Vous lisez : Bilan des relations de travail 2010

L’année 2010 est une excellente cuvée en matière de relations du travail. Mis à part quelques exceptions, plusieurs importantes conventions collectives se sont réglées, sans trop de heurts. Certains points chauds seront toutefois à surveiller en 2011.

L’année 2010 a été marquée par plusieurs bonnes nouvelles au chapitre des relations du travail. D’abord, il y a eu le renouvellement des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic ainsi que dans le domaine de la construction. Et ce, sans conflits », analyse Jean Charest, directeur intérimaire de l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal. Au total, cela représente plus de 500 000 personnes.  

« Nous avons senti, tant de la part du gouvernement que des syndiqués, une réelle volonté de régler », ajoute Suzanne Thérien, sous-ministre adjointe aux relations du travail. Une vision partagée par Jean Charest. « Contrairement à 2005, où les conditions de travail des employés de l’État avaient été imposées par décret, le gouvernement a déposé des offres qui constituaient des bases de négociation. Pourtant, avec la situation financière, ils auraient pu opter pour un gel des salaires. »

La présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, estime que le syndicat a fait un gain important en cette matière. Les deux parties se sont entendues sur certaines clauses novatrices, estime-t-elle. « Si les augmentations de salaire prévues sont modestes, nous avons négocié une bonification salariale si l’économie se porte mieux. Ainsi, si le produit intérieur brut (PIB) du Québec augmente et, donc, les revenus de l’État, nous aurons droit à notre juste part de cet enrichissement. »

Les conflits en baisse depuis plusieurs années
Des événements marquants qui se reflètent sur les chiffres... Contrairement à l’année 2005, où le renouvellement des conventions du secteur public avait fait grimper le nombre de jours/personne perdus à près de un million et demi, ce chiffre est en nette diminution. « Selon nos estimations, ce nombre devrait tourner autour de 240 000 pour 2010. Ce qui est nettement en deçà des 349 000 jours perdus en 2009 », analyse Suzanne Thérien.

Toutefois, le nombre de conflits de travail a légèrement augmenté par rapport à 2009, passant de 60 à 66. « Ce chiffre, qui n’inclut pas les données du mois de décembre, laisse toutefois entrevoir une tendance à la baisse, ajoute madame Thérien. Les conflits de travail ont beaucoup diminué depuis 2005 (alors qu’on en comptait 130). On sent que les parties ne veulent pas prendre de risques inutiles en utilisant ce type de moyen de pression. »

Conjoncture économique
Selon tous les intervenants, la situation économique, alors que la reprise se fait toujours attendre, a joué un rôle certain dans ce bilan. « La conjoncture a engendré beaucoup de précarité, d’incertitude. Les fermetures d’entreprises ont été monnaie courante. Nous sommes dans une situation où le pouvoir de négociation des parties, notamment de la partie syndicale, a été grandement diminué », précise le directeur du module des relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais, Jean-François Tremblay.

Certaines entreprises placées sous la Loi de la protection de la faillite aux États-Unis, et d’autres ici même, ont rouvert leur convention collective, ajoute le professeur. « Les employés n’ont pas eu le choix de faire des concessions s’ils ne voulaient pas perdre leurs emplois. Cela a laissé certains stigmates dans les conventions collectives. » Ce fut le cas, notamment, des employés d’AbitibiBowater, qui ont accepté des baisses salariales de 10 % pour ne pas perdre leur gagne-pain.

De la confrontation à la consultation
Ces données montrent également une plus grande maturité dans les relations entre patrons et employés, analyse le président-directeur général de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, Florent Francoeur, CRHA. « Employeurs et employés sont plus renseignés quant aux enjeux réels de l’économie. Les parties sont capables de s’assoir ensemble et de regarder les chiffres, de façon réaliste. Chacune est prête à faire son bout de chemin », analyse-t-il.

De plus, ajoute madame Thérien, la joute se déroule maintenant plus souvent dans la négociation, plutôt que dans la rue. « Dans les années 1980, nous avons beaucoup misé sur la négociation basée sur les intérêts. Une tendance qui s’est accentuée depuis le début des années 2000. » Des efforts qui semblent porter leurs fruits. Les négociations sont parfois plus longues, puisqu’il faut trouver des solutions acceptables pour les deux parties, mais le nombre de conflits diminue, analyse-t-elle. « En moyenne, près de 85 % des négociations collectives se règlent entre les parties, sans recours à la médiation ou à l’arbitrage. »

Par ailleurs, la rareté de la main-d'œuvre oblige certains employeurs à faire leur bout de chemin. En effet, pour attirer les travailleurs, il faut miser sur de bonnes relations du travail. « Si la question de la rémunération est toujours au cœur des négociations, d’autres points prennent de plus en plus d’importance. Nous voyons notamment apparaître la question de l’organisation du travail et de la conciliation travail/vie personnelle », observe madame Thérien.

Des lock-out de longue durée
« Si on analyse les résultats des trois premiers trimestres de 2010, trois jours de travail perdus sur quatre le sont à cause d’un lock-out. De plus, ces conflits ont tendance à s’étirer dans le temps », calcule Jean Charest. C’est le cas notamment du conflit au Journal de Montréal, où les 253 employés se trouvent sur le trottoir depuis janvier 2009. « Si ce conflit dure autant, c’est qu’il touche des enjeux beaucoup plus fondamentaux qu’une simple augmentation de salaire. Un peu à l’image des grands conflits qui ont touché les typographes autrefois, c’est le rôle même des journalistes qui est mis en cause ici », estime Jean-François Tremblay. Il est donc normal que les parties aient du mal à trouver un terrain d’entente.

De plus, cela met sous les projecteurs la question des dispositions anti-briseurs de grève. En ayant recours à des pigistes et à des agences, le Journal de Montréal continue de s’imprimer et de se vendre, malgré le conflit.

Les régimes de retraite, un dossier chaud
Avec la récente débâcle des marchés financiers, le sujet des régimes de retraite risque de se retrouver sur la sellette pendant les prochaines années, prévoit Claudette Carbonneau. « Plusieurs employeurs veulent transformer leur régime de retraite à prestations déterminées en régime à cotisation déterminée. C’est un enjeu majeur puisque le risque n’est plus du tout partagé et le fardeau revient aux employés. » Si certains employeurs ont déjà commencé à faire de telles transformations, la CSN se penchera sur la question au cours de l’année 2011. « Nous sommes en train de réfléchir à de nouvelles formules. »

CSST : des amendes plus salées
L’année 2010 a également été marquée par un changement majeur dans le régime de pénalités de la CSST. Entre 2009 et le 1er janvier 2011, les amendes aux entreprises ont triplé. Le plus haut montant pouvant être réclamé aux entreprises récidivistes, par exemple, s’élèvera maintenant à 300 000 $. « Ces sommes n’avaient pas été augmentées depuis trente ans, si bien que nous accusions un retard par rapport au reste du Canada », explique le porte-parole de la CSST, Pierre Turgeon. Dès janvier 2012, les montants seront automatiquement indexés au coût de la vie.

L’objectif n’est pas tant d’engranger plus d’argent, mais plutôt de rappeler les récalcitrants à l’ordre, ajoute monsieur Turgeon. « Si l’on se base sur le nombre de constats d’infraction émis en 2009, nous arrivons autour de quinze millions de dollars réclamés en amendes. Ce qui représente bien peu par rapport à notre budget, qui était de 2,3 milliards de dollars. » À noter également : de nouvelles règles quant aux inspections sont également en vigueur. « Cela nous permet, entre autres, de créer des façons de faire qui ne varieront pas, d’une région à l’autre. »

Des changements à venir en 2011
Toujours dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail, les recommandations du rapport Camiré seront à suivre en 2011. « Ce groupe de travail est chargé d’examiner si les lois en matière de santé et de sécurité du travail sont toujours actuelles », indique Florent Francoeur. Déposé en décembre 2010, ce rapport pourrait mener à des changements législatifs quant au régime mis sur pied il y a trente ans. « Il faudra également surveiller la réalisation de l’équité salariale, alors que la Loi oblige les employeurs à s’y conformer le 31 décembre 2010 », ajoute monsieur Francoeur.

La biométrie en entreprise
L’utilisation de moyens électroniques de surveillance devrait également faire la une, estime Karine Fournier, CRIA, avocate chez Fasken Martineau. De nouveaux moyens technologiques, comme l’utilisation de la biométrie, sont de plus en plus courants au Québec. Plutôt que de poinçonner leur carte de temps, les employés doivent utiliser ce matériel de reconnaissance qui lit leur empreinte digitale, leur rétine, etc. « Toutefois, les employeurs doivent se conformer à plusieurs obligations légales avant d’utiliser ce genre de matériel. Plusieurs ne le savent pas et paient des milliers de dollars pour du matériel qu’ils ne pourront utiliser ensuite », estime l’avocate.

Et ce n’est qu’un exemple. « Il faudra baliser l’utilisation de moyens électroniques de surveillance pour respecter à la fois la vie privée des employés et le droit de gérance des employeurs », analyse Me Fournier. Un dossier qui sera donc à suivre.

Source : VigieRT, janvier 2011.

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