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Fidélisation : l'importance de l'Adéquation entre la personne et son environnement de travail

Dans le contexte démographique actuel, qui est marqué par de nombreux défis, et pour faire face à une pénurie de main-d’œuvre sans précédent, les organisations doivent savoir se démarquer et innover pour fidéliser leurs employés.

31 mars 2020
Andrée-Anne Deschênes, Ph. D, CRHA | Marie-Eve Dufour, CRHA

Une des pistes souvent négligées est celle de l’adéquation entre la personne et son environnement de travail. Pourtant, travailler dans un environnement dont les valeurs diffèrent des nôtres revient à porter des souliers trop petits : on est plus portés à en magasiner de nouveaux!

Prenant appui sur une enquête que nous avons réalisée au Québec auprès de 1065 répondants, nous tenterons d’expliquer l’importance de placer l’adéquation entre la personne et trois aspects de son environnement de travail (l’emploi, le superviseur et le groupe de travail) au cœur des stratégies de fidélisation des ressources humaines.

Que signifie être compatible avec l’environnement de travail?

Alors que les valeurs, les attentes et les besoins prennent davantage d’importance dans les relations d’emploi, la compatibilité entre une personne et son environnement de travail s’impose comme un facteur clé à considérer dans les stratégies et pratiques de fidélisation. Elle s’opère lorsque les caractéristiques de l’employé et celles de son environnement de travail sont bien assorties, que ce soit sur le plan des valeurs, des buts, de la personnalité ou des attentes. L’environnement de travail regroupant diverses sphères pour l’employé, il peut chercher à être compatible avec l’organisation au sens large, son emploi, son groupe de travail immédiat ou encore son superviseur, chaque compatibilité ayant son incidence.

Aller au-delà des connaissances-habiletés-attitudes (CHA) de l’employé

La compatibilité entre l’employé et son poste a longuement dominé la pratique. Cette façon de faire était justifiée par l’emphase traditionnellement mise sur la recherche de comportements prédéfinis par des descriptions de tâches. Or, les pratiques basées sur la seule adéquation entre les CHA de la personne et les exigences du poste ne suffisent plus. L’employé doit également être compatible avec l’organisation et les personnes qu’il y côtoie, comme son groupe de travail et son superviseur. Les études sont sans équivoque, en ce sens, que les trois types de comptabilités ont une influence bénéfique (Figure 1).

La compatibilité employé-organisation : clé de voûte de la fidélisation

La compatibilité entre l’employé et l’organisation pour laquelle il travaille se traduit par une adéquation mutuelle sur le plan des valeurs et des attentes. Dans l’enquête que nous avons réalisée, les répondants ont manifesté une compatibilité de niveau moyen sur une échelle de 5 (Figure 2). Malgré cela, les résultats obtenus montrent qu’il s’agit du type de compatibilité le plus déterminant dans l’explication du maintien de la relation d’emploi, de telle sorte que plus elle est forte, moins les employés sont susceptibles de quitter l’organisation. Par ailleurs, plus elle augmente, plus les employés semblent satisfaits de l’organisation pour laquelle ils travaillent.

La compatibilité employé-groupe de travail : assembler judicieusement les pièces du casse-tête

La compatibilité entre l’employé et son groupe de travail immédiat repose sur la similarité et la complémentarité en ce qui a trait aux caractéristiques individuelles telles que les valeurs, les buts, la personnalité et les habiletés. Dans l’étude, elle est ressortie comme étant le troisième vecteur du maintien de la relation d’emploi et comme la compatibilité pour laquelle les répondants affichent le degré le plus élevé (Figure 2). Ainsi, plus elle est forte, moins les employés semblent avoir l’intention de quitter l’emploi qu’ils occupent et plus ils semblent satisfaits face à leurs collègues.

La compatibilité subordonné-superviseur : pour une dyade qui perdure dans le temps

Le superviseur joue un rôle prépondérant dans les activités quotidiennes des employés, d’où l’importance de la relation qu’il entretient avec ses subordonnés. Un élément contribuant à la qualité de cette relation est le niveau de compatibilité entre ses caractéristiques et celles de ses subordonnés, tant sur le plan des valeurs, de la personnalité et des styles comportementaux. Cela dit, les résultats obtenus, montrant un degré moyen de compatibilité (Figure 2), placent ce type de compatibilité parmi ceux ayant une influence favorable sur le maintien de la relation d’emploi. Aussi, plus ce type de compatibilité augmente, plus les employés semblent satisfaits de leur superviseur.

Trois compatibilités de l’employé avec l’environnement de travail :

  • Emploi
  • Superviseur
  • Groupe de travail

Pourquoi la compatibilité devrait-elle être un levier de fidélisation?

Plusieurs pratiques s’offrent aux organisations pour favoriser la compatibilité entre les employés et divers aspects de leur environnement de travail.

Un processus de dotation proactif

Pour attirer des personnes compatibles avec l’organisation et ses diverses composantes, les valeurs, les buts et les objectifs organisationnels doivent être accessibles en amont des premières étapes du processus de dotation. Ainsi, que ce soit lors de l’affichage, des entrevues de présélection ou dans la documentation corporative, l’organisation devrait rapidement mettre de l’avant ses caractéristiques intrinsèques. À ce sujet, une image de marque employeur construite autour des valeurs organisationnelles est un bon véhicule de communication. À cela s’ajoute la révision du processus de sélection pour y inclure formellement la compatibilité, qui peut se concrétiser notamment par des tests, des questions d’entrevues ou d’autres outils, dans le respect des enjeux éthiques que cela soulève.

Miser sur différents niveaux de compatibilité

Si la compatibilité entre les caractéristiques de l’employé et celles de l’organisation semble le principal déterminant du maintien en emploi, les compatibilités avec le superviseur et le groupe de travail ne sont pas à négliger. Que ce soit par une organisation du travail misant sur la collaboration ou par des activités de sensibilisation des gestionnaires, les organisations gagneraient à miser sur la similarité et la complémentarité des personnes dans leurs activités de gestion des ressources humaines.

Considérer la compatibilité dans les processus de mobilité interne

Certaines caractéristiques individuelles, telles que les valeurs, les attentes et les compétences, évoluent au fil des années. Conséquemment, la compatibilité d’un individu avec son superviseur et les membres de son équipe de travail est susceptible de varier dans le temps. Vu son influence sur la fidélisation, l’organisation pourrait contribuer à prévenir des départs volontaires ainsi qu’à favoriser la mobilité interne en évaluant annuellement l’adéquation des employés sur différents paliers, et ce, sans toutefois négliger l’importance des compétences en emploi.

Répondants de l’enquête :

  • 55,6 % de femmes, 43,8 % d’hommes
  • Âge moyen : 44,6 ans
  • Années de travail pour l’organisation (en moyenne) : 14,4 ans
  • Détenant un diplôme universitaire : 58,1 %

Conclusion

Cela dit, même si la compatibilité entre l’employé et son environnement de travail représente une tendance en émergence, il faut garder à l’esprit qu’elle est déjà présente dans la gestion de plusieurs professionnels en ressources humaines, surtout en contexte de dotation. Certains l’appellent l’intuition, d’autres une sensation, une impression, un sixième sens, une subjectivité. Peu importe la façon dont on en parle, il faut maintenant apprendre à la faire entrer officiellement dans la gestion des ressources humaines d’aujourd’hui.

Références bibliographiques

  • ANDELA, Marie, et Margot van der Doef (2019, octobre). « A Comprehensive Assessment of the Person-Environment Fit Dimensions and Their Relationships with Work-Related Outcomes ». Journal of Career Development, vol. 46, no 5, p. 550-566.
  • SEONG Jee Young et Choi Jin Nam (2019). « Is Person–Organization Fit Beneficial for Employee Creativity? Moderating Roles of Leader–Member and Team–Member Exchange Quality ». Human Performance, vol. 32, no 3-4, p. 129-144.
  • SWIDER, Brian W., Ryan D. Zimmerman et Murray R. Barrick (2014, décembre). « Searching for the Right Fit: Development of Applicant Person-Organization Fit Perceptions During the Recruitment Process ». Journal of Applied Psychology, vol. 100, no 3, p. 880-893.

Author
Andrée-Anne Deschênes, Ph. D, CRHA Professeure en gestion des ressources humaines Université du Québec à Rimouski
Andrée-Anne Deschênes, Ph. D, CRHA, est professeure à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), campus de Lévis. Ses expertises portent sur l’adéquation entre l’individu et son environnement de travail, sur les aspects humains de la transition numérique et sur la formation et le développement des ressources humaines. Ses recherches ont été diffusées par le biais d’articles et de communications scientifiques, ainsi qu’à travers diverses formations destinées aux gestionnaires et aux professionnels RH.

Marie-Eve Dufour, CRHA

Source : Revue RH, volume 23, numéro 1, janvier/février/mars 2020.