ressources / revue-rh / archives

Société des alcools du Québec: le goût d’aller plus loin

Fondée en 1921, la Société des alcools du Québec (SAQ) célébrait en 2011 ses quatre-vingt-dix ans d’existence. Presqu’un siècle au cours duquel l’entreprise n’a eu de cesse d’élargir son offre de produits, ralliant année après année de plus en plus d’adeptes.

9 octobre 2012
Guylaine Boucher

Résultat : plus de 238 millions de bouteilles sont vendues chaque année par la société d’État, qui a en outre généré des bénéfices nets cumulés de 4,345 milliards de dollars en cinq ans. Le secret de ce succès? Les gens, de l’avis du président et chef de la direction de l’entreprise, Philippe Duval, CRIA.

« Il existe des milliers de détaillants ici et ailleurs et chacun fait face à des défis commerciaux de taille. Ce qui nous distingue, affirme celui qui préside aux destinées de la Société depuis 2008, ce sont les gens, la passion qui les habite et la manière dont ils entrent en relation avec la clientèle. » Une autre façon de dire que les ressources humaines sont au cœur de l’entreprise.

Indice de l’importance accordée au capital humain, les ressources humaines font partie intégrante du plan stratégique de l’organisation. « La majorité des décisions prises au comité de direction sont en lien avec les ressources humaines, que ce soit la formation, le rendement, la performance, la relève ou encore la gestion du changement. C’est la clé. Sur papier, nous pouvons avoir le plus beau plan stratégique qui soit, si nous ne parvenons pas à bien le faire comprendre à nos employés, nous n’irons nulle part. Cette capacité à mobiliser les troupes et à aligner les actions sur le plancher au plan stratégique est la plus-value d’une équipe de professionnels en ressources humaines. C’est ce qui en fait des leaders d’influence majeurs », affirme Philippe Duval.

Le président de la SAQ n’hésite d’ailleurs pas à qualifier de crucial le rôle de l’équipe des ressources humaines. « Elle doit, dit-il, comprendre les enjeux d’affaires de l’entreprise, voire les anticiper pour recommander les bonnes stratégies qui permettront aux gestionnaires de mobiliser leurs troupes afin de réaliser les objectifs d’affaires. » Pour atteindre cette cible, la société a fait le choix d’intégrer, dans chacune de ses divisions, des partenaires d’affaires RH capables d’en saisir tous les tenants et aboutissants. « Cette compréhension fine des enjeux propres à chaque secteur d’activité nous a amenés à collaborer de façon importante à plusieurs programmes. Nous avons notamment travaillé de concert avec les ventes pour actualiser le service-conseil en succursale et offrir un accompagnement personnalisé aux clients, axé sur l’écoute active de leurs besoins et sur la découverte », explique Madeleine Gagnon, CRIA, vice-présidente aux ressources humaines.

La clé du succès : la collaboration
Cette gestion proactive a aussi joué un rôle capital au cours des dernières années en ce qui a trait à l’assainissement des relations du travail. Fortement médiatisé, le conflit de travail de 2004 avait en effet, de l’aveu de Madeleine Gagnon, laissé des séquelles. « Le rétablissement de relations de confiance durables était primordial, dit-elle, et nous l’avons fait petit à petit, avec beaucoup d’efforts de part et d’autre. »

Attablée avec ses syndicats, l’entreprise discute clientèle, études de marché, résultats, performance et rappelle aux travailleurs les défis que représente le fait d’être une entreprise publique à vocation commerciale et les attentes du gouvernement et de la population à cet égard. L’approche fait mouche. En 2008, la société d’État signe les plus longues conventions collectives de son histoire, soit une entente de huit ans avec ses employés de magasin, de sept ans avec ses employés d’entrepôt et de cinq ans avec le personnel de bureau.

Le dialogue établi en contexte de négociations teinte depuis les relations du travail de l’entreprise. « Maintenant, affirme la vice-présidente aux ressources humaines, les consultations sont plus nombreuses. Les syndicats ont participé à l’élaboration du plan stratégique et contribuent aux plans d’affaires annuels. Nous sommes capables de discuter des enjeux de l’entreprise. Nous sommes en mode écoute et nous nous laissons influencer. »

Pour Madeleine Gagnon, le fait que le président et chef de la direction soit à la base un professionnel de la gestion des ressources humaines contribue largement au succès de l’aventure. « Je n’ai pas, dit-elle, à insister sur la pertinence de la communication et sur l’importance des ressources humaines. Quand je parle reconnaissance, formation ou développement, on me porte une oreille attentive. Les employés sont réellement perçus comme des leviers essentiels au succès de l’entreprise. Ce ne sont pas des paroles en l’air. »

Cultiver les talents
La SAQ a d’ailleurs beaucoup investi dans le développement de son personnel. « On ne peut plus gérer les employés comme il y a quinze ans, affirme Madeleine Gagnon. Ils sont de plus en plus informés, appartiennent à des générations différentes et manifestent clairement le désir de s’impliquer dans l’entreprise. Nous avons fait le choix de tirer parti de cette volonté et d’investir dans le développement de notre main-d’œuvre », explique-t-elle.

À titre d’exemple, le parcours de développement professionnel des gestionnaires a été organisé en programme formel. Appelé Destination Leadership, il est offert à tous les gestionnaires de l’entreprise, à l’exception des gestionnaires en succursale qui bénéficient d’une formation indépendante de dix-huit mois. Ce programme vise le développement de leaders de proximité, orientés sur les résultats, mobilisateurs et ayant un bon sens des affaires; mais il est aussi largement utilisé pour le développement de la relève, considérée comme une priorité pour l’organisation. « Si nous ne sommes pas confrontés à des pénuries majeures ou à des départs à la retraite massifs aujourd’hui, c’est que nous croyons au développement des talents et que c’est l’un de nos processus d’affaires depuis 2005 », affirme Madeleine Gagnon, non sans une certaine fierté. « En faisant évoluer les talents de nos employés, nous nous assurons de les garder et nous faisons aussi évoluer l’organisation en assurant la performance et la pérennité des affaires, parce qu’ils ont une connaissance intime, tant de l’entreprise et des employés que de la relève », poursuit Philippe Duval.

Concrètement, chaque année, les personnes désireuses de progresser dans leur carrière sont invitées à se manifester. Des gestionnaires peuvent aussi désigner des individus jugés prometteurs. Le dossier de chacune de ces personnes est analysé par les gestionnaires de la division concernée. Les candidatures retenues au terme de cette première étape sont ensuite soumises au comité de direction qui analyse les dossiers en prenant en considération les objectifs de l’organisation et son plan stratégique. Au final, les candidats désignés peuvent se faire proposer un poste vacant ou la participation à un projet susceptible de favoriser leur développement. Une personne faisant partie de la relève peut ainsi être invitée à se joindre à l’équipe des ventes pour tester certaines de ses aptitudes.

Gérer le changement
En d’autres termes, la mobilité fait partie intégrante de la culture de l’organisation, pour le plus grand bonheur de Philippe Duval qui croit fondamentalement à l’approche. « Si on reste toujours dans sa zone de confort, on ne saura jamais où sont ses propres limites. Plus on bouge, argue-t-il, plus on est inconfortable et plus on s’améliore, parce qu’on se découvre de nouvelles capacités. » Une vision des choses partagée par Madeleine Gagnon. «Les personnes qui se voient offrir un défi comme celui-là sont dans l’action et ont des objectifs véritables à atteindre. Elles sont accompagnées et bénéficient d’un programme de coaching et de mentorat; mais elles doivent aussi, insiste-t-elle, miser sur leurs propres forces.» Au total, 91 personnes, dont 41 du côté des succursales, sont actuellement engagées dans un programme de développement. Et l’approche fait des petits. Au cours des cinq dernières années, 60 % des candidats identifiés comme étant la relève de demain se sont vu confier de nouvelles responsabilités.

Cela dit, ces personnes ne sont pas les seules à pouvoir bénéficier de formation. En fait, la SAQ a été l’une des premières organisations québécoises à offrir à tous ses employés l’accès à des formations virtuelles en ligne synchronisées avec ses opérations commerciales. « L’efficacité du système est telle, affirme la vice-présidente aux ressources humaines, qu’il permet de former l’ensemble du personnel en trois mois, ce qui hier encore nécessitait plus de trois ans. » Une performance saluée en 2012 par le Réseau Action TI qui décernait à l’entreprise le prix OCTAS dans la catégorie « Environnement d’apprentissage – plus de 2500 employés » pour son projet Espace formation SAQ.

Si la Société des alcools du Québec insiste tant sur le développement de son personnel, c’est qu’au dire de son président, l’agilité est une nécessité pour faire face aux défis qui se présentent à l’entreprise. De fait, parce qu’ils sont plus informés, notamment en raison du web et de la myriade d’informations qui y sont rendues accessibles, les consommateurs ont modifié leurs comportements d’achat et ont des attentes différentes envers les détaillants. La SAQ ne fait pas exception à la règle. « Les gens sont curieux. Ils veulent découvrir. Ils font des recherches, se posent des questions et arrivent en succursale mieux préparés et mieux informés que jamais. Dans un tel contexte, il est primordial pour nous de prendre les devants, de parfaire nos propres connaissances pour pouvoir continuer de les partager avec nos clients et leur permettre de poursuivre la découverte », explique Philippe Duval.

Pour atteindre ces cibles, le président affirme miser sur le développement du savoir et sur la pertinence de l’intelligence d’affaires de l’entreprise et des quelque 7500 employés qui lui donnent vie. « La force de la SAQ, affirme-t-il en guise de conclusion, est un heureux mélange entre le savoir-faire, l’innovation et la passion. C’est ce qui en fait une entreprise avant-gardiste, qui n’hésite pas à sortir des modes traditionnels de gestion. C’est ce qui fait la fierté de ses employés, mais aussi des Québécois. »

Guylaine Boucher, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 15, numéro 4, septembre/octobre 2012.


Guylaine Boucher