Vous lisez : L’arrêt Dunsmuir poursuivra son raz-de-marée en 2009!

En début d’année, c’est la coutume de prendre de bonnes résolutions, de faire une rétrospective de l’année précédente et aussi d’essayer de deviner ce que l’année qui débute nous réserve.

Ainsi en 2009, l’arrêt Dunsmuir[1], rendu le 7 mars dernier par la Cour suprême du Canada, continuera certainement à guider les magistrats qui seront appelés à réviser les sentences arbitrales soumises à leur attention. Dans cet arrêt récent, la plus haute instance judiciaire au Canada a effectué un important virage sur le plan du mécanisme de contrôle judiciaire des sentences rendues par les arbitres de griefs.

Les sentences arbitrales sont finales et sans appel comme il est mentionné à l’article 101 du Code du travail du Québec[2]. Cependant, il n’en demeure pas moins que les sentences des arbitres sont soumises au droit de surveillance et de réforme de la Cour supérieure. Ainsi, la partie qui conteste une sentence rendue en sa défaveur peut en demander la révision. Il ne s’agit pas d’un appel, mais uniquement d’une révision, et ce, pour les seuls motifs de droit (et non de faits), qui sont spécifiquement énumérés à l’article 846 du Code de procédure civile[3] du Québec. Une requête en révision judiciaire est présentée principalement dans le cas de défaut ou d’excès de compétence de la part de l’arbitre de griefs.

En ce qui concerne l’arrêt Dunsmuir, ce jugement a introduit deux principaux changements au mécanisme du contrôle judiciaire que les tribunaux supérieurs exercent par rapport aux sentences rendues par les arbitres de griefs. Il ne faut pas oublier que la partie perdante pourra, sur permission, au cas où la sentence serait maintenue ou cassée par la Cour supérieure du Québec, en appeler à la Cour d’appel du Québec et même faire un pourvoi jusqu’à la Cour suprême du Canada, si telle permission lui est accordée.

Le premier changement consiste en l’abandon de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, jugée trop rigide, au profit de l’analyse relative à la norme de contrôle. Voilà une modification qui sera bien accueillie par les employeurs et les représentants syndicaux.

À ce sujet, le juge Binnie évoque, en se reportant aux dernières années, de longs et mystérieux débats qu’il qualifie même de débats métaphysico-juridiques[4] qui ont indûment embrouillé la notion de contrôle judiciaire. Au lieu de se battre au sujet des critères applicables en matière de révision judiciaire, le magistrat est d’avis que les parties auraient plutôt tout intérêt à faire valoir leurs prétentions sur le fond du litige.

Dans un deuxième temps, la Cour suprême a tout simplement fusionné les deux normes de contrôle qui avaient cours depuis un certain temps : la norme du manifestement déraisonnable et celle du raisonnable simpliciter. En rétrospective, selon le juge Binnie, les tentatives répétées d’expliquer la différence entre les deux étaient vaines et importunes[5]. Selon lui, « lorsque ni la logique ni la langue ne peuvent saisir la distinction dans un contexte, elles ne peuvent non plus le faire par ailleurs dans le domaine du contrôle judiciaire ».

Pour leur part, les juges Bastarache et LeBel ont qualifié d’illusoire[6] la distinction entre les deux normes ci-dessus; ils sont ainsi d’avis qu’il devrait désormais y avoir seulement les deux normes de contrôle suivantes : celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte. On parle ici de décision, car il ne faut pas oublier que ce ne sont pas seulement les arbitres de griefs qui sont soumis au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure : il y a notamment tous les tribunaux de compétence provinciale, exception faite évidemment de la Cour d’appel du Québec.

En termes simples, quelles sont ces deux nouvelles normes de contrôle?

D’une part, les juges Bastarache et LeBel[7] ont clairement émis l’opinion selon laquelle ce devrait être la norme de la décision raisonnable qui s’applique lorsqu’on est en présence d’une clause privative. Selon ces magistrats, une telle clause devrait inciter à davantage de déférence à l’égard de la décision du décideur administratif et donc faire en sorte qu’un contrôle judiciaire minimal soit alors exercé par le juge saisi d’une requête en révision judiciaire. C’est également le cas, lorsque le décideur dont la décision est sous révision interprète un texte qui est étroitement lié à son mandat, tels une convention collective et le Code du travail pour l’arbitre de griefs.

Or, il est intéressant de noter que pareille clause privative se retrouve à l’article 139 du Code du travail du Québec[8], sous réserve évidemment du pouvoir inhérent de révision de la Cour supérieure.

D’autre part, c’est plutôt la norme de la décision correcte qui devrait s’appliquer, notamment lorsque la question en litige relève de tribunaux spécialisés de concurrents. En l’espèce, on peut penser à la CRT, à la CSST, au Tribunal des droits de la personne du Québec et autres, dont les champs de compétence peuvent chevaucher le domaine arbitral.

Enfin, mentionnons que la juge Deschamps s’est attardée aux distinctions entre une question de droit, de faits ou mixte, c’est-à-dire de faits et de droit.

Avant de conclure, mentionnons aussi que cet arrêt traite également de façon très intéressante de l’obligation d’équité procédurale. Le plaignant, qui est à l’origine de ce pourvoi, était un fonctionnaire non syndiqué (à l’essai) qui, jusqu’à sa cessation d’emploi, travaillait pour le ministère de la Justice du Nouveau-Brunswick. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick avait déjà rejeté l’appel d’un jugement de première instance qui avait annulé en partie la sentence arbitrale alors en cause. Sur le fond du présent litige, la Cour suprême du Canada a finalement rejeté le pourvoi déposé à l’encontre de cette décision de la Cour d’appel.

Même si cet arrêt a été rendu à l’égard d’une autre province que le Québec, il va sans dire que ses nouveaux enseignements sur le mécanisme de contrôle judiciaire, et incidemment sur la notion d’équité procédurale, demeurent applicables au Québec et dans les autres provinces canadiennes.

L’arrêt Dunsmuir marque assurément un pas dans la bonne direction, pour ce qui est de la simplification de l’exercice du contrôle judiciaire.

Me Diane Sabourin, CRIA, arbitre de griefs

Source : VigieRT, numéro 34, janvier 2009.


1 Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 et C.S. Can. 31459, publié à SOQUIJ AZIMUT #AZ-50478101 et résumé à SOQUIJ Droit du Travail Express #DTE 2008T-223. Ont participé à la rédaction de ce célèbre arrêt récemment rendu par la plus haute instance judiciaire au Canada, les juges Bastarache et LeBel, à l’opinion desquels ont souscrit la juge en chef McLachlin et les juges Fish et Abella, ainsi que la juge Deschamps, opinion à laquelle ont souscrit les juges Charron et Rothstein, et enfin le juge Binnie.
2 1977, L.R.Q., c. C-27.
3 1977, L.R.Q., c. C-25.
4 Ibid., note 2, notamment aux paragraphes 119, 122, 133 et 134.
5 Ibid., note 2, aux paragraphes 120 à 123, 134 et 140.
6 Ibid., note 2, notamment aux paragraphes 32, 33, 34 et 41.
7 Ibid., note 2, aux paragraphes 52 à 62.
8 « Sauf sur une question de compétence, aucun des recours extraordinaires prévus aux articles 834 à 846 du Code procédure civile (L.R.Q., chapitre C-25) ne peut être exercé ni aucune injonction accordée contre un arbitre, le Conseil des services essentiels, la Commission (des relations du travail), un de ses commissaires ou un agent de relations du travail de la Commission agissant en leur qualité officielle ». (Caractères gras et parenthèse ajoutés)
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