Vous lisez : La liberté d’expression d’un employeur

En principe, la liberté d’expression des employeurs au Québec est protégée tant par la Charte des droits et libertés de la personne que par la Charte canadienne des droits et libertés. Ce sont les mêmes dispositions qui protègent le droit d’association des salariés :

« 3.  Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association. »[1]

« 2.  Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

  1. liberté de conscience et de religion;
  2. liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
  3. liberté de réunion pacifique;
  4. liberté d'association.  »[2]

Ces droits fondamentaux peuvent s’opposer à l’occasion. En principe, il devrait être conclu que ces droits sont équivalents et qu’en cas de conflit, ils devraient être interprétés sans que l’un ou l’autre soit indûment nié. Toutefois, comme nous allons le voir, ce n’est pas l’interprétation qui a été retenue dans le cadre de l’application du Code du travail.


LES DISPOSITIONS DU CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC

Le droit d’association des salariés et des employeurs est formellement reconnu dans le Code du travail :

« 3.  Tout salarié a droit d'appartenir à une association de salariés de son choix et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration.

« 10.  Tout employeur a droit d'appartenir à une association d'employeurs de son choix, et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration. »

Il n’y a toutefois aucune disposition spécifique du Code protégeant expressément la liberté d’expression des salariés ou des employeurs. Ces droits fondamentaux sont néanmoins présumés être intégrés dans les dispositions du Code. Cela dit, diverses dispositions protègent indirectement la liberté d’expression des salariés tout en limitant celle de l’employeur. Ainsi, il est prévu à l’article 12 du Code qu’un employeur ne peut en aucune façon chercher à s’ingérer dans une activité d’une association de salarié :

« 12.  Aucun employeur, ni aucune personne agissant pour un employeur ou une association d'employeurs, ne cherchera d'aucune manière à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d'une association de salariés, ni à y participer.

« Aucune association de salariés, ni aucune personne agissant pour le compte d'une telle organisation n'adhérera à une association d'employeurs, ni ne cherchera à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d'une telle association ni à y participer. »

En apparence, cette disposition protège également le droit d’association des employeurs. Toutefois, il faut bien comprendre que la très grande majorité des employeurs ne font pas partie d’une association d’employeurs aux fins d’application du Code.

Les articles 13 et 14 visent à assurer les salariés contre toute forme d’intimidation ou de contrainte d’un employeur pour amener un salarié à ne pas devenir membre ou cesser d’être membre d’une association de salariés. Les articles 13 et 14 se lisent ainsi :

« 13.  Nul ne doit user d'intimidation ou de menaces pour amener quiconque à devenir membre, à s'abstenir de devenir membre ou à cesser d'être membre d'une association de salariés ou d'employeurs.

« 14.  Aucun employeur, ni aucune personne agissant pour un employeur ou une association d'employeurs ne doit refuser d'employer une personne à cause de l'exercice par cette personne d'un droit qui lui résulte du présent code, ni chercher par intimidation, mesures discriminatoires ou de représailles, menace de renvoi ou autre menace, ou par l'imposition d'une sanction ou par quelque autre moyen à contraindre un salarié à s'abstenir ou à cesser d'exercer un droit qui lui résulte du présent code.

« Le présent article n'a pas pour effet d'empêcher un employeur de suspendre, congédier ou déplacer un salarié pour une cause juste et suffisante dont la preuve lui incombe.  »


LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL DU TRAVAIL

Jusqu’en 2002, le Tribunal du travail devait interpréter ces dispositions et déterminer si l’employeur y contrevenait en communiquant à ses salariés. Le recours des syndicats consistait à déposer une plainte pénale; en raison de la nature de ce recours, les principes applicables étaient ceux du droit criminel (présomption d’innocence, preuve hors de tout doute raisonnable).

Le juge en chef du Tribunal du travail, Bernard Lesage, avait reconnu qu’un employeur avait le droit d’exprimer ses opinions, même anti-syndicales, à certaines conditions, sans par le fait même enfreindre l’article 12 du Code, dans l’affaire Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 194 c. Disque Americ inc.[3] En fait, le juge reconnaissait que le droit d’expression de l’employeur devait s’interpréter à la lumière des dispositions des Chartes. Il reconnaissait en ces termes l’exercice du droit de l’employeur d’exprimer ses opinions :

« Un employeur exercera légitimement son droit de citoyen à la parole publique lorsque, sans promesse ou menace que ce soit, directement ou indirectement, il tiendra des propos peut-être polémiques mais sans outrance ni mensonge et qui s’adressent essentiellement à la raison plutôt qu’aux émotions des interlocuteurs ou lecteurs, lesquels doivent être libres de recevoir ou non le message. Le programme est certes ambitieux, mais non point impossible et nombre de citoyens respectables expriment fort correctement, dans ces limites, des points de vue adverses au syndicalisme dans tous les milieux de la société. Tout comme la sainte critique, cette opposition peut freiner, elle peut embarrasser, elle peut peiner, mais son absence serait une pire lacune pour le progrès social. »

(p. 451)
(nous avons souligné)

Le juge Lesage estimait toutefois qu’un employeur devait respecter certaines règles lorsqu’il manifestait son opposition au syndicalisme en s’adressant à ses salariés :

« 1  Il ne doit faire directement ou indirectement aucune menace;

« 2  Il ne doit faire directement ou indirectement aucune promesse, toujours pour amener les salariés à adopter son point de vue;

« 3  Il doit tenir des propos défendables quant à leur réalité, surtout ne visant pas à tromper;

« 4  Il doit s’adresser à la réflexion des personnes et non soulever leurs émotions, particulièrement leur mépris, évitant tout style outrancier ou pathétique;

« 5  Ses interlocuteurs doivent être libres d’écouter ou de recevoir son message ou non;

« 6  À quelque égard, il ne doit d’aucune façon utiliser son autorité d’employeur, sur la base du lien de subordination établi avec les salariés, pour propager ses opinions contre le syndicalisme.  »

(p. 451)
(nous avons souligné)

En l’espèce, le juge Lesage a conclu qu’un employeur pouvait adresser une lettre à tous ses employés où il indiquait sa préférence pour « une discussion honnête et directe » à une situation risquant d’engendrer des conflits de travail. Il s’exprimait ainsi, à la page 463 :

« Ce texte tenait manifestement un discours anti-syndical, mais il était aussi clairement couché en termes mesurés, dépourvu de toute exagération tant dans le fond que dans la forme, en somme exprimait une opinion raisonnable et défendable.  »

Toutefois, le juge Lesage concluait par ailleurs que l’employeur avait violé l’article 12 du Code en tenant des assemblées sur les lieux du travail pour aviser les salariés de ses opinions anti-syndicales. Ces réunions étaient tenues pendant les heures de travail et les employés étaient tenus d’y assister; l’employeur exerçait alors son autorité juridique pour forcer ses salariés à écouter ses propos anti-syndicaux. Il ne s’agissait pas d’un exposé factuel, mais d’une véritable attaque contre le syndicat.

Le Tribunal du travail avait donc reconnu le droit d’un employeur d’exprimer ses opinions anti-syndicales, même s’il avait balisé ce droit assez rigoureusement.


LA COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL
Depuis le 25 novembre 2002, la Commission des relations du travail a remplacé l’ancien Bureau du commissaire général du travail de même que le Tribunal du travail. Les textes du Code qui protègent la liberté d’association et prohibent toute forme d’ingérence (articles 3, 10, 12, 13 et 14 du Code) n’ont aucunement été modifiés. Toutefois, la Commission des relations du travail possède désormais le pouvoir de rendre des ordonnances pour remédier à toute plainte alléguant une violation du Code (articles 114, 118 et 119).

En vertu de l’article 129 du Code, une ordonnance de la CRT peut être déposée au greffe de la Cour supérieure et devient alors exécutoire comme un jugement final de la Cour supérieure. La personne qui enfreint une telle ordonnance s’expose à une amende n’excédant pas 50 000 $ avec ou sans emprisonnement pour une durée d’au plus un an. Ces peines peuvent être imposées pour chaque violation successive.

Ainsi, même si le droit fondamental n’a pas été modifié en 2002, les syndicats peuvent désormais contester toute ingérence ou forme d’intimidation de l’employeur en déposant une simple plainte devant la CRT qui n’est pas liée par les règles strictes du droit pénal. C’est pourquoi les recours des syndicats à l’encontre de communications de l’employeur, qui étaient plutôt rares auparavant, seront désormais beaucoup plus fréquents.

Il y a diverses situations où un syndicat peut contester le droit de l’employeur de s’adresser à ses membres ou aux employés :

  • lors d’une requête en accréditation;
  • lors d’une requête en révocation d’accréditation;
  • lors des négociations pour la conclusion ou le renouvellement d’une convention collective;
  • pendant la durée d’une convention collective.

Nous commenterons succinctement la jurisprudence de la Commission des relations du travail relative à ces quatre situations distinctes.

CONTEXTE D’UNE REQUÊTE EN ACCRÉDITATION
- Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce c. Charcuterie Tour Eiffel inc. (Division Charcuterie de Bretagne) et Guindon Boucher et Lavoie, 2004 QCCRT 0028 (commissaire Michel Marchand)

Les faits suivants ont été retenus par le commissaire :

  • des représentants de l’employeur avaient fait des démarches auprès des salariés pour savoir s’ils étaient favorables au syndicat;
  • une réunion a été tenue pendant les heures de travail au cours de laquelle au moins un représentant de l’employeur a exprimé des vues anti-syndicales; la formation d’un comité d’employés pour étudier un « manuel des conditions de travail » ne constituait qu’un prétexte pour donner une plate-forme aux employés qui contestaient la venue d’un syndicat.

Il a donc été ordonné à l’employeur et ses représentants :

  • de cesser de conspirer en vue d’enfreindre les articles 12 et 13 du Code;
  • de cesser d’entraver les activités du syndicat;
  • de cesser de chercher à connaître le nom des salariés favorables à la venue du syndicat;
  • de cesser d’user, directement ou indirectement, d’intimidation ou de menaces, en vue d’amener des salariés à s’abstenir de devenir membres du syndicat;
  • d’afficher l’ordonnance dans un endroit bien en vue sur les lieux du travail.

- Fleurant, Jolin, Paquet, Gélinas, Couturier et Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2005 QCCRT 0095 (commissaire Louis Garant)

Les faits suivants ont été retenus par le commissaire :

  • l’employeur a intimidé trois salariés en leur ordonnant de cesser de faire de la sollicitation syndicale pendant les pauses de repos ou de repas;
  • l’employeur a toléré une manifestation anti-syndicale de certains employés à l’extérieur des lieux de travail.

Il a été ordonné à l’employeur :

  • de cesser d’intimider et de harceler les trois salariés qui avaient effectué de la sollicitation syndicale;
  • d’afficher la décision dans un endroit bien en vue des employés pendant trente (30) jours.

Il y a lieu de noter qu’en raison des conséquences minimes de la violation des articles 13 et 14, le commissaire a cependant refusé d’autres conclusions demandées par le syndicat (remise d’une liste de salariés, fourniture d’un tableau d’affichage, remise de documents par l’employeur aux salariés).

- Syndicat des employé-es de la Station de ski de Stoneham (CSN) et Pierre Lachance c. Les Entreprises de Stoneham Inc., 2007 QCCRT 0044 (commissaire Hélène Bédard)

À la veille d’un vote au scrutin secret, l’employeur a fait parvenir aux salariés une lettre pour réfuter des propos mensongers du syndicat à son endroit.

La CRT a conclu que l’employeur n’avait pas enfreint le Code :

  • l’employeur a corrigé des données erronées qui avaient été transmises aux salariés par le syndicat;
  • les informations exactes ont été transmises par l’employeur à la demande de salariés;
  • le ton de la lettre était modéré et ne visait pas à tromper les salariés;
  • les salariés étaient libres de lire ou non de la lettre adressée à leur domicile;
  • la lettre ne comportait aucune promesse directe ou indirecte pour inciter les salariés à ne pas adhérer au syndicat;
  • il n’y avait aucune attitude intimidante ou tentative de discréditer le syndicat.

CONTEXTE D’UNE REQUÊTE EN RÉVOCATION D’UNE ACCRÉDITATION
- Bernard et als. c. Métallurgistes Unis d’Amérique, local 9914 et Les micro-circuits C-Mac (Sélection), 2003 QCCRT 0406 (commissaire Mario Chaumont)

Alors qu’une requête en révocation de l’accréditation avait été déposée, l’employeur a tenu des rencontres avec ses salariés.

Les faits suivants ont été retenus contre l’employeur :

  • l’employeur a faussement dit aux salariés que l’usine était sa seule usine syndiquée en Amérique du Nord (en fait, une autre usine du Québec était syndiquée).

Quant à la rencontre des salariés, il y a eu ingérence en raison des éléments suivants :

  • présentation d’un manuel pour remplacer la convention collective;
  • communication d’un psychologue laissant entendre que la présence d’un syndicat nuit à l’entreprise;
  • exhortation aux salariés de ne pas répondre aux représentants syndicaux qui veulent les faire adhérer de nouveau au syndicat;
  • réunion tenue pendant les heures de travail et surveillance exercée sur les représentants syndicaux.

En raison de ces violations du Code par l’employeur, le commissaire a ordonné la tenue d’un vote au scrutin secret avant de se prononcer sur la demande de révocation de l’accréditation. Normalement, l’accréditation du syndicat aurait été discréditée sans vote puisque la majorité des salariés en cause avaient démissionné du syndicat.

- Syndicat des quincailleries et commerce de Québec Inc. (CSD) c. Canac-Marquis Grenier Ltée et Paul A. Audet, 2005 QCCRT 0297 (commissaire Paul Bélanger); révisée en partie par 2005 QCCRT 0663 (commissaires Robert Côté, Hélène Bédard et Pierre Lefebvre)

Dans cette affaire, l’employeur avait émis un communiqué adressé à ses salariés syndiqués où il les informait du fait que l’accréditation visant les salariés de l’une de ses usines avait été révoquée. L’information était rigoureusement exacte.

Le commissaire Paul Bélanger a néanmoins conclu que l’employeur avait enfreint le Code; il disait, aux pages 10 et 11 :

« [32] Dans la présente affaire, l’avis à l’ensemble des employés dépasse la simple information et contient des éléments subtils, notamment le fait de dire à l’ensemble des salariés syndiqués et non-syndiqués qu’ils ne perdent rien au change puisqu’ils bénéficieront des avantages contenus dans le “Manuel de l’employé(e) de nos non syndiqués et qu’un Comité de relations professionnelles sera mis sur pied dans les prochaines semaines”.

« [33] Il y a également ce rappel contenu au dernier paragraphe faisant état de la désyndicalisation d’un groupe de salariés affilié à la CSN, en fin de 2002, et que l’on y voit là une marque de confiance. En les circonstances, le fait de se syndiquer pourrait altérer la qualité de la relation.

« [34] La subtilité du message de l’employeur fait en sorte qu’il ne se limite pas à une simple information, mais revêt un caractère incitatif et invitant à l'endroit des autres employés syndiqués de l’entreprise qui, pour certains, auront à exercer un même choix en 2006.

« [35] Dans les circonstances, la Commission conclut que l’employeur a violé son devoir de réserve et qu’il a tenté d’entraver les activités syndicales. Certes, il a droit de s’exprimer et de faire valoir son point de vue auprès de ses employés mais il doit respecter les normes de réserve. »

Le commissaire ordonnait donc à l’employeur de transmettre une copie de sa décision à tous les salariés. Il ordonnait également à l’employeur de reconnaître le droit de ses salariés de se syndiquer, sans qu’il puisse le désapprouver; de plus, l’employeur devait reconnaître que l’exercice de ce droit n’affecterait pas la confiance de l’employeur à leur égard.

À la suite d’une demande de révision soumise en vertu de l’article 127 du Code, cette ordonnance a été modifiée puisqu’elle enfreignait la liberté d’expression de l’employeur garantie par les chartes; en effet, le commissaire avait forcé l’employeur à exprimer une opinion qui n’était manifestement pas la sienne. L’employeur a donc simplement été tenu de transmettre une copie de la décision, en mentionnant la plainte déposée par le syndicat, la décision rendue constatant une violation de l’article 12 C.t. et l’ordonnance de transmission d’une lettre avec la décision.


TEXTE DU RENOUVELLEMENT D’UNE CONVENTION COLLECTIVE
- Syndicat de la fonction publique, section locale 4290 c. Municipalité de Saint-Béatrix, 2004 QCCRT 0527 (commissaire Jacques Vignola)

Pendant une grève qui durait depuis plus d’un an, le maire d’une petite municipalité a commenté l’état des négociations dans un bulletin d’information de la municipalité. Même si ce bulletin s’adressait à la population en général, le maire a admis qu’il visait particulièrement les salariés en grève. Le commissaire a conclu que cette communication contrevenait au Code pour les motifs suivants :

  • ton manifestement intimidant, même méprisant; contenu orienté et cousu de demi-vérités, sinon de graves inexactitudes; déformation des propos des conciliateurs;
  • tentative de pressions sur les salariés en discréditant le syndicat; invitation aux citoyens à faire pression sur les salariés;
  • ingérence de l’employeur dans la gestion syndicale et tentative de miner la crédibilité du syndicat.

En conséquence, il a été ordonné à l’employeur de :

  • cesser toute ingérence dans les affaires syndicales;
  • s’abstenir de s’adresser directement ou indirectement à ses salariés en grève au sujet de la négociation en cours.

- Syndicat national des travailleurs et travailleuses des pâtes et cartons de Jonquière inc. (Usine pâte) – CSN c. Cascades Fjordcell, division de Cascades-Canada inc., 2005 QCCRT 0132 (commissaire Jacques Daigle)

Pendant un lock-out, l’employeur a transmis une lettre à ses salariés les informant que l’usine resterait fermée au moins jusqu’au printemps suivant si une entente n’intervenait pas dans les quinze (15) jours suivants, soit avant le 15 décembre.

Le commissaire a conclu que l’employeur cherchait à court-circuiter le syndicat en communiquant directement avec les salariés. Il s’agissait donc d’une exigence illégale et contraire à l’article 12 du Code. Il a donc ordonné à l’employeur et à ses représentants de cesser d’entraver les activités du syndicat.

- Paré Chevrolet Oldsmobile Inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec Inc. (CSD) et Boeyskins et al., 2006 QCCRT 0154 (commissaire Pierre Lefebvre)

Pendant une grève, alors qu’il avait demandé la tenue d’un vote sur ses offres finales, l’employeur a transmis à tous les salariés une copie annotée de ses dernières offres et a invoqué la fermeture possible de l’usine au cas de refus de ses offres. Le commissaire a refusé d’émettre une ordonnance pour faire cesser toute ingérence, car l’éventualité de la fermeture avait été discutée avec le syndicat pendant les négociations qui avaient précédé l’envoi de ladite communication.

- Syndicat des employés de soutien de l’Université Concordia, secteur technique (CSN) c. Université Concordia, 2005 QCCRT 0525 (décision interlocutoire) et 2005 QCCRT 0577 (décision finale)(commissaire Alain Turcotte)

Pendant les négociations, l’employeur a transmis à tous les salariés un courriel contenant divers commentaires défavorables au syndicat et invitant les salariés à exercer diverses options. Une ordonnance provisoire avait été émise pour interdire à l’employeur et à ses représentants de communiquer directement ou indirectement avec les salariés au sujet de la négociation.

Le commissaire a estimé que l’employeur s’était ingéré dans les affaires du syndicat :

  • même si les salariés n’ont pas l’obligation d’ouvrir un courriel, il est évident que ceux-ci le feront;
  • l’employeur n’a pas attendu la réponse du syndicat à ses offres pour communiquer avec les salariés;
  • l’employeur a attaqué l’autorité des représentants autorisés du syndicat et cherchait à discréditer le comité de négociation syndical.

Le commissaire a donc émis une ordonnance par laquelle il ordonnait à l’employeur de :

  • cesser toute ingérence dans les affaires du syndicat;
  • s’abstenir de s’adresser directement aux salariés au sujet de la négociation en cours;
  • s’abstenir de faire état publiquement des négociations en cours, sauf au moyen d’un compte rendu factuel et objectif.

De plus, il ordonnait à l’employeur de transmettre une lettre à chacun des salariés faisant état de la plainte du syndicat et de la décision rendue, en y annexant cette décision.

- Syndicat des employé(e)s de soutien de l’Université Concordia c. Université Concordia, 2007 QCCRT 0343 (ordonnance provisoire, commissaire Jean Lalonde), 2007 QCCRT 0437 (décision au fond, commissaire Louise Verdone), 2007 QCCRT 0484 (demande de sursis et demande de permission de dépôt, commissaire Jean Paquette) et 2008 QCCRT 0029 (demande de révision refusée, commissaires Andrée St-Georges (présidente), Sylvain Bailly et Benoît Monette)

Dans cette affaire, il était encore une fois allégué que l’Université Concordia s’était ingérée dans les affaires syndicales en communiquant directement avec les salariés pendant les négociations collectives.

Il a été constaté que l’employeur s’est ingéré illégalement dans les affaires du syndicat en communiquant directement aux salariés les termes de ses dernières offres :

  • le courriel précédait de peu une assemblée générale du syndicat et visait à mettre de la pression sur les salariés avant la tenue de cette assemblée;
  • le syndicat n’avait jamais eu l’occasion de discuter de cette offre avec ses membres; une version anglaise de l’offre n’avait jamais été communiquée au syndicat;
  • le résumé de l’offre comprenait des inexactitudes et des erreurs;
  • l’employeur cherchait à obtenir un deuxième vote sur ses offres finales qui avaient déjà été rejetées lors d’une assemblée précédente.

La Commission a donc rendu une ordonnance similaire à celle de la décision précédente. L’employeur a vainement contesté cette décision :

  • le syndicat a obtenu la permission de déposer cette décision au greffe de la Cour supérieure;
  • une demande de sursis a été refusée par la Commission;
  • la Commission a rejeté une demande de révision.

- Syndicat des employés de Beauceville Flooring c. Plancher Beauceville Flooring inc. – Karl Bouchard, 2006 QCCRT 0581 (commissaire Louis Garant)

Dans cette affaire, le syndicat avait contesté par un grief la décision de l’employeur d’installer des caméras de surveillance. Comme le syndicat refusait de retirer ce grief, l’employeur a affiché un avis informant ses salariés qu’il ne leur accorderait pas un congé additionnel comme il l’aurait fait si le grief avait été retiré.

Il va de soi que le bureau syndical a été jugé très sévèrement par les salariés, d’où la plainte à l’encontre d’une ingérence de l’employeur; le syndicat demandait également à la Commission d’ordonner à l’employeur d’accorder un congé supplémentaire à ceux qui étaient prévus dans la convention collective comme remède approprié. L’employeur a convenu que son geste était inapproprié, mais s’opposait au remède demandé. Le commissaire a conclu que l’employeur avait choisi le mauvais outil pour exprimer son mécontentement et que l’avis affiché ne pouvait que miner le climat de travail et la paix industrielle. Toutefois, il n’y avait pas lieu d’accorder une réparation de nature punitive; l’ajout d’un congé n’a pas été négocié avec le syndicat et aucun droit n’a été retranché de la convention collective. C’est pourquoi il a simplement été constaté que l’employeur avait contrevenu à l’article 12 du Code; l’employeur s’est engagé à ne pas récidiver; de plus, il devait afficher cette décision pendant cinq (5) jours ouvrables.


CONCLUSIONS PRATIQUES
La jurisprudence analysée ci-dessus reconnaît donc le droit de l’employeur de s’adresser à ses salariés pour y exprimer ses opinions, même si elles sont défavorables à un syndicat. Cependant, l’employeur se doit de respecter de nombreuses conditions pour ne pas enfreindre les articles 12, 13 et 14 du Code et ainsi éviter une décision défavorable de la Commission des relations du travail. Il faut retenir, selon la jurisprudence actuelle, que :

  • l’employeur peut indiquer sa préférence sans menace ni promesse pour le maintien d’un environnement syndiqué;
  • l’employeur doit énoncer des faits rigoureusement exacts; sinon, il pourra être conclu qu’il cherche à tromper ses salariés;
  • l’employeur doit éviter toute charge émotionnelle contre les syndicats même s’il est lui-même victime de critiques acerbes de la part d’un syndicat;
  • l’employeur peut rétablir les faits en réponse à des communications fausses ou erronées d’un syndicat;
  • l’employeur doit éviter de tenir des assemblées où les salariés sont des auditeurs captifs; il en sera ainsi de toute réunion à laquelle les salariés ont l’obligation d’assister pendant leurs heures de travail; aucun salarié ne doit être tenu d’assister à une telle rencontre ou d’y demeurer;
  • au cours d’une rencontre avec ses salariés, l’employeur devra éviter de susciter lui-même la controverse, directement ou indirectement par des questions soumises par ses représentants; par contre, l’employeur pourra certes répondre aux questions qui lui sont adressées par les salariés.

Pierre Pronovost, associé principal du cabinet Ogilvy Renault

Source : VigieRT, numéro 28, mai 2008.


1 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12
2 Charte canadienne des droits et libertés, Annexe B, Loi constitutionnelle de 1982
3 1996 T.T. 451
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