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La puissance de la médiation

Bien qu'elle offre des avantages appréciables, la médiation n’est pas retenue aussi souvent qu’elle le devrait à la suite d’une allégation de harcèlement. Voici la présentation de ce mécanisme alternatif de règlement souvent mis de côté.
24 mai 2023
Marie-Josée Douville, CRHA, ECH, Médiatrice accréditée | Marie-Michèle Dugas, MBA, CRHA, Médiatrice accréditée

À la suite d’une allégation de harcèlement, la médiation devrait occuper une place prépondérante lorsque vient le temps de choisir le mécanisme alternatif de règlement le plus approprié. Pourtant, ce mécanisme n’est pas retenu aussi souvent qu’il le devrait, même s’il offre des avantages appréciables.

C’est avant tout avec la préoccupation de donner matière à réflexion sur l’étendue des bienfaits qui découlent de la médiation et de contribuer à déstigmatiser ce puissant processus réparateur que nous avons uni notre expertise dans le domaine de la médiation.

Pourquoi les parties hésitent-elles encore à s’engager dans un processus de médiation?

La médiation « vise à définir l’intervention d’un tiers pour faciliter la circulation d’informations, éclaircir ou rétablir des relations. » Attrayant, non? Voyons pourquoi les parties ne retiennent pas plus fréquemment la médiation comme moyen pour résoudre leur problème et la refusent même parfois catégoriquement.

  • Utilisation de mécanismes usuels

    Les processus formels comme la plainte, l’enquête, les griefs et les recours juridiques font partie intégrante de notre système social depuis très longtemps. Il n’est pas anormal que, par défaut, les parties se tournent vers les options qu’elles connaissent le mieux. La responsabilité de leur faire connaître l’éventail des avantages de chacun des mécanismes de règlement relève de la compétence des personnes désignées pour gérer un conflit dans une organisation.

  • Gestion des émotions difficile

    Les situations conflictuelles créent des blessures et poussent les individus à adopter un mode « défensif ». Ainsi, guidés par la colère, la peur ou d’autres émotions négatives, ils sont à la recherche de la voie qui leur permettra de confirmer leurs perceptions et de s’assurer que l’autre pourra être « puni ». Ainsi seront favorisés les processus ayant un dénouement de gagnant/perdant, de coupable/non coupable, de mesures disciplinaires prises/non prises.

    Il importe donc d’aider les parties à déterminer ce qui sera dans leur cas le meilleur mécanisme de règlement en vue d’atteindre au mieux l’objectif qu’elles se seront donné au préalable.

  • Devoir participer au processus « avec » l’autre

    Lorsque l’on adhère à un processus de médiation, on s’engage inévitablement à « collaborer » avec l’autre partie vers un objectif commun. Il peut être trop angoissant de rencontrer l’autre en vis-à-vis, d’affronter « l’ennemi » ou encore de subir les mêmes attaques et de croiser les mêmes regards que ceux qui ont entraîné la détérioration de la relation.

    Telles des œillères, les blessures des parties les empêchent parfois de voir plus loin que cette nécessité, en médiation, de se retrouver en présence de l’autre. Un travail de questionnements, une prise de recul ou une scénarisation peuvent les aider à adopter une autre perspective.

  • Fausses croyances associées à la médiation

    Certaines personnes hésitent à s’engager dans une médiation en raison de fausses croyances. Par exemple, elles peuvent s’imaginer que leur participation sera la preuve d’une certaine « faiblesse » de leur part, les empêchera d’être sur leurs gardes ou constituera une forme d’aveu.

    Mentionnons aussi que quelqu’un faisant preuve de moins de compétences relationnelles peut se sentir vulnérable. Il préférera choisir un mécanisme de règlement dans lequel il n’aura pas à s’engager émotionnellement.

    Le médiateur doit alors défaire chacun des nœuds formés par ces fausses croyances afin que les parties puissent en venir à choisir le mécanisme de règlement le plus profitable pour elles.

Finalité poursuivie

Rappelons que la finalité poursuivie lorsqu’on dénonce une situation de harcèlement est avant tout de la faire cesser. Bien sûr, certaines personnes voient la possibilité d’une réparation uniquement si la sanction résultant de l’enquête administrative est des plus sévères. Elles ont la prétention de chercher ainsi à équilibrer les préjudices rencontrés.

Cette « satisfaction » n’est malheureusement que momentanée. N’occultons pas le fait que, lorsque le harcèlement est confirmé, le congédiement pur et simple de la personne mise en cause n’est pas automatique. Et qu’arrive-t-il lorsque l’enquête n’a pas permis d’exposer le harcèlement dénoncé et que les liens professionnels entre les parties demeurent? De là la nécessité d’énoncer un but réaliste à la médiation envisagée.

Biais communicationnels

Souvent, les personnes impliquées à la suite d’une allégation de harcèlement coupent leurs ponts communicationnels, et ce, pour maintes raisons. Dans ces conditions, l’escalade des perceptions mène souvent à une compréhension erronée des intentions de l’autre partie.

S’ensuit alors l’élaboration de scénarios plaçant en général l’opposant dans un rôle d’agresseur. Par la suite, tout signe permettant de valider cette interprétation pourra inconsciemment être priorisé par chaque partie qui restera sur sa perception. 

Dans un tel cas, le processus de médiation sert à restructurer les lectures dégagées, tout en permettant aux participants de se faire entendre dans un contexte sécurisé et encadré. Il va sans dire qu’il ne s’agit pas de donner raison à aucune des personnes impliquées. L’exercice permet toutefois de faire connaître à l’autre leur réalité respective.

La puissance du processus de médiation aidera à supprimer les entraves créées par ces biais communicationnels et à amener les parties à mieux se comprendre, ce qui n’est habituellement pas l’objectif d’un processus d’enquête.

Rencontres préliminaires

Avant d’entreprendre une démarche de médiation avec les parties, la personne désignée pour la réaliser procède à des rencontres individuelles préparatoires. Cela lui permettra dans un premier temps de présenter aux personnes impliquées la démarche envisagée, de recueillir leurs attentes et de les aider à définir la portée du message qu’elles voudront exprimer.

De plus, la personne médiatrice aura notamment validé si les parties s’engagent dans le processus de bonne foi, si elles sont en mesure de faire preuve d’ouverture, tant par rapport à la teneur des échanges que des éléments pouvant composer la problématique rencontrée, mais également si elles désirent s’investir dans une recherche concertée de solution. À la suite de cela, elle sera en mesure de statuer si les conditions gagnantes[1] pour tenir un processus de médiation sont remplies.

C’est en ce sens que la personne agissant comme médiatrice doit toujours s’assurer que les participants à la médiation ont la volonté commune de rétablir et de maintenir un climat de travail sain et respectueux.

Cette étape cruciale vise à démontrer l’engagement et la participation active des parties dans le processus de médiation. De plus, elle évite qu’une partie participe à une médiation avec des « intentions cachées ».

Par exemple, une partie pourrait accepter de participer à une médiation dans le dessein d’obtenir des informations qui serviront dans un autre processus (enquête administrative, arbitrage, etc.). Si tel était le cas, le processus de médiation n’aurait plus lieu d’être. La personne médiatrice pourrait alors refuser le recours à ce mécanisme de règlement.

Engagement et reconnaissance de la problématique

Pour qu’un règlement soit viable, la participation active de l’ensemble des personnes impliquées est nécessaire. La médiation permet ainsi de responsabiliser les parties quant à leur imputabilité, cela ayant inévitablement un effet d’engagement sur les éléments d’entente convenus. La plupart du temps, le point de vue de chacun sur la situation en litige diffère à plusieurs égards. Il reste donc une étape à franchir avant d’amorcer une médiation : amener les parties à se mettre d’accord sur la formulation de la problématique qui les unit.

Au-delà de l’engagement

Les parties à une médiation développent leurs aptitudes communicationnelles en pratiquant l’écoute attentive, en tenant compte de la façon de s’exprimer de chacun et en portant attention à leur impact sur l’autre. L’acquisition de cette compétence s’effectue avec des efforts concertés, car la médiation porte sur un point sensible touchant chacune des personnes impliquées et s’instaure dans un contexte émotif. Les mêmes éléments s’appliquent concernant les compétences en gestion des conflits.

En fait, le processus de médiation permet non seulement de réparer les blessures subies, mais il rehausse également la qualité de la relation professionnelle. En se montrant vulnérables, en partageant avec authenticité leur point de vue et en participant à une résolution de problème courageuse, les parties nouent un lien de confiance qui leur permet d’aborder les difficultés futures de façon beaucoup plus efficace.

L’entente convenue permettra de clarifier les modalités entourant les interactions professionnelles qui devront inévitablement être maintenues par la suite. Néanmoins, au bout du compte, la finalité poursuivie en cas de harcèlement allégué devrait aller bien au-delà de la signature d’une entente conjointe.

Conclusion

En raison de harcèlement allégué, faire le choix en pleine connaissance de cause de la médiation revient à élargir un horizon de possibilités, voire à bonifier les solutions au-delà de la nature même de la problématique rencontrée. Mais avant tout, ce mécanisme alternatif de règlement offre aux parties l’occasion d’orienter les modalités convenues à leur satisfaction mutuelle.

Une fois réalisée, la démarche de médiation continue d’avoir des répercussions positives sur les participants. Ils peuvent avoir acquis de meilleures habiletés communicationnelles dans leur milieu de travail et avoir renoué des liens basés sur le respect mutuel. Ils peuvent aussi ressentir l’effet réparateur bénéfique que la médiation a sur les personnes qui ont été en mesure de se livrer et d’être entendues.

Pour aller plus loin…

BARUCH BUSH, Robert A., FOLGER, Joseph P. La médiation transformative, une approche non directive du conflit, Éditions Érès, collection Trajets, Toulouse, 2018

CORMIER, Solange. Dénouer les conflits relationnels en milieu de travail, Presses de l’Université du Québec, Québec, 2004

DE KOVACHICH, Hélène et coll. Guides pratiques de la médiation, Carswell, Toronto, 1997

Edmundston, Amy. The Fearless Organization: Creating Psychological Safety in the Workplace for Learning, Innovation, and Growth. John Wiley & Sons inc. 2019

GRANT, Adam. Le pouvoir de la pensée flexible, Éditions de l’Homme, Montréal, 2021

LABELLE, Ghislaine. Comment désamorcer les conflits au travail, Montréal, Les Éditions Transcontinental inc., 2005 

PICARD, Dominique, EDMOND, Marc. Les conflits relationnels, Que sais-je, 4e édition, Paris, 2020

ROY, Serge, SCHNEEBALG, Avi et GALTON, Éric. La médiation : préparer, représenter, participer, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2005


Author
Marie-Josée Douville, CRHA, ECH, Médiatrice accréditée Présidente et associée - Enquêtrice certifiée et médiatrice accréditée Drolet Douville et Associés inc.

Marie-Josée Douville, CRHA, ECH, est enquêtrice certifiée en matière de harcèlement et médiatrice accréditée au sein de la firme Drolet Douville et Associés. Ses champs de compétence concernent le règlement de différends, le harcèlement psychologique au travail, le coaching de gestion, les diagnostics de climat et la gestion des conflits au travail. Bref, tout ce qui gravite autour du conflit et de l’accompagnement offert auprès des divers intervenants, tant patronaux que syndicaux. Elle est aussi coauteure du livre Comment gérer un employé difficile, paru aux Éditions Transcontinental inc., collection Entreprendre, en février 2004. Cet ouvrage à succès sera réédité par le même éditeur en 2023, dans la collection Les Affaires, avec l’ajout notamment d’un chapitre sur le courage managérial.


Author
Marie-Michèle Dugas, MBA, CRHA, Médiatrice accréditée Présidente Fika RH
Passionnée des équipes de travail et carburant à la résolution de situations complexes, Marie-Michèle Dugas conseille et accompagne les leaders et les organisations bilingues dans la création de milieux de travail sains et performants. Via son entreprise, Fika RH, elle offre des services en mobilisation, en climat de travail et en coaching RH. Marie-Michèle est diplômée de l’Université Laval avec un Baccalauréat en Relations Industrielles profil international et détient une Maîtrise en Administration des Affaires (MBA) profil gestion des entreprises. Elle s’est spécialisée en résolution de conflits en obtenant la certification de Tierce partie neutre auprès de l’Institut canadien pour la résolution des conflits ainsi que celui de Médiatrice accréditée avec l’Ordre des CRHA. Elle est reconnue pour son professionnalisme, son approche posée et intuitive, sa facilité à créer des liens de confiance, sa joie de vivre et sa capacité à analyser et à comprendre les dynamiques humaines et les enjeux organisationnels. C’est avec enthousiasme qu’elle collabore avec l’Ordre des CRHA pour partager ses réflexions.

Source : Vigie RT, mai 2023

1 DE KOVACHICH, Hélène et coll., Guides pratiques de la médiation, Carswell, Toronto, 1997.