Vous lisez : Laver son linge sale professionnel sur Facebook

L’utilisation de Facebook ne fait que commencer à faire couler beaucoup d’encre. Dans une décision récente du National Labor Relations Board aux États-Unis (le pendant américain de notre Commission des relations du travail) dans Hispanics United of Buffalo inc. and Carlos Ortiz, JD-55-11, cinq salariés avaient été congédiés pour avoir exprimé sur Facebook leur insatisfaction vis-à-vis d’un collègue de travail. Pour mettre fin au lien d’emploi, l’employeur, mécontent de ce comportement, a invoqué la politique interdisant le harcèlement au travail.

Les salariés congédiés ont porté plainte en vertu des articles 7 et 8 du National Labor Relations Act (NLRA), dont s’inspire à bien des égards notre Code du travail. Le juge administratif responsable du dossier résume ainsi les règles applicables :

« Section 8(a)(1) provides that it is an unfair labor practice to interfere with, restrain or coerce employees in the exercise of the rights guaranteed in Section 7. Section 7 provides that, "employees shall have the right to self-organization, to form, join, or assist labor organisations, to bargain collectively through representatives of their own choosing, and to engage in other concerted activities for the purpose of collective bargaining or other mutual aid or protection… 

(Nous soulignons.)

Il serait évidemment mal avisé de croire que ces dispositions sont les mêmes au Québec, car cette notion d’aide mutuelle ou de protection ne figure pas dans le Code du travail qui prévoit par ailleurs aux articles 3, 14 et 15 que :

« 3. Tout salarié a droit d'appartenir à une association de salariés de son choix et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration.

14. Aucun employeur, ni aucune personne agissant pour un employeur ou une association d'employeurs ne doit refuser d'employer une personne à cause de l'exercice par cette personne d'un droit qui lui résulte du présent code, ni chercher par intimidation, mesures discriminatoires ou de représailles, menace de renvoi ou autre menace, ou par l'imposition d'une sanction ou par quelque autre moyen à contraindre un salarié à s'abstenir ou à cesser d'exercer un droit qui lui résulte du présent code.

Le présent article n'a pas pour effet d'empêcher un employeur de suspendre, congédier ou déplacer un salarié pour une cause juste et suffisante dont la preuve lui incombe.

15. Lorsqu'un employeur ou une personne agissant pour un employeur ou une association d'employeurs congédie, suspend ou déplace un salarié, exerce à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles, ou lui impose toute autre sanction à cause de l'exercice par ce salarié d'un droit qui lui résulte du présent code, la Commission peut :

a) ordonner à l'employeur ou à une personne agissant pour un employeur ou une association d'employeurs de réintégrer ce salarié dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, dans les huit jours de la signification de la décision et de lui verser, à titre d'indemnité, l'équivalent du salaire et des autres avantages dont l'a privé le congédiement, la suspension ou le déplacement.

Cette indemnité est due pour toute la période comprise entre le moment du congédiement, de la suspension ou du déplacement et celui de l'exécution de l'ordonnance ou du défaut du salarié de reprendre son emploi après avoir été dûment rappelé par l'employeur.

Si le salarié a travaillé ailleurs au cours de la période précitée, le salaire qu'il a ainsi gagné doit être déduit de cette indemnité;

b) ordonner à l'employeur ou à une personne agissant pour un employeur ou une association d'employeurs d'annuler une sanction ou de cesser d'exercer des mesures discriminatoires ou de représailles à l'endroit de ce salarié et de lui verser à titre d'indemnité l'équivalent du salaire et des autres avantages dont l'ont privé la sanction, les mesures discriminatoires ou de représailles. »

Or, selon le juge, le droit des employés de discuter des activités concertées protégées par l’article 7 du NLRA pour des fins de négociation collective ou pour s’aider mutuellement inclurait une protection de leur droit de discuter de leurs inquiétudes relatives au travail. Il s’en explique ainsi :

« Employees have a protected right to discuss matters affecting their employment amongst themselves. Explicit or implicit criticism by a co-worker of the manner in which they are performing their jobs is a subject about which employee discussion is protected by Section 7. That is particularly true in this case, where at least some of the discriminatees had an expectation that Lydia Cruz-Moore might take her criticisms to management. By terminating the five discriminatees for discussing Ms. Cruz-Moore’s criticisms of HUB employees’ work, Respondent violated Section 8(a)(1). »

Par ailleurs, l’employeur aurait pu renverser cette conclusion du juge s’il avait été capable de démontrer que la conduite des employés avait été humiliante (opprobious) au point de leur faire perdre la protection de la loi.

Selon le juge, les critères permettant d’évaluer si cette protection de la loi est perdue sont l’endroit où la discussion a eu lieu, le sujet de la discussion, le ton des employés (the nature of the employees outburst) et finalement, si ce ton ou ce comportement des employés avait été provoqué par l’employeur. Eu égard à l’utilisation de Facebook, la conclusion du juge est plutôt courte, car il ne fait qu’affirmer que :

« The Facebook posts were not made at work and not made during working hours. »

La question reste entière en ce qui concerne le droit québécois et la violation de l’obligation de loyauté des employés qui, publiquement, étalent leurs différends professionnels, ce qui ne peut faire autrement que de nuire à la réputation de l’employeur. En l’espèce, l’employeur ne fut pas critiqué directement, mais une entreprise a certes intérêt à éviter que ses employés exposent leurs différends en public. De plus, il est bien reconnu dans notre droit qu’un comportement fautif en lien avec le travail ne cesse pas de l’être du simple fait que ce comportement a eu lieu en dehors du travail. Si malgré ce fait, le lien subsiste, le comportement peut être sanctionné.

Finalement, l’employeur ne put d’aucune façon démontrer en quoi il y avait eu violation de sa politique de harcèlement et encore moins en quoi cette violation avait causé un préjudice à l’employé faisant l’objet des critiques par les employés congédiés, car aucun lien n’a pu être établi entre les comportements reprochés et la politique en place. Ainsi, les employeurs auraient peut-être intérêt à resserrer leurs politiques en invitant leurs employés à ne pas débattre en public de questions reliées au travail particulièrement si elles sont confidentielles.

Bref, il s’agit d’une décision intéressante sur un sujet d’actualité, et c’est la première fois que l’utilisation de Facebook pour discuter de problèmes au travail est considérée comme une facette du droit à l’association, du moins selon la définition de l’article 7 du NLRA.

Au Québec, il est assez clair que le Code du travail ne protège que le droit d’association au sein d’une association de salariés. Il pourrait toutefois être allégué dans un cas similaire au Québec que le droit d’association et le droit à la liberté d’expression protégés par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne ont un effet similaire à l’article 7 NLRA.

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Source : VigieRT, octobre 2011.

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