Vous lisez : Le code vestimentaire et la liberté d’expression

Un employeur est-il justifié d’imposer le port obligatoire du veston à ses employés, tant hommes que femmes, par l’entremise d’une politique écrite adoptée à cet égard? Le cas échéant, qu’en est-il des frais inhérents qui en découlent?

Ce sont les questions auxquelles devait répondre l’arbitre dans l’affaire Caisse Desjardins Thérèse-de-Blainville et Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 575, D.T.E. 2011T-672.

Les faits
L’employeur, une institution financière, adopte une politique imposant notamment le port obligatoire du veston pour tous ses employés. Mécontent de la situation, le syndicat dépose alors un grief au nom de plusieurs salariés qu’il représente, lesquels fournissent des services financiers à la clientèle de l’employeur. Par ce grief, le syndicat réclame, entre autres, l'annulation du code vestimentaire imposant aux salariés le port du veston au travail.

Les prétentions des parties
Le syndicat
Au soutien de son grief, le syndicat invoque notamment que la politique de l'employeur contrevient à la convention collective, laquelle ne contient aucune disposition sur le port de l'uniforme, en plus de violer le droit à la liberté d'expression et le droit à la vie privée prévus à la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »).

De façon subsidiaire, advenant qu’une telle politique soit jugée valide, le syndicat est d’avis que les coûts relatifs au port obligatoire du veston devraient être assumés par l’employeur.

L’employeur
Quant à l’employeur, il justifie le port du veston par ses employés selon une finalité triple :

  1. Il désire que son personnel soit plus facilement reconnaissable dans ses centres de service. Le veston doit ainsi servir à faire rapidement la différence entre les clients et les membres du personnel, dans la dynamique de ses opérations;
  2. L’employeur veut projeter une image de professionnalisme et de fiabilité afin de séduire et de retenir une clientèle très sollicitée par la concurrence, notamment par les banques;
  3. Il veut prévenir et corriger les fautes vestimentaires de ses employés. À cet égard, il indique que ses gestionnaires ont dû intervenir plusieurs fois pour aviser des employés que leur tenue vestimentaire était inappropriée, généralement trop sportive, négligée ou trop « sexy ».

La décision
L’arbitre mentionne tout d’abord que l'employeur aura le droit d'adopter unilatéralement un code vestimentaire si, d’une part, la convention collective n’y fait pas obstacle et, d’autre part, si le contenu de ce code n’est pas illégal. La convention collective étant silencieuse à cet égard, laissant place aux droits de gérance de l’employeur, l’arbitre signale qu’il doit alors évaluer la légalité de cette politique.

L’argument du syndicat quant à l’atteinte au droit à la vie privée des salariés
L’arbitre rejette en premier lieu l’argument du syndicat selon lequel l’exigence du veston constitue une atteinte au droit à la vie privée des salariés qu’il représente, droit protégé par la Charte.

Il dispose de cet argument en ces termes :

« Il faut se garder de donner une extension indéfinie aux concepts de droit à la vie privée et de droit à l’image : on risque ainsi de les rendre insignifiants, ce qui n’est pas l’intention du législateur. Le champ de la vie privée ne doit pas être confondu avec le milieu de travail qui comporte nécessairement une dimension publique et sociale. »

L’argument du syndicat quant à l’atteinte au droit à la liberté d’expression
Quant à l’argument du syndicat fondé sur le respect du droit à la liberté d’expression des salariés qu’il représente, l’arbitre admet qu’un code vestimentaire imposé par un employeur peut effectivement entraîner une atteinte à ce droit.

Par contre, il précise que les droits et libertés prévus à la Charte ne sont pas absolus. Il souligne à cet égard qu’une atteinte à un droit protégé, tel le droit à la liberté d’expression, peut être justifiée par une exigence vestimentaire, à la condition que l’employeur démontre :

  1. Que l’atteinte au droit protégé répond à un objectif légitime et important;
  2. Que l’atteinte a un lien rationnel avec l’objectif poursuivi; et
  3. Que l’atteinte au droit protégé est minimale dans les circonstances.

L’arbitre souligne que le critère de l’atteinte « minimale » au droit protégé est exigeant, puisqu’il privilégie les intérêts des titulaires du droit protégé, soit les salariés, au détriment de l’employeur.

Malgré cela, l’arbitre donne raison à l’employeur quant à la légalité de sa politique vestimentaire. Il s’exprime comme suit :

« [121] L’employeur a prouvé qu’il poursuivait trois objectifs : (1) identifier et distinguer les employées du reste de la clientèle, (2) projeter une image de professionnalisme et de fiabilité auprès de la clientèle, dans un contexte de concurrence intensive et (3) prévenir et guérir les fautes vestimentaires des employées. Ces objectifs sont légitimes : ils se situent à l’intérieur du champ des activités de l’entreprise et de l’exercice de ses pouvoirs. (…)

[122]L’employeur a prouvé qu’il existe un lien rationnel entre les objectifs visés et le moyen retenu, à savoir le port obligatoire du veston. Le directeur a affirmé que le veston permet d’identifier et de distinguer les membres du personnel, de la clientèle. Il n’a pas été contredit. Personne n’est venu dire que la majorité de la clientèle porte le veston et que l’effet sur l’identification et la distinction serait nul ou négligeable.

(…)

[125] L’employeur a prouvé qu’il avait choisi le moyen minimal, parmi les choix qui s’offraient à lui. Le syndicat a soutenu que pour identifier les employées il aurait suffi de leur faire porter une cocarde ou une plaque d’identité. Cette solution n’est pas nécessairement plus légère que le port du veston. Selon l’usage, les personnes importantes, au sein d’une entreprise, ne portent pas de telles cocardes ou plaques d’identité. Il est plus valorisant de porter le veston plutôt qu’une médaille au cou.

[126] La solution identifiée par le comité Qualité était soit d’adopter le costume uniforme, soit le port du veston au goût de chacun. Cette dernière solution est minimale, par rapport à l’imposition d’un costume uniforme, sur le plan de la liberté d’expression. Elle permet à chacun de personnaliser sa tenue. Elle ne touche pas au reste de la tenue, alors qu’un costume uniformise normalement tous les étages de l’habillement, des pieds jusqu’au cou. L’employeur a donc fait le choix le plus respectueux de la liberté d’expression des employées. (…) »

(Nos caractères gras.)

Les conséquences de la conclusion de l’arbitre sur l’employeur
Ayant conclu à la légalité et à la validité de la politique vestimentaire adoptée unilatéralement par l’employeur, l’arbitre indique toutefois que l’employeur doit assumer la totalité des frais inhérents au port obligatoire du veston, y compris les frais d’entretien et de nettoyage. Il précise que le montant de l’allocation à verser est une matière que l’employeur doit négocier avec le syndicat, car elle touche la rémunération des salariés syndiqués. L’arbitre réserve donc sa compétence pour déterminer les indemnités dues, advenant que l’employeur et le syndicat ne s’entendent pas sur celles-ci.

En conclusion
Cette décision confirme la latitude que peut avoir un employeur dans le cadre de l’adoption de certaines politiques, dont celles ayant trait à la tenue vestimentaire de ses employés, et ce, malgré le fait qu’elles puissent entraîner certaines atteintes à des droits protégés par la Charte, dont le droit à la liberté d‘expression.

Par contre, l’adoption d’une telle politique ne devrait pas se faire sans l’évaluation préalable des conséquences qu’elle peut engendrer sur l’employeur, notamment en matière d’allocations à verser aux employés qui doivent porter un veston. En effet, selon le nombre d’employés assujettis, cela peut se révéler onéreux pour l’employeur.

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Source : VigieRT, novembre 2011.

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