Chaque année, les employeurs québécois doivent composer avec les absences plus ou moins fréquentes et plus ou moins longues de salariés, qui mettent leur patience durement à l’épreuve. Selon un rapport publié par Statistique Canada[1], le Québec vient d’ailleurs en tête de liste avec une moyenne de 11,6 journées perdues annuellement pour chaque employé à temps plein, pour cause de maladie, d’incapacité ou d’obligations familiales.
L’absentéisme peut être volontaire, lorsqu’un salarié s’absente sous de faux prétextes, ou involontaire, lorsque le salarié n’exerce aucun contrôle sur la cause de l’absence. Le présent article traite uniquement de cette seconde forme d’absentéisme, dans le contexte bien particulier où l’absence du salarié prend des proportions démesurées.
Si le droit du salarié de s’absenter pour diverses causes est reconnu par la législation québécoise[2] ou par certains contrats de travail, l’article 2085 du Code civil du Québec[3] prévoit quant à lui que le « contrat de travail est celui par lequel (…) le salarié s’oblige (…) à effectuer un travail ». Le corollaire de cette obligation est certainement le droit, pour l’employeur, de mettre un terme à l’emploi de celui qui ne rend pas la prestation exigée[4]. Cela dit, ce droit est largement balisé. Ainsi, un dossier d’absentéisme excessif exige du gestionnaire beaucoup de prudence.
Dans un premier temps, il importe de mentionner que l’absentéisme involontaire peut être unifactoriel, c’est-à-dire attribuable à une seule cause, ou multifactoriel, donc attribuable à une multitude de pathologies[5]. Cette distinction prend toute son importance lorsqu’on sait qu’en cas d’absentéisme multifactoriel, le fardeau de la preuve incombe non pas à l’employeur, mais au salarié[6]. En d’autres termes, devant un tel type d’absentéisme, il revient au salarié d’établir qu’il sera en mesure d’exécuter une prestation régulière de travail alors que, dans un cas d’absentéisme unifactoriel, il incombe à l’employeur de démontrer qu’on ne peut espérer aucune amélioration de la situation dans un avenir prochain ou prévisible.
Pour que l’absentéisme excessif mène à la rupture définitive du lien d’emploi, l’employeur doit démontrer la présence de trois éléments : un taux d’absentéisme excessif, un pronostic défavorable en ce qui concerne le retour au travail et l’exécution de la prestation ainsi que l’impossibilité d’accommoder le salarié sans en subir une contrainte excessive. Reprenons ces éléments en détail.
UN TAUX D’ABSENTÉISME EXCESSIF
La preuve d’un taux d’absentéisme excessif s’effectue à l’aide d’un indice quantitatif d’une part et d’un élément comparatif d’autre part. Il s’agit donc de sélectionner une période significative[7], de dresser un portrait des absences du salarié pour cette même période[8] et de comparer le taux ainsi obtenu à celui de l’ensemble des employés de l’entreprise[9].
Quant à savoir si le taux d’absentéisme du salarié démontre l’existence d’une situation chronique et problématique, les tribunaux se refusent à formuler une règle absolue et universelle qui s’appliquerait à chaque dossier sans égard aux faits qui leur sont propres et qui permettrait de déterminer avec certitude à partir de quel moment un taux d’absentéisme devient excessif. Cela dit, il est généralement reconnu qu’un salarié s’étant absenté près de 50 % de la durée totale de son emploi fait preuve d’un absentéisme excessif[10], tout comme celui dont le taux d’absence dépasse les 30 % sur une période de plusieurs années[11].
LE PRONOSTIC DÉFAVORABLE
L’exigence d’un pronostic défavorable consiste à démontrer que, selon toute vraisemblance, il est raisonnable de croire que le salarié ne pourra, dans un avenir prévisible ou prochain[12], fournir une prestation normale de travail sur une base régulière.
Cette preuve devant être constituée de bien davantage que de simples perceptions, l’employeur doit s’enquérir de l’état de santé du salarié auprès d’un professionnel compétent avant de prendre la décision de mettre un terme à l’emploi. La jurisprudence nous enseigne d’ailleurs que cette consultation médicale doit être contemporaine à la décision de l’employeur de mettre un terme à l’emploi du salarié[13].
De manière générale, un pronostic défavorable sera établi par une preuve médicale démontrant « une probabilité raisonnable, importante ou significative de rechute dans l’avenir. »[14]. En d’autres termes, il s’agit de démontrer que l’absentéisme dont a fait preuve le salarié au cours des dernières années n’est pas le reflet d’une situation passagère et temporaire, mais plutôt celui d’un problème permanent qui se perpétuera à long terme[15].
Comme il a été mentionné plus haut, lorsque le gestionnaire est face à un cas d’absentéisme multifactoriel, la consultation d’un expert peut s’avérer inappropriée vu l’impossibilité d’obtenir un pronostic couvrant efficacement l’ensemble des causes d’absence. Dans de telles circonstances, l’employeur doit invoquer le renversement du fardeau de la preuve et exiger que le salarié démontre que le passé n’est pas garant de l’avenir[16].
L’OBLIGATION D’ACCOMMODEMENT ET LA CONTRAINTE EXCESSIVE
S’il ne s’agit pas de l’aspect le plus important de la preuve, il s’agit certainement de celui qui génère le plus de questionnement. Si ce pan de la preuve est nécessaire, c’est en raison des articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[17] qui prohibent la discrimination fondée sur le handicap en matière de congédiement et qui, présumant du caractère discriminatoire du congédiement, placent sur les épaules de l’employeur un fardeau supplémentaire, soit celui de démontrer l’existence d’une exigence professionnelle justifiée[18].
Pour ce faire, l’employeur doit démontrer qu’il respecte chacun des critères du test élaboré par la Cour suprême du Canada[19] et qui sont les suivants :
- la preuve que la norme, soit l’exigence d’assiduité, a été adoptée dans un but rationnellement lié à l’objectif, soit l’exécution de la prestation de travail pour laquelle le salarié a été embauché;
- la preuve que la norme a été adoptée avec la croyance sincère qu’elle était nécessaire pour réaliser l’objectif;
- la preuve que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser l’objectif.
Si les deux premières étapes du test ne posent que très rarement problème, il n’en va pas de même pour la troisième, puisque c’est dans le cadre de celle-ci qu’intervient l’obligation d’accommodement. Pour démontrer que la norme est raisonnablement nécessaire, l’employeur doit mettre en preuve que de composer avec des employés qui ont les mêmes caractéristiques que le plaignant entraîne pour lui une contrainte excessive.
Si l’obligation d’accommodement exige certains efforts de la part de l’employeur, elle « n’a (…) pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail. »[20]. En d’autres termes, l’obligation d’accommodement ne saurait exiger de l’employeur qu’il renonce à son droit à l’exécution de la prestation de travail pour laquelle il a embauché le salarié. L’employeur doit néanmoins chercher à modifier ce qu’il lui est possible de modifier afin de permettre l’exécution de la prestation de travail, sans que cela ait pour effet de le contraindre de manière excessive.
Ainsi, parce que le devoir d’accommodement n’est ni absolu ni illimité, si l’employeur est en mesure de démontrer qu’aucun accommodement ne serait susceptible d’aider le salarié à reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura établi l’existence d’une contrainte excessive[21]. De fait, un accommodement recherchant simplement le maintien du lien d’emploi, la tolérance de l’employeur quant aux éventuelles absences et la poursuite du versement des prestations d’assurance-salaire constituerait définitivement une contrainte excessive[22]. On comprend donc que le pronostic médical est également nécessaire pour évaluer l’ampleur des efforts qui doivent être mis de l’avant par l’employeur en vue d’accorder un accommodement au salarié.
Quant à savoir ce qui constitue une mesure d’accommodement, la jurisprudence regorge d’exemples parmi lesquels on retrouve l’autorisation de retour progressif[23], l’aménagement du poste de travail[24], l’octroi d’un congé sans solde[25], le fractionnement des tâches[26], etc. La clause de maintien d’ancienneté, qui prévoit généralement une période de temps à l’écoulement de laquelle le salarié perd ses droits, représente également une certaine forme d’accommodement. Cela dit, on ne saurait l’appliquer de manière automatique[27], c’est-à-dire mettre un terme à l’emploi à l’expiration du délai prévu dans la clause sans autre formalité. Il importe également de mentionner qu’une mesure d’accommodement, même inchangée, peut devenir une contrainte excessive avec le temps[28].
Ainsi, la gestion d’un dossier d’absentéisme excessif, bien que plus complexe qu’on pourrait le croire, est tout de même possible. Il suffit de savoir comment s’y prendre, d’être prêt à investir temps et effort et d’obtenir en temps opportun le soutien d’un conseiller juridique pour bâtir un dossier complet, ce qui exige parfois que le gestionnaire s’arme de patience.
Marie-Claude Néron, avocate spécialisée en droit de l’emploi, Langlois Kronström Desjardins, s.e.n.c.r.l.
Source : VigieRT, numéro 45, février 2010.