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Agilité organisationnelle : l’évolution darwinienne des entreprises

L’agilité organisationnelle répond au besoin vital des organisations d’innover pour demeurer pertinentes et concurrentielles dans une économie disruptive. Et les RH doivent non seulement l’accepter, mais accélérer son adoption. Mais quels en sont les principes? Quelles étapes suivre pour passer en mode agile? Et comment en déjouer les principaux enjeux?

1 septembre 2017
Paula Pereira | Philippe Mast, CRHA

Après avoir conquis le monde du développement informatique, les méthodes agiles s’étendent à l’ensemble de l’organisation. Objectif : permettre à l’entreprise de s’adapter de manière presque instantanée aux évolutions de son environnement pour assurer sa survie et créer un avantage compétitif. General Electric en est un exemple parfait : la compagnie doit sa longévité à son « aptitude constante à se remettre en question et à adopter de nouvelles manières de travailler » (S. Delayre, 2015). Selon un sondage d’Accenture, « devenir agile » est la 3e priorité d’affaires des chefs de la direction après la gestion du talent et du changement. Les études démontrent que les organisations agiles surpassent leurs concurrents sur les plans de l’adaptation au changement, de l’exécution de leur stratégie et de la capacité d’innovation. Aujourd’hui, on dénombre plusieurs modèles d’organisation basés sur les principes agiles, dont les feature teams en informatique, les tribus collaboratives de Spotify, l’holacratie popularisée par Zappos, ou encore l’entreprise libérée adoptée chez Michelin, Harley Davidson, Whole Foods et Morning Star.

Mais concrètement, c’est quoi l’agilité organisationnelle?

Le concept d’agilité organisationnelle repose sur quatre principes clés, qui bouleversent nos façons de gérer :

Principe 1 : Des équipes autonomes représentées sous forme de cercles et responsabilisées autour d’une mission, d’un marché ou des besoins intégrés des consommateurs. Le client interne ou externe est directement intégré dans le travail de l’équipe.

Principe 2 : Des principes de gestion plutôt que des règles, ainsi que des rôles dynamiques qui évoluent dans le temps.

Principe 3 : Des individus qui collaborent, qui n’ont pas peur de se tromper, soutenus par une culture d’ouverture et de confiance.

Principe 4 : Des leaders capables d’introspection, qui se mettent au service de leurs équipes et contribuent individuellement dans leur domaine d’expertise.

L’agilité organisationnelle implique un changement radical de nos pratiques managériales.

Mais pourquoi abandonner des méthodes éprouvées?

En effet, pourquoi devrait-on remettre en question nos façons habituelles de travailler, basées sur le taylorisme et les principes clés de l’efficacité industrielle ? Voici quatre raisons qui méritent d’être discutées :

Raison 1 : Pour être plus collaboratifs et créatifs. Travailler en équipe autonome avec des rôles évolutifs permet de maximiser l’intelligence collective (versus le modèle hiérarchique et en silos qui ne promeut que l’intelligence individuelle). Être plus créatif devient le moteur de la croissance dans un monde de connaissances.

Raison 2 : Pour être plus rapides et efficaces. Prendre des décisions, les exécuter, s’ajuster aux nouveaux enjeux et adopter des transformations, le tout de manière plus rapide, car c’est l’équipe et le client qui décident et amorcent ensemble les changements ! Plus besoin alors de grandes stratégies de gestion de changement qui deviennent trop lentes et obsolètes en cours de route.

Raison 3 : Pour être plus proches des clients. Il faut accompagner et inclure ses clients dans le processus de développement, afin de maximiser leur satisfaction.

Raison 4 : C’est plus le fun pour les employés, comme pour les gestionnaires. Tout le monde peut exprimer son originalité, ses idées, au lieu de simplement superviser ou exécuter des tâches. Plus de fun, c’est aussi plus d’engagement et donc plus de résultats !

Passer en mode agile : un processus en 6 étapes

Étape 1 – Sélectionner les fonctions ou projets qui passeront en mode agile.

Autant cette approche est naturelle pour les entreprises en mode start-up, autant pour les entreprises plus traditionnelles l’agilité organisationnelle représente un virage culturel majeur (rappelons que Zappos a perdu 14 % de ses gestionnaires – soit 210 employés – lors de sa transition vers l’holacratie, alors qu’elle était tout sauf une entreprise traditionnelle).

Ainsi, la meilleure façon de tester rapidement l’agilité organisationnelle au sein de votre entreprise est de commencer de manière progressive en sélectionnant soit des fonctions, soit des projets qui se prêtent plus facilement au virage agile. C’est ce que nous appelons l’approche hybride : elle consiste à garder en mode traditionnel les fonctions les plus affectées par la conformité (finance, légal, etc.), mais en parallèle, à faire passer en mode agile les fonctions les plus proches des clients internes/externes – et où l’élaboration de propositions innovantes et à haute valeur ajoutée est essentielle.

Étape 2 – Analyser la culture de travail au sein des équipes concernées, tout en identifiant les principales résistances.

Pour cela, évaluez :

  1. Les valeurs organisationnelles de l’équipe : intègrent-elles les principes de l’agilité organisationnelle, tels que l’ouverture, la confiance, l’autonomie, ou la prise de risques?
  2. Son talent : vos ressources disposent-elles des compétences, habiletés et comportements (notamment face au changement) qui vous permettront d’atteindre vos objectifs stratégiques sur le plan de l’agilité?
  3. Sa structure organisationnelle : les processus en place favorisent-ils la collaboration et l’intelligence collective? Les structures sont-elles flexibles et adaptables aux changements de paradigmes?
  4. Ses technologies : favorisent-elles la collaboration, l’apprentissage continu et le partage des connaissances?

Étape 3 – Aider ces équipes à définir leur mode de fonctionnement agile.

Pour cela : organisez des sessions d’intelligence collective en vous appuyant sur des principes tels que le Creative Design Thinking pour définir la nouvelle identité de l’équipe ; élaborez des plans d’action collectifs afin d’accélérer la mise en oeuvre de nouvelles méthodes de travail ; bâtissez des plans de développement individuels afin de favoriser l’éclosion d’un leadership partagé au sein de l’équipe et accompagnez l’équipe dans la transition vers un mode plus autonome.

Étape 4 – Tester plusieurs projets en mode agile avant de proposer un design organisationnel agile et permanent.

  1. Identifiez des projets à mener selon les principes d’agilité.
  2. Sélectionnez des individus formant une équipe suffisamment diversifiée : des profils créatifs, mais aussi des profils plus conceptuels, d’autres présentant des habiletés d’organisateurs/planificateurs et enfin des profils plus entrepreneuriaux.
  3. Placez le client et ses besoins au centre des préoccupations de l’équipe, en l’intégrant au processus de travail et en recherchant régulièrement sa rétroaction et son avis (de petites itérations rapides plutôt que de grands échecs).
  4. Distribuez les rôles adéquatement, en définissant quelques grandes responsabilités individuelles, des objectifs d’équipe, les valeurs partagées, mais surtout, veillez à favoriser un climat de confiance et d’engagement individuel et d’équipe envers le succès du projet.
  5. Soutenez l’équipe dans cette démarche avec l’aide de coachs expérimentés en innovation et en agilité organisationnelle.
  6. Évaluez les progrès de l’équipe en fonction d’objectifs de développement prédéfinis (développement dans l’action). Donnez de la rétroaction collective et individuelle en fonction du plan d’action initial (plan de développement), renforcez certains comportements et faites vivre les valeurs clés identifiées en début de projet.
  7. Animez des sessions de codéveloppement afin de promouvoir le partage des acquis.

Étape 5 – Définir des indicateurs clés de performance pour mesurer les progrès du passage à un mode plus agile.

Quatre grandes catégories d’indicateurs devraient être considérées et ajustées en fonction des objectifs du plan stratégique :

  1. Rapidité d’exécution et de changement.
  2. Créativité et innovation.
  3. Fun et engagement.
  4. Degré de satisfaction des clients.

Étape 6 – Faire un post-mortem collectif.

Donnez et demandez de la rétroaction à l’équipe afin d’améliorer les façons de faire et de partager ces expériences et acquis à travers l’ensemble de l’organisation.

Prévoir les barrières au changement : les enjeux de l’agilité

Qui dit changement, dit résistance. Voici quelques-uns des principaux enjeux que nous avons pu observer directement en entreprise :

Enjeu 1 : L’engagement de la haute direction. Est-elle prête à adopter un mode de gestion moins contrôlant? Est-elle outillée pour définir une vision plus claire, mais ajustable du futur? A-t-elle les outils de Business Intelligence lui permettant de communiquer des informations opérationnelles crédibles aux équipes afin qu’elles puissent s’améliorer?

Enjeu 2 : La mobilisation des gestionnaires. Sont-ils prêts (et ontils les compétences) à laisser tomber leurs habits de boss pour revêtir ceux de coachs, de mentors et de contributeurs individuels? Non seulement être au service de leurs équipes, mais apporter leur propre expertise et leurs habiletés autour de la table afin de maximiser l’innovation, la création de valeur et la satisfaction de leurs clients.

Enjeu 3 : Des politiques RH de masse et obsolètes. Les politiques RH peinent à suivre l’évolution rapide de l’entreprise : elles sont souvent élaborées en silos par des experts RH; les clients internes et leurs équipes ne jouant malheureusement qu’un rôle de spectateur. La gestion de la performance, par exemple, pose aujourd’hui un réel problème : peut-on encore imaginer gérer des objectifs individuels, sachant que les objectifs de l’entreprise ont une durée de vie très limitée ? Peut-on encore imaginer qu’un seul plan puisse correspondre à la réalité du travail de tous les employés?

Bon nombre d’enjeux RH restent à explorer par les entreprises plus traditionnelles, dont certains sont présentés dans ce tableau.

Pour répondre à ces enjeux, quelles sont les stratégies de recrutement, de gestion de la performance, de développement des compétences, de leadership, de gestion de la relève, de rémunération et d’engagement qui devront être mises de l’avant? C’est sur ces pistes-là que doivent se pencher les services RH s’ils souhaitent jouer un rôle stratégique dans le virage agile.

Alors, êtes-vous prêts à passer en mode agile?

L’agilité organisationnelle, c’est une évolution darwinienne de nos entreprises, qui les rendra plus innovantes et compétitives… mais encore faut-il qu’elles l’adoptent ! Alors, n’empêchez pas cette évolution avec des pratiques RH rétrogrades. En tant que gestionnaires RH, votre rôle est d’accompagner et d’accélérer ces changements de paradigmes, en veillant à remettre continuellement en question vos façons de faire et vos pratiques RH. Prêts à piloter la révolution agile au sein de votre entreprise?


Paula Pereira

Author
Philippe Mast, CRHA Cofondateur chez CORTO.REV, recrutement de cadres et Conseil en développement organisationnel CORTO.REV
Philippe Mast, CRHA est le co-fondateur du cabinet CORTO.REV, Recrutement de cadres et Conseil en RH et innovation, créé en 2001. Expert en développement organisationnel et en innovation, Philippe est également conférencier international et accompagne les exécutifs dans la transformation culturelle de leurs entreprises, afin qu’elles deviennent plus innovantes et agiles. Chasseur de têtes pour des postes de cadres et exécutifs, il compte à ce titre plus de 25 ans d’expérience dans le domaine et plus de 300 mandats de recrutement. Philippe a été vice-président, développement organisationnel chez TIW, une compagnie internationale de télécommunication opérant en Chine, en Inde, au Brésil et en Europe de l’Est. Avant de se joindre à TIW, il était consultant sénior chez HAY/McBer, en France et au Canada.

Source : Revue RH, volume 20, numéro 3, septembre/octobre 2017