* Le présent texte ne constitue pas un avis juridique.
Dans un article précédent, nous avons vu le cas de Mario, CRHA dans une usine de production de masques chirurgicaux. Mario avait constaté qu’un employé présentait des symptômes de la COVID-19. Il avait été conclu que Mario devait en informer son employeur et que ce dernier avait le devoir de mettre en place des mesures afin d’assurer la santé et la sécurité des employés dans l’usine.
Or, Mario constate que rien n’a été fait et qu’ainsi son employeur contrevient aux directives émises par la Direction générale de la santé publique. Pris au dépourvu, Mario se demande ce qu’il peut faire.
Il est primordial que Mario tente d’abord de discuter de la situation avec son employeur afin de le convaincre de se conformer aux directives de la santé publique. Cela permettra d’entretenir son lien de confiance avec l’employeur en démontrant qu’il veut travailler avec lui pour s’assurer de la sécurité des employés. C’est d’ailleurs une obligation déontologique du CRHA | CRIA de s’assurer que le milieu où il exerce sa profession est sécuritaire (article 6 (2o) et (3o) du Code de déontologie).
En dépit de ses efforts, Mario constate qu’il ne parvient pas à faire changer la position de son employeur face à la situation. Inquiet et soucieux de respecter son obligation d’assurer un milieu de travail sécuritaire, il envisage l’idée de signaler la situation aux autorités publiques. Il se demande si un tel dévoilement d’information est possible puisqu’il concerne des informations protégées par le secret professionnel.
Critères applicables à la communication d’un renseignement visé par le secret professionnel
Afin de déterminer s’il peut signaler la situation aux autorités publiques et s’il est possible d’invoquer une exception au secret professionnel, Mario devra procéder à une analyse rigoureuse. L’exception qu’il pourrait invoquer dans ce cas est celle de la communication d’un renseignement visé par le secret professionnel en vue d’assurer la protection des personnes (article 60.4, alinéa 3 du Code des professions). Cette analyse devra tenir compte des critères suivants :
- Il existe un motif raisonnable de
croire qu’il y a un risque sérieux de mort ou de blessures graves :
- Le virus de la COVID-19 est potentiellement mortel.
- Certains travailleurs dans l’usine présentent un plus grand risque de développer des complications en cas d’infection à la COVID-19 (travailleurs âgés de plus de 70 ans ou travailleurs immunosupprimés, par exemple). Il s’agit d’un critère aggravant, mais leur présence n’est pas nécessaire pour conclure qu’il y a un risque.
- Ce risque menace une personne ou un
groupe de personnes identifiables :
- On est capable d’identifier clairement les personnes qui ont été en contact étroit avec la personne qui présente des symptômes du virus et qui sont ainsi plus à risque d’être contaminées.
- La nature de la menace inspire un
sentiment d’urgence :
- Si l'on ne retire pas immédiatement le travailleur qui présente des symptômes, toutes les personnes avec lesquelles il est en contact risquent d’être contaminées.
- À défaut d’agir rapidement, il y a un risque réel que le travailleur présentant des symptômes devienne un vecteur de transmission communautaire et infecte tout un milieu. Par exemple, un travailleur infecté transmet le virus à 10 travailleurs de l’usine qui, à leur tour, vont infecter les membres de leurs familles.
Si, après l’analyse de ces critères, Mario arrive à la conclusion que les conditions permettant la levée du secret sont remplies, il devra agir selon les règles prévues au Code de déontologie (article 51.1) en posant les actions suivantes :
- Informer les personnes susceptibles de
porter secours aux employés :
- Dans la situation actuelle, Mario pourra faire un signalement auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) qui a compétence en la matière.
- Il est important que l’information transmise soit restreinte aux renseignements nécessaires pour porter secours afin de limiter la divulgation (article 60.4, alinéa 3 du Code des professions).
- Consigner par écrit les motifs de sa
décision et la nature des renseignements communiqués :
- Il est important pour le CRHA | CRIA que la démarche d’analyse se reflète dans les notes qu’il prend. Cette démarche doit d’ailleurs être faite en fonction de la situation vécue par le professionnel et ne doit pas être générique.
La situation est-elle différente pour un CRHA | CRIA qui agit comme consultant et qui constate que son client ne respecte pas les directives de la santé publique?
Un CRHA | CRIA qui constate que l’un de ses clients ne respecte pas les directives de la santé publique devra agir de la même manière que si ce client était son employeur. Il sera d’abord préférable de tenter de le convaincre de se conformer à ces directives et, si cela n’est pas possible, le professionnel devra envisager de communiquer des renseignements visés par le secret professionnel, à la lumière des critères précédemment mentionnés.
L’unique différence dans cette situation est que, si le professionnel détermine que les critères permettant la levée du secret professionnel sont remplis, il devra s’adresser au directeur de la santé publique de sa région plutôt qu’à la CNESST, qui n’est pas compétente dans ce cas, car elle ne peut agir que dans le cadre des relations entre employés et employeurs.
Enquête d’un directeur de la santé publique dans un milieu de travail
Nous venons d’étudier deux cas dans lesquels le CRHA | CRIA voulait dévoiler de sa propre initiative des informations protégées par le secret professionnel. Il existe une autre situation dans le contexte actuel qui pourrait amener un CRHA | CRIA à dévoiler des informations confidentielles dans le cadre de son travail : il s’agit d’une situation où une disposition précise d’une loi l’ordonne ou l’autorise (article 60.4 alinéa 2 du Code des professions).
En réponse à la pandémie de la COVID-19, les directeurs de la santé publique ont obtenu, entre autres, des pouvoirs permettant de mener des enquêtes épidémiologiques dans différents milieux en vertu de la Loi sur la santé publique. Cette loi prévoit à son article 100 (8o) que, dans le cadre d’une enquête, un directeur de la santé publique peut exiger de toute personne qu’elle lui fournisse tout renseignement, même confidentiel.
De cette façon, si le milieu de travail dans lequel un CRHA | CRIA, agissant comme consultant ou comme employé, est visé par une enquête du directeur de la santé publique et qu’on exige de ce professionnel de communiquer un renseignement confidentiel, celui-ci sera dans l’obligation de fournir ledit renseignement puisqu’une disposition expresse de la Loi sur la santé publique le stipule.
Dans cette situation, le CRHA | CRIA aura aussi les obligations suivantes :
- Consigner par écrit les motifs de sa décision et la nature des renseignements communiqués (article 51.1 du Code de déontologie).
- Limiter la transmission d’informations à ce qui est requis par le directeur de la santé publique (article 60.4 du Code des professions).
Conclusion
Comme nous venons de le voir, le contexte de la pandémie peut mettre en opposition deux obligations des CRHA | CRIA, soit l’obligation d’assurer le respect du secret professionnel et celle d’assurer la santé et la sécurité dans le milieu de travail. Le présent texte n’est pas un avis juridique sur le sujet, mais doit plutôt être interprété comme un guide visant à aider les CRHA | CRIA dans leur réflexion face à de tels enjeux.
Devant une situation, chaque CRHA | CRIA doit faire une analyse rigoureuse des circonstances afin de prendre la décision appropriée. En cas de doutes ou de questions, il sera toujours avisé de contacter le syndic avant d’agir (syndic@ordrecrha.org).