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Négociation : des revendications aux intérêts convergents

Dans un passé pas si lointain, lors de la préparation d’une négociation, employeurs et syndicats dressaient, chacun de leur côté, une liste exhaustive de revendications, pour finalement obtenir quelques concessions en restant campés sur leurs positions. « Mes premières négociations étaient fondées sur les positions, se souvient Richard Cuddihy, CRHA, consultant en relations du travail. De plus en plus, on discute des enjeux. ».

12 mai 2014
Etienne Plamondon Emond

De fait, les parties se montrent maintenant plus enclines à rechercher les intérêts communs pour résoudre les problèmes liés à la convention collective. Reynald Bourque, professeur associé à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal, a observé un réel tournant dans l’ensemble des négociations. « Il y a eu des changements très évidents depuis la fin des années 1990, dit-il. De plus en plus de gens impliqués dans les négociations, que ce soit du côté patronal ou syndical, sont initiés aux approches de négociation basées sur les intérêts ». Cette approche renverse le cycle traditionnel de la négociation et part du principe que « sur certains sujets, les parties ne sont pas en conflit, mais ont plutôt des intérêts convergents sur la base desquels on peut travailler, non pas pour maximiser ses gains chacun de son côté, mais pour maximiser les gains des deux parties ». La démarche s’amorce donc par un échange d’informations, pour permettre aux deux parties d’avoir la meilleure compréhension possible des problématiques et de prendre la décision la plus éclairée. En d’autres mots, on met cartes sur table dès le départ.

« Avant, on ne planifiait rien, admet Yves Devin, Fellow CRIA, ancien directeur général de la Société des transports de Montréal (STM). On prenait chacun des articles de la convention collective. Au moindre problème, on demandait des changements. Aujourd’hui, on arrive avec des enjeux : mobilité du personnel, capacité de payer, flexibilité opérationnelle, changement technologique, formation, etc. Plutôt que de faire cent demandes, quand vous savez que vous allez en obtenir cinq à la fin, vous parlez des cinq enjeux les plus importants pour trouver ensemble des solutions. » Richard Cuddihy nuance cependant : « Je ne pense pas qu’une négociation peut être raisonnée à 100 %. On ne met pas de côté toutes nos demandes pour seulement discuter des enjeux et trouver des solutions ensemble. Mais cette approche-là est plus présente. »

Reynald Bourque se souvient d’avoir commencé à donner des formations sur la négociation basée sur les intérêts au début des années 1990, alors que celle-ci commençait à se répandre aux États-Unis. Il assure qu’elles ont toujours la cote.

À la fin des années 1990, la STM avait été parmi les premières à lancer une négociation sur les principes de la négociation raisonnée. Yves Devin en parle comme d’un moment charnière. « On s’était entendu sur de grands sujets, raconte-t-il. Même au sujet de la dotation, le syndicat avait accepté que cela soit basé sur la compétence plutôt que sur l’ancienneté. En retour, il nous avait demandé de participer aux entrevues, ce qu’on avait accepté. Il y a trente-cinq ans, on n’aurait jamais vu ça! »

La STM invite depuis des personnes directement concernées à ses tables de négociations, pour déterminer le bien-fondé des solutions envisagées dans les clauses non pécuniaires. « Ce sont les responsables des opérations qui parlent d’égal à égal de ces sujets avec les représentants syndicaux, explique M. Devin. Avant, l’employé parlait au syndicat qui parlait aux responsables des ressources humaines qui parlaient aux opérateurs qui parlaient aux négociateurs qui revenaient à la table des négociations. C’était dangereux, parce que le phénomène du téléphone arabe existait vraiment. Aujourd’hui, ce sont les gens qui décident qui viennent dire si oui ou non ils sont capables de vivre avec ce qui est proposé et qui expliquent pourquoi. C’est vraiment différent. »

Le climat s’est apaisé, mais des raisons expliquent l’adhésion à une approche si conciliante. D’abord, le contexte économique plus difficile et la mondialisation ont placé les syndicats en position de vulnérabilité. « Au cours des vingt dernières années, l’enjeu principal des négociations, dans plusieurs secteurs, est devenu la sécurité d’emploi plutôt que les salaires », remarque Reynald Bourque. Aujourd’hui, des syndiqués sont parfois prêts à concéder un gel ou une baisse de salaire pour éviter une délocalisation, une fermeture ou une mise à pied massive. Or, les négociations centrées sur la rémunération tendaient naturellement vers une dynamique plus conflictuelle : la partie syndicale souhaitait des augmentations salariales tandis que la partie patronale cherchait simplement à stabiliser ou à baisser ses coûts. « Quand on parle de santé et sécurité du travail, d’organisation du travail, d’organisation du temps de travail ou de formations professionnelles, on n’est pas dans la même logique, parce que les convergences d’intérêts sont plus fortes que les divergences », indique M. Bourque.

Tout de même, un nouvel enjeu vient colorer les négociations depuis moins de cinq ans : les régimes de retraite. Selon M. Bourque, une « nouvelle zone de négociation va se développer autour de la recherche de nouveaux compromis durant la décennie à venir. Je ne dis pas que ça va changer la dynamique de façon fondamentale, mais ça complexifie les négociations ». Le son de cloche est similaire du côté de M. Cuddihy. « Des fois, il faut désormais faire appel à des actuaires ou à des gestionnaires de fonds de pension et les impliquer dans la négociation », souligne-t-il.

En revanche, Reynald Bourque observe que le nombre d’enjeux à régler a diminué avec les années. « Il y a un certain nombre de droits fondamentaux du travail qui sont maintenant prévus par la loi : santé et sécurité, équité salariale, clauses de disparité, etc. Toute cette réglementation fait en sorte que les conventions collectives n’ont pas à prendre ça en charge. Quand j’ai commencé en 1973, on négociait tout », se rappelle l’ancien négociateur de la CSN.

Question d’alléger la pression, la discussion entre les parties doit être constante et ne doit pas s’amorcer seulement lorsqu’arrive le moment de renouveler la convention collective. « Il ne devrait pas y avoir de surprises quand on arrive à une négociation », affirme Richard Cuddihy. Il raconte avoir récemment négocié une convention collective pour un employeur qui souhaitait revoir les coûts de l’assurance groupe. Or, ce sujet n’avait pas été abordé au sein de l’entreprise depuis vingt ans. Le syndicat, pris de court, a dû consulter de nouveau ses membres pour connaître leur avis. Bref, les négociations ont été plus ardues que prévu. « Ce n’est pas à la table de négociation qu’on commence à parler de choses aussi importantes. »

Yves Devin préconisait d’ailleurs une sorte de négociation perpétuelle à la STM. À l’approche d’un changement technologique par exemple, on prenait le pouls des employés. En suivant cette logique, « quand tu arrives à la négociation, à moins qu’il y ait des enjeux extraordinaires, il n’y a pas de raison que ça n’aille pas bien », assure-t-il. Après la signature d’une entente, Richard Cuddihy rappelle aussi l’importance d’une étape encore souvent bâclée : bien expliquer les changements apportés à la convention collective aux personnes responsables de son application, tels contremaîtres, superviseurs, directeurs des opérations, responsables des ressources humaines, etc. Cette démarche permet de bien mettre le train sur les rails jusqu’à la prochaine négociation.

Etienne Plamondon Emond, journaliste indépendant

Source : Effectif, volume 17, numéro 2, avril/mai 2014.


Etienne Plamondon Emond Journaliste indépendant