exemple, les parties peuvent avoir adopté leur propre définition d’une «force majeure» ou avoir prévu les conséquences salariales d’une fermeture temporaire. Rappelons toutefois que tout article de la convention collective qui aurait pour effet d’accorder aux salariés moins que le minimum prévu à la LNT est réputé non écrit puisque contraire à l’ordre public.

Et la SST dans tout ça?
Les législations provinciale et fédérale imposent d’importantes responsabilités à l’employeur en ce qui a trait à la santé et à la sécurité de ses salariés. Au Québec, le Code civil du Québec, loi d’application générale, énonce que tout employeur a l’obligation de prendre les mesures appropriées afin de protéger la santé et la sécurité de ses salariés. La Loi sur la santé et la sécurité du travail prévoit également cette obligation, en plus de prévoir des peines exemplaires pour tout employeur qui contrevient à cette obligation. Signalons que les amendes en cas d’infraction à cette obligation ont récemment été substantiellement augmentées. Au niveau fédéral, et ce depuis 2004, l’employeur qui fait preuve de négligence grave dans l’accomplissement de son obligation d’assurer la santé et la sécurité de ses employés s’expose à des poursuites en vertu du Code criminel. Ce resserrement du cadre légal vise à envoyer un message clair aux employeurs qui mettent en danger la santé et la sécurité des travailleurs.

Durant la saison hivernale, l’employeur doit être particulièrement vigilant afin de ne pas exposer ses salariés à des situations dangereuses. À titre d’exemple, l’employeur qui exigerait le déplacement d’un salarié lorsque les conditions routières sont dangereuses pourrait voir sa responsabilité pénale et criminelle engagée. Si l’on se fie aux statistiques de la CSST, les risques associés à la conduite en hiver doivent être pris au sérieux : de 2007 à 2011, 94 travailleurs sont décédés à la suite d’un accident de la route.

En outre, tout employeur soucieux d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés doit tenir compte des conditions de froid intense qui peuvent survenir ainsi que de l’inadaptation de ses équipements et méthodes de travail aux conditions climatiques.

D’autre part, la surcharge de travail et les heures supplémentaires durant l’hiver sont un autre aspect à considérer. En effet, pour plusieurs employeurs, cette période ne présente pas un risque de ralentissement de leurs activités, car leurs employés sont davantage mis à contribution en cas de mauvais temps. Pensons par exemple aux cols bleus à l’emploi des municipalités, aux services d’incendie et de police ainsi qu’à toute autre entreprise susceptible de voir son volume de travail augmenter durant la saison hivernale.

À ce sujet, rappelons que la LNT prévoit qu’un salarié peut refuser de travailler dans les situations suivantes :

  • plus de quatre heures au-delà de ses heures habituelles quotidiennes de ­travail;
  • plus de quatorze heures par période de vingt-quatre heures ou plus de douze heures par période de vingt-quatre heures pour un salarié dont les heures de travail sont variables ou effectuées de manière non continue.

Toutefois, ces « droits de refus » ne peuvent s’appliquer lorsqu’il y a danger pour la vie, la santé ou la sécurité des travailleurs ou de la population, en cas de risque de détérioration grave de biens meubles et immeubles et en cas de force majeure.

L’employeur qui désire se prévaloir d’une ou de plusieurs de ces exceptions afin d’exiger la présence de ses salariés au-delà des périodes prévues à la LNT doit tout de même s’assurer qu’il ne met pas en jeu la santé et la sécurité de ses travailleurs. Un employeur diligent doit s’assurer qu’un employé n’est pas trop fatigué pour effectuer son travail et qu’il ne constitue pas un danger pour lui-même, ses collègues ou la population. Une littérature médicale abondante démontre en effet que le niveau de fatigue et le nombre d’accidents du travail sont des variables fortement interdépendantes. Pour sa part, une étude récente du WorkSafeBC démontre que le travail après un certain nombre d’heures sans sommeil peut s’apparenter au travail sous l’influence de l’alcool :

  • 17 heures sans sommeil équivalent à un taux d’alcoolémie de 0,05;
  • 21 heures sans sommeil équivalent à un taux d’alcoolémie de 0,08 (limite légale au Canada);
  • 24 à 25 heures sans sommeil équivalent à un taux d’alcoolémie de 0,10.

Comme on peut le constater, l’arrivée de l’hiver pose des défis particuliers aux gestionnaires des ressources humaines. Pour les relever sans problème, ils doivent éviter certains pièges ou erreurs tels que le manque de constance dans l’imposition de mesures disciplinaires pour retard et absence dus aux intempéries, le défaut d’informer diligemment les salariés que leur présence n’est pas requise en cas de ralentissement des activités et l’exigence d’heures supplémentaires sans tenir compte de leur capacité à travailler.

Droits et obligations de l’employeur en cas de catastrophe naturelle
  • Quand un employeur est-il justifié d’imposer une mesure disciplinaire à un employé absent ou en retard lors d’une catastrophe naturelle? Quels sont les critères à considérer?
  • Si l’entreprise doit ralentir ses activités, voire fermer temporairement en raison d’une tempête ou de toute autre intempérie, l’employeur a-t-il l’obligation de rémunérer ses salariés?
  • Qu’est-ce qui fait qu’un événement est un cas de force majeure?
  • Quelles sont les responsabilités de l’employeur en ce qui ­concerne la sécurité de ses employés lors d’une catastrophe naturelle?
  • Une catastrophe naturelle peut entraîner une surcharge de travail. Quand un employeur peut-il exiger la présence de ses salariés au-delà des périodes prévues à la Loi sur les normes du travail?

Alexis Charpentier, CRIA, avocat, Heenan Blaikie

Source : Effectif, volume 16, numéro 1, janvier/février/mars 2013.


Alexis Charpentier, CRIA