Vous lisez : L’obligation du salarié congédié de mitiger ses dommages

Pour une deuxième fois en quelques mois, la Cour d’appel du Québec s’est prononcée sur les paramètres de l’obligation du salarié de réduire ses dommages dans l’éventualité d’une fin d’emploi sans motif sérieux aux termes de l’article 2091 du Code civil du Québec dans le cadre de l’arrêt rendu le 3 septembre dernier dans l’affaire Levy c. Standard Desk Inc.[1].

Les faits
À la suite de difficultés économiques, l’employeur décide de cesser ses activités à Laval et de licencier tous ses salariés. Parmi ceux-ci se trouve un contrôleur de la qualité âgé de 75 ans, lequel est au service de l’employeur depuis 38 ans, et cela, sans interruption : un préavis de fin d’emploi de 2 mois et demi lui est alors remis. L’employeur offre par ailleurs à tous ses salariés licenciés de travailler pour une entreprise située à Granby appartenant au même groupe, une offre que refuse cet employé qui considère que son âge ne lui permet pas d’effectuer de tels déplacements pour se rendre au travail.

Jugeant que le délai-congé accordé par l’employeur est insuffisant, le salarié intente un recours devant la Cour supérieure en réclamant une indemnité tenant lieu de préavis de fin d’emploi équivalant à vingt-quatre (24) mois, en plus de 20 000 $ à titre de dommages moraux.

La décision de première instance
La Cour supérieure du Québec fixe à 16 mois et demi le préavis raisonnable de fin d’emploi que l’employeur aurait dû accorder à l’employé, auquel doivent être soustraits les 2 mois et demi de préavis remis par l’employeur au moment du licenciement. Le juge conclut cependant que le salarié n’y a pas droit dans les faits puisqu’il n’a pas respecté son obligation juridique de réduire ses dommages en ne démontrant pas, d’une part, qu’il était incapable de donner suite à la proposition d’emploi que lui avait faite l’employeur au moment du licenciement ou, à défaut, qu’il n’avait pu obtenir un emploi ailleurs, en raison de son âge. La juge rejette également la réclamation du demandeur à titre de dommages moraux, en l’absence de preuve démontrant que le congédiement aurait été fait d’une façon humiliante, dégradante, blessante ou malfaisante[2].

La décision de la Cour d’appel du Québec
Saisie de l’appel interjeté par le demandeur, la Cour d’appel conclut dans un premier temps que le délai-congé de 16 mois et demi accordé par la juge est excessif compte tenu des circonstances. En effet, sans négliger l’importance de l’âge et des années de service continu du salarié, la Cour d’appel souligne que la nature et l’importance de l’emploi sont également des éléments clés dans l’évaluation du délai-congé raisonnable. En l’espèce, le salarié occupait un poste de subalterne pour lequel il recevait un salaire annuel d’environ 38 000 $. Pour ces motifs, la Cour d’appel fixe à10 mois et demi le préavis raisonnable qu’aurait dû recevoir le salarié, duquel elle retranche les 2 mois et demi remis par l’employeur au moment du congédiement.

La Cour d’appel aborde ensuite l’obligation de réduire ses dommages qui revient au salarié congédié sans motif sérieux en vertu du Code civil du Québec, cette obligation étant définie comme exigeant de l’employé qu’il fasse un effort raisonnable pour chercher et accepter un autre emploi convenant à sa qualification professionnelle. En l’espèce, la Cour indique dans un premier temps qu’il n’était pas déraisonnable pour le salarié de rejeter l’offre faite par l’employeur, puisque les importants déplacements exigés dans cet emploi auraient considérablement alourdi ses tâches.

Dans un deuxième temps, concernant l’absence de démarches effectuées par le salarié afin de se trouver un nouvel emploi, la Cour d’appel conclut que cet élément est dans les circonstances sans incidence puisqu’il n’y a à son avis aucun lien entre l’absence de démarches du salarié et le dommage subi par ce dernier. En effet, pour la Cour d’appel, même s’il avait activement recherché un emploi au cours de la période de préavis octroyée, soit 7 mois et demi, ses démarches se seraient soldées par un échec. Par conséquent, la Cour d’appel conclut qu’il n’y a aucun lien de causalité entre l’indemnité qu'était tenu de verser l’employeur et le manquement du salarié à son obligation de mitiger ses dommages :

« Le défaut de mitiger est une faute dont la conséquence est de réduire ou même d’anéantir le droit à l’indemnité tenant lieu de préavis. Ceci étant, pour en venir à ce résultat, il faut que la faute soit causale. Or, il ne fait aucun doute que les efforts de l’appelant pour se trouver un travail équivalent se seraient soldés par un échec. S’il s’agit d’une faute, elle n’a rien changé »[3].

La Cour d’appel refuse donc de réduire l’indemnité tenant lieu de préavis de fin d’emploi due à l’employé.

Cette décision vient ajouter un élément à l’analyse de l’obligation qui revient à l’employé aux termes de l’article 1479 du Code civil du Québec de limiter les dommages qu’il subit lorsqu’il est congédié sans motif sérieux et que l’employeur fait défaut de lui remettre un préavis de fin d’emploi suffisant. Il semble que l’employeur ne pourra plus systématiquement prendre appui sur les manquements d’un salarié congédié à son obligation de réduire ses dommages afin de diminuer l’indemnité tenant lieu de préavis de fin d’emploi due à l’employé. Encore faudra-t-il déterminer si l’employé se serait effectivement trouvé un travail rémunérateur équivalent au cours de la période de préavis fixée par le tribunal, n’eût été ce manquement.

Conclusion
Cette décision vient s’ajouter à celle rendue un peu plus tôt cette année par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Gareau (Le Groupe Gareau) c. Brouillette[4], dans le cadre de laquelle la Cour a reproché au juge de première instance d’avoir imposé un fardeau trop lourd à l’employé congédié en exigeant que celui-ci commence ses démarches de recherche d’emploi immédiatement après son congédiement, qu’il envoie plus de vingt curriculums vitae et effectue des suivis téléphoniques, qu’il use de ses contacts au sein de l’industrie dans laquelle il travaillait et qu’il recherche des emplois dans des régions éloignées de sa résidence.

Annulant la décision de la Cour supérieure qui a fait passer de 12 à 6 mois l’indemnité tenant lieu de préavis de fin d’emploi due à l’employé, la Cour d’appel a souligné que l’obligation de la victime de minimiser ses dommages dans toute la mesure du possible est une obligation de moyen et que le test en est un objectif : il consiste à examiner la conduite qu’aurait adoptée une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances :

« Je retiens que l’obligation de minimiser ces dommages est une obligation de moyen et non une obligation de prendre tous les moyens que l’on puisse imaginer pour y parvenir. Apprécié sous le prisme objectif de la conduite d’une personne raisonnable, j’en viens à la conclusion que Brouillette a agi de façon raisonnable afin de réduire son préjudice. Il faut accorder à l’employé congédié après 20 années de service une période adéquate pour absorber le choc du congédiement et penser à l’orientation de sa carrière. Il faut également tenir compte que, en l’espèce, la recherche d’emploi à la période des fêtes de Noël et du Jour de l’An n’est pas sans poser quelque difficulté. »[5]

Pour ces motifs, la Cour d’appel avait en l’espèce réduit de 1 mois, plutôt que de 6, l’indemnité tenant lieu de préavis de fin d’emploi que l’employeur avait été condamné à verser à son ancien salarié.

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Source : VigieRT, novembre 2013.


1 2013 QCCA 1473.
2 2012 QCCS 3471.
3 Id., par. 48.
4 2013 QCCA 969.
5 Id., par 53.
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