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Négociation et dissimulation ne font pas bon ménage

Joëlle Malo*, CRIA, est conseillère en relations de travail pour une entreprise manufacturière de moyenne taille possédant deux usines de production. Elle a été mandatée pour représenter la partie patronale dans la négociation du renouvellement de la convention collective bientôt échue. Lors de la préparation de la stratégie de négociation, Joëlle reçoit comme consigne de la direction de ne pas divulguer les problèmes financiers de l’entreprise qui mèneront vraisemblablement à la fermeture de l’une des usines à moyen terme. Que doit faire Joëlle avec cette information? Doit-elle accepter la demande de la direction de ne pas la divulguer?
*Nom fictif
 

12 mai 2014
Fanie Dubuc, CRIA, Avocate | Francis Desjardins, CRIA

L’ÉCLAIRAGE DÉONTOLOGIQUE - Dans le véritable intérêt du client

Me Fanie Dubuc, CRIA, coordonnatrice, affaires juridiques et réglementaires, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

En tant que CRIA, Joëlle se retrouve dans une situation délicate qui lui demande de représenter adéquatement les intérêts de son client, l’entreprise, mais qui exige aussi de sa part une conduite professionnelle qui respecte les normes de pratique de sa profession.

La plus grande difficulté de Joëlle consiste donc à remplir son mandat de représentante de l’employeur dans la négociation du renouvellement de la convention, tout en conservant son indépendance professionnelle. Pour clarifier l’attitude qu’elle doit adopter et les choix qu’elle devra faire, elle dispose de deux alliés : son Code de déontologie et son Code de conduite en négociation de convention collective.

Voyons ce que lui dictent ces outils.
Du point de vue déontologique, Joëlle doit négocier dans l’intérêt de son client. Toutefois, elle a également le devoir d’informer celui-ci des risques et conséquences associés au fait de cacher sciemment à la partie syndicale une information sensible qui influencera à coup sûr le déroulement et l’aboutissement de la négociation elle-même. En agissant ainsi, elle assume sa responsabilité professionnelle envers son employeur et préserve sa crédibilité.

Cette même obligation professionnelle doit aussi s’exprimer envers la partie adverse. En négociant de bonne foi et, entre autres, en évitant d’induire volontairement celle-ci en erreur, Joëlle préserve non seulement sa crédibilité, mais aussi celle de l’employeur. C’est d’ailleurs ce que le Code de conduite en négociation de convention collective stipule en visant l’établissement et le maintien de saines relations de travail dans un contexte d’échanges constructifs.

C’est ici qu’une stratégie de négociation judicieusement préparée permettra à Joëlle d’adopter l’attitude appropriée qui préservera de bonnes relations entre les parties, malgré les différends qui les opposent. Elle pourra alors dévoiler ses cartes au moment qu’elle jugera le plus opportun au cours de la négociation.

À retenir
  • Le membre doit sauvegarder son indépendance professionnelle (article 17 du Code de déontologie).
  • Le membre doit exercer son rôle-conseil.
  • Le membre doit exercer sa profession en tenant compte des normes de pratique généralement reconnues (article 3 du Code).
  • Le membre doit informer le client des risques inhérents et prévisibles associés à une solution envisagée (article 39 du Code).
  • Le membre ne doit pas induire quiconque volontairement en erreur, surprendre sa bonne foi ou utiliser des procédés déloyaux (article 74 du Code).

Pour aller plus loin… Des lectures en lien avec cette chronique, les extraits pertinents du Code de déontologie et divers compléments d’information se trouvent dans le portail de l’Ordre 
 

L’ÉCLAIRAGE DU PROFESSIONNEL - Quand stratégie rime avec honnêteté
Francis Desjardins, CRIA
, directeur national des relations de travail, Sleeman Breweries Ltd.

Cette situation reflète bien l’équilibre précaire entre l’établissement d’une stratégie de négociation et d’un rapport de force et l’obligation de négocier de bonne foi. Joëlle a la responsabilité d’informer son employeur des risques associés au fait de partager ou non cette information en cours de processus, et d’évaluer les impacts qui y sont associés. Il lui faudra, dès le départ, s’entendre avec son partenaire d’affaires, sur ce qui peut être divulgué ou non, puisqu’à tout moment pendant la négociation, des questions pourraient lui être posées sur le sujet. Elle devra alors, au nom de l’employeur et conformément aux obligations dictées par son Code de conduite en négociation de convention collective, y répondre honnêtement, sans maquiller ou cacher la vérité.

Joëlle devrait indiquer à la direction qu’une approche ouverte et transparente pourrait apporter des bénéfices aux deux parties. En partageant les préoccupations et en exposant concrètement la gravité de la situation au syndicat, ce dernier pourrait adopter une approche de coopération et participer activement à la recherche de solutions visant à retarder, voire à éviter la fermeture de l’usine, ou encore à contribuer au redressement financier de l’entreprise; ce qui, évidemment, profiterait à tous.

Cependant, cette approche pourrait comporter certains risques. Puisqu’aucune décision n’a encore été prise, le syndicat pourrait percevoir cette annonce comme une menace ou comme une simple tactique de négociation, ce qui pourrait avoir comme effet de provoquer une réaction négative chez les syndiqués et de miner les relations du travail. Dans ce cas, la préparation de Joëlle devra prévoir de quelle façon elle pourra démontrer au syndicat la véracité de la situation.

De plus, à défaut de pouvoir contribuer à la sauvegarde de l’usine, le syndicat pourrait certainement saisir cette occasion pour tenter de protéger les intérêts de ses membres en négociant l’intégration de clauses additionnelles dans la convention collective (indemnités de départ, formation, reclassement, etc.). Stratégiquement parlant, est-ce qu’on veut priver le syndicat de cette possibilité? Pour des raisons purement pécuniaires, peut-être bien. Mais d’un point de vue éthique, c’est difficilement acceptable.

En terminant, Joëlle devra considérer plusieurs facteurs qui viendront influencer la direction à prendre ainsi que la stratégie qu’elle proposera à son employeur dans l’exercice de son rôle-conseil. Par exemple, les négociations antérieures, l’affiliation syndicale, la personnalité des principaux acteurs et l’état actuel des relations du travail influenceront sa réflexion.

Source : Effectif, volume 17, numéro 2, avril/mai 2014.


Fanie Dubuc, CRIA, Avocate coordonnatrice, affaires juridiques et réglementaires Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Francis Desjardins, CRIA Director, Labour and Employee Relations McGill University