Vous lisez : Aléas des renouvellements successifs de contrat de travail à durée déterminée

Dresser des contrats de travail à durée déterminée est une pratique de plus en plus fréquente dans les différentes organisations, car suivant que l’établissement et la mise en application de ce type de contrat sont bien maîtrisés, il est en mesure de répondre à certains impératifs de l’organisation moderne du travail.

Cependant, il importe de se remémorer les tenants et les aboutissants de ce type de contrat de travail qui, sous certains égards, peut paraître plus contraignant que la prestation de travail à durée indéterminée dont les balises sont mieux connues et maîtrisées.

Nous vous proposons donc, dans un premier temps, de faire le point sur la notion de service continu qui occupe un rôle primordial dans la détermination de la nature du contrat de travail dans le cas de renouvellements successifs de contrat de travail à durée déterminée.

Dans un second temps, nous aurons le loisir de mettre en lumière les difficultés qui peuvent survenir lors de l’analyse du lien contractuel entre l’employeur et le salarié dans le cadre de l’application d’un contrat de travail à durée déterminée à renouvellements successifs en se penchant sur le cheminement utilisé par la Cour d’appel dans sa récente décision Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal[1].

La notion de service continu et la Loi sur les normes du travail
L’utilité de se questionner sur la définition de la notion de service continu prend tout son sens lorsque l’on considère les protections prévues à la Loi sur les normes du travail en matière de congédiement sans cause juste et suffisante, s’il fallait que ces dispositions trouvent application même en présence d’un contrat de travail a durée déterminée.

En effet, l’article 124 de la L.n.t. édicte que :

« Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail […][2]. »

Il importe donc d’analyser l’éventuel assujettissement d’un contrat de travail à durée déterminée au mécanisme de protection prévu par l’article 124 de la L.n.t. Pour ce faire, il est nécessaire de se rappeler certaines définitions clés qui sont prévues par cette même loi, notamment en ce qui a trait à la notion de service continu.

On retrouve la définition de la notion de service continu à l’article 1.12 de la i>Loi sur les normes du travail :

« (Le service continu est) la durée ininterrompue pendant laquelle le salarié est lié à l’employeur par un contrat de travail, même si l’exécution du travail a été interrompue sans qu’il y ait résiliation du contrat, et la période pendant laquelle se succèdent des contrats à durée déterminée sans une interruption qui, dans les circonstances, permet de conclure à un non-renouvellement de contrat[3]. »

On comprendra aisément les conséquences que cette application de la notion de service continu peut avoir sur les entreprises saisonnières, qu’il s’agisse d’entreprises de services d’entretien estival ou hivernal, d’entreprises de déneigement, d’industries alimentaires saisonnières ou encore de commissions scolaires qui embauchent du personnel contractuel sur la base de l’année scolaire.

L’employeur désireux de conclure des contrats de travail à durée déterminée dans le cadre de ses opérations saisonnières devra se questionner quant à savoir si le renouvellement, année après année, de telles conventions de travail sera de nature à engendrer l’application de la notion de service continu telle que définie par la L.n.t. et des protections prévues par l’article 124.

Le test applicable à cette question a été mis de l’avant par les tribunaux qui se sont penchés sur cette notion de service continu dès 1983, et les critères d’analyse présentés à ce moment sont toujours d’application aujourd’hui.

Dans l’arrêt Collège d’affaires Ellis Inc. c. Lafleur, la Cour arrivait à la conclusion que le service continu était susceptible de se réaliser même durant l’exécution de contrats à durée déterminée successifs :

« [...] ce qui doit être retenu pour permettre l’accès au recours prévu par l’article 124, c’est la continuité dans l’emploi pendant une période de cinq ans (maintenant deux ans). Cette continuité apparaîtra [...] lorsque, entre le moment où le contrat arrive à terme et le moment où les parties sont de nouveau liées par un contrat reconduit, on ne peut constater un intervalle de temps suffisant pour permettre l’occupation du poste par une autre personne[4]. »

La Cour d’appel a par la suite conclu notamment qu’il y avait service continu chez les employés municipaux affectés au service des travaux publics estivaux[5] ou encore les enseignants à temps partiel liés à l’employeur par des contrats de travail annuels à durée déterminée[6].

Cependant, la Cour d’appel est néanmoins venue à la conclusion que la notion de service continu ne pouvait trouver application pour des employés affectés à une liste de rappel en justifiant sa décision en précisant que l’intervalle entre les remplacements permettait l’occupation du poste par une autre personne à savoir, le titulaire initial du poste[7].

La difficulté de la qualification de la nature du contrat, analyse de l’arrêt Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal
La Cour d’appel s’est de nouveau récemment penchée sur la question du renouvellement successif de contrats à durée déterminée dans l’arrêt Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal.

Dans cette affaire, la Cour d’appel était saisie d’un appel d’une décision de la Cour supérieure qui avait rejeté la réclamation de deux enseignantes de l’École Sacré-Cœur de Montréal à l’encontre d’un congédiement abusif.

Ces enseignantes étaient toutes deux engagées sur une base annuelle selon un contrat de travail à durée déterminée, renouvelable d’année en année, à moins de recevoir un avis de non-reconduction dans un délai déterminé. Elles étaient toutes deux à l’emploi de l’École depuis plusieurs années.

La Cour en arrive à la conclusion que les lettres d’engagement étaient de la nature de contrats de travail à durée déterminée, bien qu’elle ajoute que :

« La lecture, entre autres, des clauses relatives aux congés de maladie, dont la durée est tributaire des années d’ancienneté, démontre aussi la volonté des parties d’entretenir une relation qui va au-delà de l’année prévue à la lettre d’engagement[8]. »

Elle conclut par la suite que, bien que des avis de non-reconduction aient été envoyés aux plaignantes, ces avis ont été envoyés à l’extérieur des délais prévus et que, conséquemment, les contrats ont été renouvelés pour une année supplémentaire.

De plus, la Cour en arrive à la conclusion que les motifs de non-reconduction invoqués correspondaient à des prétextes et que ces non-reconductions étaient, en l’espèce, abusives.

Dans ce cas particulier, la Cour a statué que les dommages subis par les plaignantes correspondaient à la rémunération prévue jusqu’à l’échéance des contrats qui n’avaient pas été résiliés dans les délais prévus.

La Cour a cependant ajusté ce dédommagement en fonction des sommes reçues par les plaignantes dans le cadre des emplois qu’elles se sont trouvés par la suite en vertu de leurs obligations de mitiger leurs dommages.

Ce cheminement nous éclaire sur les difficultés réelles afférentes à distinguer le contrat de travail à durée déterminée de celui à durée indéterminée dans le cas de renouvellement successif.

À tout événement, la Cour d’appel met cependant clairement en garde les employeurs qui seraient tentés d’éluder leurs obligations par l’entremise de succession de contrats de travail à durée déterminée. En effet, elle conclut quant à la qualification des contrats de travail :

« Si j’en étais venu à la conclusion qu’effectivement la technique des renouvellements successifs et quasi automatiques des contrats de travail constituait une façon de cacher le caractère véritable du contrat d’emploi pour éviter notamment la rigueur des articles 2091 C.c.Q. et 124 de la Loi sur les normes du travail, mes conclusions quant aux dommages auraient été les mêmes. Les états de service des deux appelantes donnaient ouverture à un délai-congé[9]. »

En conclusion, à la lumière de l’analyse de la décision Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal, des origines législatives ainsi que de l’évolution jurisprudentielle et doctrinale de ce concept juridique, il apparaît que le contrat de travail a durée déterminée est un outil juridique permettant d’établir une relation d’emploi d’une nature particulière qui comporte évidemment ses avantages, mais également son lot d’obligations qui semblent fréquemment mal comprises des employeurs.

En conséquence, une analyse exhaustive des besoins de l’organisation, de l’aménagement du travail et de la récurrence des besoins de l’organisation de recourir à de tels contrats à durée déterminée est nécessaire avant de s’engager dans une telle relation employeur/salarié, sans quoi l’entreprise risque de se retrouver confrontée au même cadre d’analyse et aux mêmes obligations que celles applicables dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

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Source : VigieRT, novembre 2013.


1 Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal, 2013 QCCA 1664.
2 Loi sur les normes du travail, art. 124.
3 ibid., art. 1.12.
4 Collège d’affaires Ellis Inc. c. Lafleur, D.T.E. 83T- 535 (C.S. Montréal, 500-05-015964-826, 15 février 1983), p. 6.
5 Malo c. Côté-Desbiolles, 1995 CanLII 4614 (QC CA).
6 Commission scolaire Berthier Nord-Joli c. Beauséjour, 1988 CANLII 389 (QC CA).
7 Commission des normes du travail c. Commission des écoles catholiques du Québec, 1995 CanLII 4648 (QC CA).
8 Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal, précité note 1, paragraphe 38.
9 Arseneault (Succession de) c. École Sacré-Cœur de Montréal, opcit, paragraphe 39.
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