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Perspective juridique : les initiatives de mieux-être au travail comme outil d’attraction et de rétention

Si les initiatives de mieux-être ont marqué le début des années 2000. Maintenant, il est de rigueur de prendre en compte les perspectives juridiques avant de mettre en place ces initiatives. Ce faisant, le professionnalisme des CRHA se démarquera.

23 janvier 2020
Élodie Brunet, CRHA | Michèle Parent, CRHA

L’état actuel du marché du travail force les entreprises voulant attirer et retenir les meilleurs talents à adopter diverses mesures pour créer une expérience employé des plus intéressantes. Il faut en effet savoir que le contexte de pénurie de main-d’œuvre permet désormais aux employés d’exiger un milieu de travail sain, inclusif et stimulant.

Dans ce contexte, plusieurs entreprises choisissent notamment d’adopter un programme de mieux-être au travail ou diverses initiatives visant à améliorer la santé physique et psychologique de leurs employés.

Pourquoi adopter des programmes ou initiatives de mieux-être au travail?

Plusieurs raisons favorisent la mise en œuvre d’un programme de mieux-être au travail, notamment les suivantes :

  • Améliorer l’expérience employé. Cela est susceptible d’aider une entreprise à se positionner en tant qu’employeur de choix et d’améliorer l’expérience employé de ses collaborateurs tout en favorisant l’attraction et la rétention de talents. De plus, le bien-être des employés favorise généralement leur productivité. Ultimement, la profitabilité de l’entreprise devrait en être rehaussée.
  • Réduire les coûts. Une entreprise peut également, à plus long terme, réduire ses coûts liés à la santé de ses employés, que ce soit en termes de programmes d’assurances collectives, d’invalidité, d’absentéisme ou encore de pertes de productivité engendrées indirectement par une mauvaise santé physique ou mentale.

Un sondage de Morneau Shepell (2018), réalisé auprès de dirigeants des ressources humaines au Canada, met en lumière leurs priorités pour 2019, qui sont d’améliorer l’engagement et la productivité, mais aussi de réduire les coûts associés d’une part au taux de roulement et d’autre part à l’absentéisme et à l’invalidité.

Tendances en ressources humaines pour 2019

Sondage mené auprès de 356 organisations de secteurs variés et employant 683 000 employés

Améliorer l’engagement et la productivité

Pourcentage de répondants pour qui cet aspect est une préoccupation

  • Améliorer l’engagement des employés : 67 %
  • Mieux attirer et fidéliser les employés possédant les bonnes compétences : 59 %
  • Aider l’organisation à mieux s’adapter au changement constant : 51 %
  • Améliorer les programmes de formation et de perfectionnement : 50 %
  • Améliorer la santé mentale des employés : 48 %

Réduire les coûts et améliorer l’efficacité

Pourcentage de répondants pour qui cet aspect est une préoccupation

  • Réduire le taux de roulement du personnel : 43 %
  • Simplifier l’administration des programmes de ressources humaines : 41 %
  • Réduire les coûts liés à l’invalidité de courte durée : 34 %
  • Comprendre les facteurs prédictifs précis du roulement de personnel afin d’élaborer une stratégie plus judicieuse : 32 %
  • Comprendre les facteurs prédictifs précis des absences et de l’invalidité afin d’élaborer une stratégie plus judicieuse : 30 %

(Source : Morneau Shepell, 2018)

Les initiatives de mieux-être au travail peuvent-elles comporter des enjeux juridiques?

Bien que leurs avantages surpassent généralement leurs inconvénients, les initiatives de mieux-être au travail comportent certains enjeux juridiques. En voici quelques-uns, présentés sous forme de survol non exhaustif.

La confidentialité

En tant qu’employeurs, les organisations ont l’obligation de protéger les renseignements personnels de leurs employés, notamment en vertu des lois suivantes :

  • Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (RLRQ, c P-39.1);
  • Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ c A-2.1);
  • Code civil du Québec (RLRQ c CCQ-1991).

Or, la mise en œuvre de programmes de santé ou de mieux-être au travail comprend habituellement la collecte et l’utilisation de renseignements personnels et confidentiels afin d’élaborer un programme ciblé, répondant aux besoins et attentes précis des employés (renseignements médicaux, âge, problématiques de santé particulières, etc.).

Il est donc important pour les responsables des programmes de mieux-être d’assurer le respect des exigences légales relatives aux consentements nécessaires à la collecte de données et à leur utilisation. De plus, la compilation et la présentation de données devront être faites de manière dépersonnalisée.

Le risque d’accident « à l’occasion du travail »

Selon les circonstances, un accident survenu dans le cadre d’un programme ou d’une initiative de mieux-être au travail peut être accepté à titre de lésion professionnelle et indemnisé par la CNESST en tant qu’accident survenu « à l’occasion du travail ». En cas de litige, le Tribunal administratif du travail considérera une série de facteurs pour déterminer si un accident a lieu « à l’occasion du travail », notamment le lieu et le moment de l’événement, si l’employé était rémunéré ou en état de subordination, la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement et le caractère de connexité ou d’utilité relative de l’activité en regard de l’accomplissement du travail.

En principe, l’activité exercée dans le cadre d’un privilège accordé par l’employeur est un acte personnel dont la responsabilité et les risques incombent à l’employé, à moins qu’il ne démontre que l’activité exercée est connexe au travail ou utile à son employeur. Aux fins d’évaluer cette connexité ou utilité, on considérera notamment le fait que l’activité soit fortement encouragée, si des récompenses sont offertes aux participants, la pression exercée par les gestionnaires ou dirigeants en vue de susciter la participation, le choix de l’employé de participer ou non, ou encore l’avantage qu’en retire l’employeur.

La vie privée

Puisque la résidence privée de l’employé devient son lieu de travail, le télétravail peut présenter certains enjeux liés au respect de la vie privée des employés. À titre d’exemple, il est, en principe, difficile pour un employeur d’imposer un aménagement particulier du domicile de son employé. La supervision et la collaboration peuvent également présenter un défi.

Par conséquent, le télétravail devrait être encadré de manière à baliser l’attente des employés par rapport à la vie privée, délimiter les sphères professionnelle et personnelle, assurer la confidentialité des renseignements appartenant à l’employeur et prévoir le pouvoir de surveillance de celui-ci. De plus, puisque la Loi sur les normes du travail (RLRQ c N-1.1) s’applique indépendamment de l’endroit où l’employé fournit sa prestation de travail, les modalités suivant lesquelles les heures supplémentaires sont permises (le cas échéant) devraient être précisées, selon les circonstances.

La discrimination et les accommodements raisonnables

Les initiatives de mieux-être au travail peuvent engendrer des situations de discrimination (fondées, par exemple, sur le handicap ou l’âge) lorsqu’un groupe d’employés en particulier est ciblé. Elles peuvent également engendrer des demandes d’accommodements raisonnables. Selon les circonstances, une entreprise pourrait donc avoir à se soumettre au processus d’accommodement jusqu’à la contrainte excessive, selon les principes juridiques généralement applicables.

Sondage Sanofi Canada sur les soins de santé (2019)

93 % des répondants aimeraient poser au moins un geste pour améliorer leur état de santé, notamment grâce à :

  • L’activité physique : 56 %
  • Une saine alimentation : 46 %
  • Un sommeil suffisant : 43 %
  • La gestion du stress : 34 %

Comment mettre en place un programme de mieux-être au travail?

Il y a plusieurs façons de le faire. La norme Prévention, promotion et pratiques organisationnelles favorables à la santé en milieu de travail (BNQ 9700-800, « Entreprise en santé ») fournit un cadre de référence utile. Elle propose une démarche structurée et participative en prévention et en promotion de la santé. De manière très sommaire, les principales étapes de la mise en œuvre d’un programme de mieux-être au travail sont :

  1. L’engagement de la direction
  2. La formation d’un comité sur la santé et le mieux-être
  3. La collecte de données
  4. L’élaboration d’un plan pour la mise en œuvre du programme
  5. L’évaluation du programme

La norme précise également les quatre sphères d’intervention à l’intérieur desquelles les entreprises devraient agir pour améliorer le mieux-être de leurs employés :

  1. Habitudes de vie
  2. Équilibre travail-vie personnelle
  3. Environnement de travail
  4. Pratiques de gestion

Les employeurs qui ont mis en œuvre ces pratiques exemplaires peuvent voir leurs efforts reconnus par l’obtention de la certification « Entreprise en santé » ou « Entreprise en santé Élite », ce qui contribue au développement de leur marque employeur.

Notons que cette norme est en cours de révision et que sa nouvelle mouture devrait être publiée au cours des prochains mois.

Conclusion

Malgré les quelques enjeux juridiques susmentionnés, les initiatives de mieux-être au travail demeurent une excellente manière de se distinguer en tant qu’employeur, de répondre aux demandes de la nouvelle génération de même que de motiver et d’engager les employés.

Cependant, afin de réduire les risques d’entraves, mieux vaut être conscient des enjeux juridiques potentiels et considérer les pratiques exemplaires dès la mise en œuvre des programmes et initiatives de mieux-être au travail. 

Il faudra également surveiller l’évolution du droit en ce qui concerne notamment l’encadrement du droit à la déconnexion ou encore l’ajout de maladies psychologiques, telles l’anxiété, à la liste des maladies professionnelles reconnues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (RLRQ c A-3.001).

Références bibliographiques

Morneau Shepell (2018). Tendances en ressources humaines pour 2019. Aperçu des prévisions des dirigeants des RH pour la prochaine année. 

Pour aller plus loin

Deux autres normes peuvent également vous inspirer dans le cadre de la mise en œuvre d’initiatives de mieux-être au travail :

  • La norme Conciliation travail-famille (BNQ 9700-820)
  • La norme sur la Santé et sécurité psychologiques en milieu de travail (CAN/CSA-21003-13/BNQ 9700-803)

Autres ressources :

  • L’article « La norme “Entreprise en santé” remise au goût du jour » publié dans la revue RH, vol. 21, n° 3.
  • La décision du Tribunal administratif du travail dans la cause de Myre et Collège Ahuntsic (2017 QCTAT 1433), qui traite d’un cas de réclamation pour une lésion survenue dans le cadre d’un programme de mieux-être au travail.

Élodie Brunet, CRHA Avocate en droit de l'emploi Autorité des marchés financiers

Me Élodie Brunet, CRHA et avocate, est spécialisée en droit du travail et de l'emploi chez Lavery Avocats. Elle conseille une clientèle variée principalement composée d'employeurs concernant divers aspects du droit de l'emploi et des rapports collectifs de travail. Elle agit pour le compte d'employeurs devant les tribunaux administratifs et les tribunaux civils et conseille les employeurs dans le cadre de réclamations ou de démarches tant en matière de lésions professionnelles que de santé et sécurité du travail, incluant les dossiers d'inspection par la CNESST et de plaintes pénales qui peuvent y faire suite. Elle donne régulièrement des conférences et des formations.


Michèle Parent, CRHA Vice-présidente associée, Services conseils santé organisationnelle HUB International

Source : Revue RH, volume 22, numéro Hors-série