Vous lisez : L’obligation de civilité du salarié et le congédiement
La distinction entre une mesure disciplinaire et administrative (ou non disciplinaire) a fait couler beaucoup d’encre. Il est désormais reconnu qu’une mesure disciplinaire aura pour objectif d’amener le salarié à amender son comportement fautif. Tout au contraire, la mesure administrative n’a aucun but dissuasif ou répressif; sa finalité réside dans la sanction d’une situation d’inefficacité. Qu’en est-il du salarié irrespectueux, adoptant une attitude négative ou encore incapable d’évoluer dans la structure hiérarchique de l’organisation, pour ne citer que ces exemples?

Bien que la loi, la convention collective en milieu de travail syndiqué ou la jurisprudence imposent des obligations à l’employeur, le salarié doit également s’acquitter de certains devoirs et obligations à l’égard de ses supérieurs et de ses collègues de travail. L’article 2088 du Code civil du Québec codifie l’obligation du salarié d’exécuter et de fournir sa prestation de travail de façon prudente et diligente, avec assiduité et loyauté. Il découle de cette obligation de prudence et de diligence un devoir d’agir avec civilité envers ses collègues de travail ainsi que l’employeur et ses représentants.

Le manquement à l’obligation de civilité et la mesure administrative
De plus en plus, on remarque que le manquement à l’obligation de civilité peut être rattaché à une inaptitude de fournir sa prestation de travail ou d’exécuter correctement les tâches de son poste. Voici les critères qui sont examinés par la jurisprudence afin de déterminer si l’employeur est justifié d’imposer un congédiement de nature administrative en raison d’une inaptitude ou d’un rendement insatisfaisant :

  • le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées;
  • les lacunes du salarié doivent lui avoir été signalées;
  • le salarié doit avoir obtenu le soutien nécessaire pour corriger et atteindre les objectifs;
  • le salarié doit avoir bénéficié d’un délai raisonnable pour s’améliorer;
  • le salarié doit avoir été prévenu du risque de congédiement en l’absence d’une amélioration de sa part;
  • la décision prise doit l’être de bonne foi.

Par ailleurs, il est impératif que l’employeur ait une preuve claire, précise et concordante d’incompétence ou de rendement insatisfaisant lorsqu’il décide de mettre un terme à l’emploi de son salarié pour cette raison[1]. En effet, l’employeur ne saurait alléguer l’incompétence ou le rendement insuffisant postérieurement au dépôt d’une plainte. Il ne saurait donc s’agir d’un moyen de défense tous azimuts à une plainte de congédiement. En effet, pour obtenir gain de cause devant la Commission des relations du travail (CRT) ou un tribunal d’arbitrage de griefs, l’employeur doit démontrer qu’il a effectivement traité le problème d’incompétence ou de rendement insatisfaisant avec le salarié.

Évidemment, les pouvoirs de la CRT ou du tribunal d’arbitrage de griefs sont différents selon qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire ou administrative. Dans le premier cas, le tribunal est investi des pouvoirs et de toute la latitude nécessaire pour substituer sa décision à celle de l’employeur, en imposant toute mesure qui lui paraît juste et raisonnable dans les circonstances. Alors que dans le deuxième cas, en matière administrative, le tribunal n’aura d’autre choix que de confirmer la mesure ou de l’infirmer, lorsqu’il la jugera abusive, déraisonnable, discriminatoire ou de mauvaise foi.

Il est à noter qu’une preuve d’incompétence ou de rendement insatisfaisant, reposant sur des évaluations du rendement qui sont objectives, sera généralement admissible. Cela dit, les tribunaux ne s’immiscent pas dans le processus d’évaluation mis en œuvre par l’employeur, à moins qu’ils ne dénotent de la mauvaise foi, de la discrimination ou une attitude arbitraire. En outre, les normes, qu’elles soient qualitatives ou quantitatives, doivent être raisonnables. L’employeur a le droit de s’attendre à ce que ses salariés lui fournissent une prestation de travail qui se situe dans la bonne moyenne.

Bien que la notion d’obligation de civilité puisse être large, nous considérons les comportements suivants comme étant une contravention à une telle obligation :

  • faire de fausses accusations à l’endroit de collègues;
  • jeter le discrédit sur des collègues;
  • avoir une mauvaise attitude, un manque de motivation ou faire preuve de négativisme;
  • démontrer un manque de discrétion;
  • faire preuve d’un refus de l’autorité s’apparentant à de l’insubordination;
  • refuser d’accepter de se soumettre à une structure hiérarchique bien établie;
  • manifester de la difficulté à évoluer au sein d’une équipe de travail, de l’impolitesse, des manquements, etc.

Un employeur qui fait face à une plainte de congédiement injustifié, que ce soit à la CRT ou devant un tribunal d’arbitrage de griefs, devrait pouvoir démontrer que sa mesure est administrative ou non disciplinaire. Pour ce faire, il peut notamment faire appel aux éléments suivants :

  • il n’a en rien cherché à punir ou à réprimer un comportement en recourant à la discipline progressive;
  • il n’a pas tenté de dissuader de tels comportements ou attitudes en voulant donner à une mesure un caractère d’exemplarité;
  • son objectif était de régulariser une situation d’inefficacité au sein de son organisation;
  • le tout a été fait de bonne foi, sans discrimination ni de manière arbitraire.

La jurisprudence nous enseigne que le manquement à l’obligation de civilité peut avoir une conséquence de nature hybride, soit des mesures administratives ou disciplinaires. Néanmoins, il est de plus en plus fréquent que l’employeur invoque que la rupture d’emploi découlant du manquement à une telle obligation constitue une mesure administrative. En voici quelques exemples.

Exemples tirés de la jurisprudence
Dans l’affaire Regroupement des travailleuses et travailleurs du Québec et Rigaud (Municipalité), DTE 2003T-981 (Me André Sylvestre, arbitre), le salarié, permanent, a été congédié par la Municipalité puisqu’on lui reprochait de créer un climat rendant impossible le maintien de relations de travail normales avec ses collègues. De ce fait, l’employeur considérait que le salarié a rompu le lien de confiance avec ses supérieurs. Ce salarié avait un an d’ancienneté et un dossier disciplinaire vierge. La preuve a également démontré que le salarié avait été rencontré à quelques reprises par son superviseur. L’arbitre a rejeté le grief, considérant qu’il ne pouvait intervenir. Le tribunal a qualifié d’administrative la mesure de congédiement, en raison du fait que le salarié était incapable de fonctionner dans son équipe de travail, dont il était devenu le « boulet » :

« Au jugement de l’arbitre, après appréciation de la preuve, la partie patronale a démontré une cause raisonnable justifiant l’imposition de la mesure. Comme le procureur syndical l’a rappelé, le dossier disciplinaire de M. Cardin était vierge, au jour de son congédiement. Cependant, la mesure imposée par la direction n’était pas de mesure disciplinaire, mais bel et bien administrative. M. Cardin ne pouvait fonctionner au sein de l’équipe et il en était devenu le boulet.

[…]

La preuve a démontré que M. Gignac, à plusieurs reprises, a rencontré le plaignant pour tenter de le sensibiliser au travail d’équipe et lui rappeler le besoin d’être décent quand il prendrait ses pauses, l’interdiction de discréditer ses compagnons de travail, le devoir de faire preuve de discrétion quand il parlerait du déroulement interne des opérations municipales et l’importance d’adopter des méthodes de travail compatibles avec celles des autres équipiers. »

Dans l’affaire Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec (SPIQ) et Hydro-Québec, DTE 2006T-539 (Me Claude H. Foisy, arbitre), le salarié a été suspendu sans solde en raison de son expulsion de son équipe de travail. On lui reprochait d’être incapable d’évoluer au sein d’une structure hiérarchisée, telle Hydro-Québec, en plus d’avoir une attitude négative. Bien que l’employeur ait tenté de l’affecter à d’autres postes au sein de l’organisation, il a décidé de mettre un terme à son emploi en raison de l’impossibilité de lui attribuer d’autres fonctions. Après avoir qualifié la mesure d’administrative, le tribunal a rejeté le grief, et les propos suivants sont fort pertinents :

« La détermination de savoir si un congédiement et/ou un retrait de l’unité de travail est une mesure disciplinaire ou administrative est un exercice difficile parce qu’il n’est pas toujours évident de déterminer si le comportement du plaignant est volontaire et corrigible. Si on s’arrête à chacun des faits reprochés au plaignant, on peut venir à la conclusion qu’il s’agit d’actes d’insubordination ou d’intimidation qui résultent d’un comportement volontaire.

[…]

À la réflexion cependant, je suis convaincu que le comportement reproché au plaignant était de nature non disciplinaire. Selon moi, ledit comportement s’inscrivait dans un continuum qui montre clairement de la part du plaignant, un refus d’accepter certaines règles fondamentales que doit suivre tout employé travaillant dans une organisation comme Hydro-Québec, soit le respect de la ligne hiérarchique et l’acceptation que c’est la gestion qui décide, et qu’il appartient à l’employé, qu’il soit d’accord ou non, de suivre les directives et les politiques établies par l’employeur.

[…]

Il ne faut pas oublier que Blanchette a été avisé à de multiples reprises de respecter sa ligne hiérarchique. Blanchette est un ingénieur, une personne intelligente, et à mon avis il n’était même pas nécessaire qu’il soit discipliné pour qu’il comprenne ce principe élémentaire du fonctionnement d’une entreprise, telle qu’Hydro-Québec. Les rappels verbaux et écrits de même que la mesure disciplinaire de décembre 1998 auraient dû l’avoir amené à modifier son comportement à cet égard. L’obstination du plaignant témoigne d’une incapacité de travailler dans une organisation hiérarchisée. »

Conclusion
Cette jurisprudence revêt un intérêt particulier dans le monde du travail d’aujourd’hui, compte tenu de l’importance accrue du travail en équipe au sein de nos organisations. Par ailleurs, plusieurs de ces organisations sont très hiérarchisées et comprennent des équipes de travail au sein desquelles la responsabilité est très importante. Dans ce nouveau contexte de travail, les relations interpersonnelles sont importantes et sont intimement liées à la réussite d’un projet ou d’un mandat donné et assumé par une équipe de travail. La jurisprudence est sensible à cette nouvelle réalité et elle aura tendance, si l’employeur agit ainsi, à considérer globalement plusieurs manquements comme s’inscrivant dans un continuum, afin de les assimiler à une mesure administrative alors que, pris individuellement, ils pourraient s’apparenter à de l’insubordination, ce qui constitue un manquement volontaire.

Enfin, non seulement est-il important, voire impératif que l’employeur traite une problématique d’une manière administrative, son comportement doit témoigner du fait qu’une situation ou le rendement d’un salarié est inacceptable et ne saurait être toléré davantage. En effet, les tribunaux sont particulièrement sensibles au fait que l’employeur puisse reprocher au salarié de mal évoluer au sein d’une équipe de travail et d’avoir de la difficulté à fournir une prestation de travail satisfaisante comme justification d’une fin d’emploi alors que, du même souffle, il lui a récemment accordé une bonification ou lui a fourni une évaluation du rendement assez positive.

Gilles Rancourt, CRIA et Pierre-Étienne Morand, avocats au sein du groupe de Droit du travail et de l’emploi, Heenan Blaikie Aubut, partie intégrante de Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., S.R.L., Avocats, Québec

Source : VigieRT, numéro 36, mars 2009.


1 Voir à cet effet Syndicat des employés de La Capitale, Section locale 2310 (SCFP-FTQ) et La Capitale, assurances et gestion du patrimoine inc., T.A. 2007-12-14 (Me Denis Gagnon, arbitre).
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