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L'expertise RH : pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain

Pénurie ou phénomène de rareté de la main-d’œuvre, départs massifs des baby-boomers à la retraite et caractère plus libertin des milléniaux ne sont que quelques défis auxquels feront face les entreprises dans les prochaines années. Selon l’Institut de la statistique du Québec (2019), ce phénomène n’en est qu’à ses débuts.

10 octobre 2019
Julie Brissette, CRIA

Comment valoriser l’expertise RH pour répondre aux défis d’aujourd’hui et prévenir ceux de demain?

Des actuaires du gouvernement du Québec ont calculé que la rareté de la main-d’œuvre devrait s’accentuer d’année en année pour atteindre son apogée aux abords de 2029-2030 (Institut de la statistique du Québec, 2019). Cette pénurie de main-d’œuvre, qui était annoncée il y a plus de 20 ans, commence à peine à faire sentir ses effets. Nous comptons déjà plus de 400 000 postes vacants au Canada et un peu plus de 120 000 au Québec. Avec un taux de 4,1 %, en hausse de 0,1 % par rapport au dernier trimestre, c’est le Québec qui connaît le plus haut taux de postes vacants au pays (Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, 2019).

Comment faire face à cette situation tout en assurant la pérennité des organisations? Pour les entreprises, le défi sera de taille. Afin de limiter les impacts de cette inévitable réalité, les professionnels des ressources humaines devront, dans les prochaines années, se démarquer et faire appel à leurs compétences pour agir sur trois grands axes principaux. Dans un premier temps, il faudra :

  • favoriser l’engagement et la fidélisation des travailleurs en poste;
  • développer des stratégies d’attraction et de rétention de la main-d’œuvre qui se démarqueront de celles de la concurrence;
  • travailler sur le mieux-être au travail.

Engagement et fidélisation des travailleurs

Chaque fois qu’une nouvelle génération fait son entrée dans le marché du travail, les coutumes et les façons de faire des entreprises sont remises en question. Les milléniaux ont besoin d’un style de gestion différent pour bien performer. Pour favoriser l’engagement et la fidélisation des nouveaux travailleurs au sein d’une entreprise, les gestionnaires devront ajuster leurs pratiques et leurs façons de faire de manière à se rapprocher du gestionnaire idéal tant recherché par les plus jeunes.

Les milléniaux valorisent particulièrement les qualités humaines. Ils apprécient les leaders qui font preuve d’intégrité et d’équité. Ils ont de l’estime pour ceux qui savent faire preuve de justice et qui valorisent le respect d’autrui. En plus des qualités humaines, les gestionnaires doivent posséder des aptitudes pour la communication. Les jeunes souhaitent avoir des échanges de qualité avec leur patron. Ils désirent échanger des idées et participer à la recherche de solutions.

Ce que ces travailleurs recherchent avant tout, c’est un mentor, une personne qui pourra les aider à se développer et à atteindre leur propre idéal. Selon un texte publié sur le site Web de Randstad (« 5 mythes sous la loupe au sujet des travailleurs milléniaux »), les milléniaux sont plus portés à demander un plus grand nombre de rencontres que les personnes des générations précédentes (génération X et baby-boomers). Pour eux, la conversation est importante et la critique constructive est un élément essentiel pour leur croissance professionnelle. Les gestionnaires devront consacrer plus de temps à la rétroaction et devront être ouverts aux discussions. Les milléniaux sont reconnus pour être enclins à dire ce qu’ils pensent et à exprimer leurs opinions. Ils n’ont pas peur d’exprimer leurs besoins et de définir leurs limites, surtout sur le plan professionnel. L’encadrement flexible et une plus grande disponibilité de la part des gestionnaires seront de mise pour les garder au sein de l’entreprise.

Postes vacants au pays :

  • Canada : plus de 400 000
  • Québec : plus de 120 000

Stratégies d’attraction qui se démarquent de la concurrence

Parce que les plus jeunes peuvent avoir une vision très claire de ce qu’ils recherchent dans le cadre de leur emploi et parce que leur liste d’employeurs idéaux peut être limitée, il faudra miser sur la culture organisationnelle de l’entreprise pour vendre les postes à combler à ces travailleurs. Plusieurs entreprises se font déjà concurrence pour attirer les nouveaux talents. Présentement, il est possible de voir les recruteurs annoncer des salaires à la hausse, une augmentation du nombre de jours de vacances et même l’achat de matériels divers tels que des barbecues pour attirer cette main-d’œuvre vers leur organisation. Ces stratégies peuvent sembler attrayantes au premier regard, mais leurs effets seront de courte durée. Bien que les milléniaux aient la réputation d’être paresseux, plusieurs études ont démontré que cette réputation est totalement fausse. Un sondage de la firme Allianz mené en 2017 auprès de jeunes travailleurs américains révèle que 48 % d’entre eux n’utilisent pas toutes les journées de vacances annuelles auxquelles ils ont droit. Parce que cette génération est plus informée et sensible aux effets des entreprises sur la société, il faudra miser sur la culture organisationnelle pour les attirer. Ces jeunes travailleurs accordent beaucoup d’importance à la flexibilité et au développement de leurs compétences. Ils veulent se sentir utiles et savoir qu’ils ont un réel impact au sein de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Ils sont dynamiques et créatifs. Selon l’étude The Deloitte Global Millennial Survey 2019, les travailleurs âgés de 20 à 35 ans choisissent majoritairement leur employeur selon les critères suivants :

  • conciliation travail-vie personnelle;
  • diversité et inclusion;
  • flexibilité des horaires;
  • environnement de travail motivant et stimulant;
  • développement professionnel et possibilité de grandir dans l’entreprise;
  • effet positif de l’entreprise sur la société.

Mettre en place des politiques d’entreprise et une culture qui encourage ces pratiques est susceptible d’attirer davantage les milléniaux que la hausse des salaires et l’augmentation du nombre de jours de vacances. Mais encore faut-il que l’entreprise mette en pratique ce qu’elle annonce. Mettre de l’avant que l’entreprise pratique un management participatif sans réellement le pratiquer ne sera pas concluant. Ces travailleurs le constateront rapidement et seront portés à quitter l’entreprise dans un court délai. Autrement dit, il faut dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit.

Travailleurs ayant déjà souffert de dépression (par tranche d’âge) :

  • 18 à 34 ans : 15 %
  • 35 à 54 ans : 39 %
  • 55 ans et plus : 29 %

Mieux-être au travail

Valoriser des politiques RH qui encouragent le mieux-être au travail sera crucial pour faire face à cette rareté de la main-d’œuvre qui ne fera que s’accentuer durant les prochaines années. Déléguer le travail des postes non comblés aux travailleurs déjà en poste est une stratégie fréquemment utilisée, mais malheureusement celle-ci ne sera pas viable à plus long terme. La pression exercée sur les travailleurs en poste sera trop grande. Une telle pression peut être tolérée à court terme, mais à plus long terme elle augmente l’insatisfaction au travail, entraîne une démotivation du personnel et augmente les risques de maladies professionnelles. Une trop grande surcharge de travail, des heures supplémentaires fréquentes et des responsabilités trop lourdes sont quelques-uns des facteurs qui font augmenter le niveau de stress des travailleurs et qui peuvent fragiliser la santé de la main-d’œuvre et des organisations. Une enquête menée par Ipsos en 2017 pour le compte du Centre de la santé mentale en milieu de travail de la Great-West a révélé qu’aucune génération n’est à l’abri de ces problèmes et que plusieurs en sont déjà victimes.

En effet :

  • 15 % des travailleurs âgés de 18 à 34 ans auraient déjà souffert de dépression;
  • 39 % des travailleurs âgés de 35 à 54 ans auraient déjà souffert de dépression;
  • 29 % des travailleurs âgés de 55 ans et plus auraient déjà souffert de dépression.

Comme mentionné précédemment, les plus jeunes n’ont pas peur d’exprimer leurs opinions. Pour cette raison, ils sont aussi plus enclins à dénoncer les situations de harcèlement psychologique, de discrimination et d’iniquité. Pour se sentir bien au travail, les milléniaux ont besoin de souplesse, tant dans leurs horaires que par rapport aux lieux où le travail doit être effectué. Pour eux, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle est très important. Contrairement aux générations précédentes, les plus jeunes n’ont pas besoin de faire leur vie au travail; ils ont une vie à la maison. Au travail, ils ont besoin de se sentir utiles et engagés. Afin de les mobiliser, les entreprises devront miser sur des politiques qui augmentent le bien-être au travail et qui favorisent un environnement où l’autonomie et le développement des compétences seront valorisés et encouragés.

48 % des milléniaux n’utilisent pas toutes les journées de vacances annuelles auxquelles ils ont droit.

En somme, pour assurer la pérennité des organisations, il sera indispensable de repenser nos façons de faire et d’ajuster nos pratiques. D’un point de vue organisationnel, les trois axes sont intimement liés les uns aux autres, et c’est en travaillant ces trois éléments simultanément que les professionnels des ressources humaines réussiront à créer une culture organisationnelle capable d’attirer de la nouvelle main-d’œuvre et de maintenir en poste celle que l’entreprise possède déjà. Ensemble, ces trois grands principes serviront de pivots aux organisations et aideront à créer un climat de travail agréable où chacun aura l’opportunité de participer au développement de l’entreprise.

 

Références bibliographiques


Julie Brissette, CRIA

Source : Revue RH, volume 22, numéro 4, octobre/novembre/décembre 2019.