Ce n'est pas une plaisanterie. Ce n'est pas du flirt. Le harcèlement sexuel au travail, ce sont des gestes, des paroles et des actions qui offensent, qui intimident, puis qui humilient. Contrairement au flirt qui rehausse l'estime de soi, le harcèlement sexuel diminue celle de la victime. C'est un acte de violence.
Depuis l'entrée en vigueur, le 1er juin 2004, des dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives au harcèlement psychologique, les salariés bénéficient du droit de travailler dans un milieu exempt de violence psychologique et disposent d'un nouveau recours pour garantir le respect de ce droit.
Les employeurs ont aussi de nouvelles obligations. Non seulement doivent-ils prendre les mesures nécessaires pour stopper le harcèlement psychologique lorsqu'il est démontré, mais encore doivent-ils le prévenir!
Bien que la Loi sur les normes du travail parle de « harcèlement psychologique », il est acquis que, lorsque les incidents invoqués par le salarié sont de nature sexuelle et sont prouvés, ils constituent bien du harcèlement psychologique au sens de l'article 81.18 de la Loi (rf. Guillaume St-Hilaire-Gravel c. 9165-8526 Québec Inc. 2008 QCCRT 0364).
Comment reconnaît-on le harcèlement sexuel? Afin de répondre à cette question, il est indispensable de recourir à la définition prévue à l'article 81.18 de la Loi :
« … on entend par "harcèlement psychologique" une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.
« Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. »
Dans l'affaire Jean-Claude Pierre-Louis c. Syndicat des Copropriétaires de Tropiques Nord, 1 Montréal, Phase 1, 2008 QCCRT 0059, la Commission des relations du travail analyse cette définition :
« Deux formes de harcèlement psychologique sont ainsi définies, soit celle de la conduite vexatoire, qui peut se traduire de diverses manières et qui implique le caractère répétitif des manifestations de harcèlement, et celle de la conduite grave qui, bien qu'unique, produit un effet nocif continu dans le temps. La personne qui allègue avoir fait l'objet de harcèlement doit démontrer qu'elle a été l'objet d'une de ces deux conduites, qui a porté atteinte à sa dignité ou à son intégrité et entraîné un climat de travail malsain. »
Qu'entend-on par « conduite vexatoire »? La jurisprudence considère qu'il s'agit d’attitudes ou de comportements qui blessent ou humilient quelqu'un dans son amour-propre. Pour éviter de tomber dans une perspective purement subjective, la preuve doit se fonder selon le point de vue de la victime raisonnable, placée dans les mêmes circonstances (Habachi c. CDPDJ (1999) RJQ 2522; Breton c. Compagnie d'échantillons National Ltée, 2006 QCCRT 0601). Le plaignant ne peut donc se contenter d'allégations vagues ou générales, sans les étayer par une preuve précise et prépondérante.
Il faut analyser globalement les comportements, paroles, actes ou gestes reprochés afin de déterminer s'ils sont hostiles ou non désirés. Il ne faudrait pas se limiter à examiner chaque événement au cas par cas. Cette analyse s'effectue en prenant comme référence la personne raisonnable, diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances que la victime. Bien que la perception de la victime soit pertinente, elle ne sera pas pour autant déterminante.
Le harcèlement sexuel pourrait notamment se présenter sous les formes suivantes :
- des contacts physiques non désirés, tels que des attouchements, des pincements, des empoignades, des frôlements;
- la sollicitation non désirée de faveurs sexuelles;
- des commentaires inappropriés d'ordre sexuel, des remarques sur le corps de la victime ou son apparence, des plaisanteries qui dénigrent l'identité sexuelle ou l'orientation sexuelle de la victime;
- des questions intimes;
- des regards concupiscents, notamment dirigés sur les parties sexuelles de la victime;
- des sifflements;
- l'affichage de photographies pornographiques.
Il faut retenir que la répétition d'actes n'est pas requise pour établir le harcèlement. Le second paragraphe de l'article 81.18 établit clairement qu'un acte unique, « une seule conduite grave », peut constituer du harcèlement.
Dans tous les cas, la victime a le fardeau de démontrer l'atteinte à sa dignité de même qu’à son intégrité psychologique ou physique, entraînant ainsi un milieu de travail néfaste. La victime doit aussi démontrer l'effet nocif continu sur sa personne lorsque le cas relève d’une seule conduite grave.
À titre d'exemple, la Commission des relations du travail a accueilli une plainte fondée sur un acte unique dans l'affaire Suzanne Houle c. 9022-3363 Québec Inc. (Le Pub St-Donat Enr.) 2007 QCCRT 0348. Ainsi, lors d'une fête de Noël, l'employeur avait pris un glaçon dans un pichet d'eau, avait glissé sa main et le glaçon sous le chandail de la plaignante, touchant ainsi le sein de cette dernière. Mentionnons que la Commission des relations du travail précise que le droit à la dignité de la personne n'exige pas que la preuve soit faite de l'existence de conséquences définitives ou d'effets de nature permanente sur la victime. Dans un deuxième temps, la Cour distingue les concepts de dignité et d'atteinte à l'intégrité :
« L'atteinte à l'intégrité psychologique ou physique doit (1) laisser des marques ou des séquelles qui dépassent un certain seuil et (2) occasionner un déséquilibre physique, psychologique ou émotif plus que fugace, sans qu'il soit nécessaire que cela soit permanent. En toute logique, il est raisonnable de conclure que l'atteinte à la dignité ainsi que celle à l'intégrité psychologique ou physique doivent être plus que fugaces, mais que l'atteinte à la dignité vise les situations qui se situent sous le seuil de l'atteinte à l'intégrité. »
Enfin, dans les cas d'acte unique, la victime doit aussi démontrer que l'atteinte a produit un effet nocif continu. La Cour considère non seulement la nature et l'intensité de la conduite grave, mais aussi son impact sur la victime. Les préjudices physiques, psychologiques et financiers sont alors pris en compte.
La Cour suprême du Canada reconnaît expressément que l'employeur peut être tenu responsable des actes commis par ses employés lorsqu’ils sont reliés de quelque manière que ce soit à l'emploi (rf. Robichaud c. Canada (Conseil du trésor) (1987) 2 RCS 84).
Lorsque la victime dénonce les événements, l'employeur doit prendre les moyens raisonnables pour faire cesser la conduite fautive. En règle générale, l'employeur tiendra une enquête dans le milieu de travail. De plus, il est fortement recommandé à la victime de tenir un journal des événements, précisant ainsi tous les éléments lui permettant de relater en détail le harcèlement sexuel subi (date, lieu, événement, témoins présents, etc.) et de faire la preuve de la conduite fautive. Ce journal est d'autant plus utile quand un recours est subséquemment exercé, car la victime a toujours le fardeau de démontrer, par prépondérance des probabilités, la conduite constitutive de harcèlement.
À la suite d’une enquête menée de façon objective, l'employeur doit agir en adoptant les mesures nécessaires pour faire cesser le harcèlement et en sanctionnant son auteur. Si celui-ci est l'employeur lui-même, la situation est plus délicate… Dans tous les cas, la victime peut se prévaloir de son recours, précisé aux articles 123.8 et suivants de la Loi sur les normes du travail, en déposant une plainte adressée à la Commission des normes du travail.
Cette plainte doit être déposée dans les 90 jours suivant la dernière manifestation de la conduite constitutive de harcèlement. Ce délai strict est de rigueur : son inobservance entraînera la déchéance du droit. Par contre, il faut noter que la Commission des relations du travail peut examiner des faits antérieurs au délai de prescription pour mettre en contexte les événements survenus dans les 90 jours précédant le dépôt de la plainte :
« Le temps est de l'essence du harcèlement : c'est une faute qui comporte une durée. Le harcèlement est le résultat cumulé d'un certain nombre de gestes plus ou moins graves qui ont un caractère répétitif et persistant. Les premiers gestes peuvent paraître inoffensifs ou de peu d'importance. C'est l'accumulation des incidents qui, en rétrospective, fait apparaître leur véritable importance. Une preuve de harcèlement s'accommode mal du cadre étroit d'une limite temporelle trop courte. Les incidents qui composent le harcèlement constituent un tout et il suffit en principe que des événements significatifs tombent dans le cadre temporel convenu pour que soit admise la preuve de l'ensemble du comportement répréhensible de l'auteur du harcèlement. »
(rf. Hippodrome de Montréal c. Syndicat des employés de service de l'entretien de l'Hippodrome de Montréal, DTE 2003T-133)
À la suite du dépôt de la plainte, une enquête est menée par la Commission des normes du travail. Le but de cette enquête est d’en vérifier le bien-fondé. Il est alors possible aux parties de bénéficier des services d'un médiateur afin de tenter de régler le litige à l'amiable.
Au terme de l'enquête, si la plainte est jugée irrecevable, le salarié dispose d'un droit de révision de la décision d'irrecevabilité. Si toutefois la plainte est jugée recevable et que la médiation n'a pas porté fruit, la Commission des normes du travail transfère le dossier à la Commission des relations du travail, tribunal administratif chargé d'entendre les parties et de disposer du litige.
Après avoir entendu la preuve des deux parties, la Commission des relations du travail rend une décision écrite. Si la décision accueille la plainte du salarié et conclut que ce dernier a été victime de harcèlement sexuel et que l'employeur n'a pas respecté les obligations qui lui incombent, la Commission des relations du travail a le pouvoir de rendre toute décision juste et raisonnable. Entre autres, mais de façon non limitative, l'article 123.15 de la Loi prévoit que la Commission pourrait :
- ordonner la réintégration du salarié dans son emploi;
- ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité correspondant au salaire perdu, le cas échéant;
- ordonner à l'employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;
- ordonner à l'employeur de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;
- ordonner à l'employeur de verser au salarié une indemnité pour perte d'emploi;
- ordonner à l'employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu'elle détermine; et
- ordonner la modification du dossier disciplinaire du salarié.
En ce qui a trait aux dommages réclamés par la victime, ils peuvent être de deux ordres : des dommages moraux visant à l’indemniser pour l'humiliation, la souffrance et la perte de qualité de vie subies. La victime a le fardeau de démontrer l'ampleur du préjudice moral subi. Notons que dans une décision récente rendue par la Commission des relations du travail, une victime s'est vu octroyer la somme de 15 000 $ à ce titre (rf. Constance Castonguay c. Gestion A. Bossé Inc. 2008 QCCRT 0399).
Des dommages-intérêts exemplaires (ou dommages punitifs) peuvent aussi être réclamés : ceux-ci visent à « punir » l'auteur du harcèlement psychologique et sexuel pour sa conduite malveillante et pour son intention de nuire à la victime. Ils visent également à dissuader l'employeur de récidiver. Dans l'affaire susmentionnée, après analyse de la preuve, la Commission des relations du travail a ordonné le paiement de la somme de 10 000 $ à ce titre (rf. Castonguay, supra).
Enfin, tout au long de ses démarches, le salarié aura assurément besoin de soutien. Dans les cas où l'employeur ne dispose pas d’un programme d'aide aux employés, le salarié peut bénéficier des services du Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail de la province de Québec inc. Cet organisme à but non lucratif a comme principal objectif de briser l'isolement des victimes et de sensibiliser la population à la problématique du harcèlement sexuel.
Pour plus de renseignements : Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail de la province de Québec inc.
Pour toute demande d'information complémentaire, n'hésitez pas à téléphoner au service de renseignements de la Commission des normes du travail [1 800 265-1414] ou encore visitez notre site Web.
Me Anne-Marie Plouffe, procureure pour la Commission des normes du travail
Source : VigieRT, numéro 34, janvier 2009.