Vous lisez : Les clauses de disparité de traitement : quel avenir au Québec?

Bien que le taux de chômage ait atteint 6,2 %[1] en novembre 2016, soit le plus bas taux depuis 1976[2], il n’en demeure pas moins que nous sommes à l’aube d’une période où le marché de l’emploi subira des pénuries de ressources pour certains postes. Une proportion grandissante d’employeurs sera forcée de changer l’approche de distinguer les employés en fonction de l’ancienneté afin de retenir les ressources qui font leur entrée sur le marché du travail.

LES CLAUSES D’ANCIENNETÉ
Plusieurs des règles d’ancienneté que l’on retrouve dans les conventions collectives sont préjudiciables ou rendent difficile l’accès des jeunes générations au marché du travail. Il suffit de penser à l’infirmière qui, en arrivant sur le marché du travail, n’aura droit à aucune place de stationnement pour plusieurs années, sera la dernière à choisir ses vacances, travaillera de nuit et sera, au surplus, la première mise à pied en cas de resserrement économique.

De plus, si tant est que l’utilisation du critère de l’ancienneté ait permis aux syndicats de s’assurer que les bénéfices de l’emploi ne sont pas laissés à la seule discrétion des employeurs, force est de constater que d’autres critères permettent également de rencontrer les garanties que recherche le syndicat, sans hypothéquer l’avenir et le renouvellement de la main-d’œuvre. Ce sera le cas notamment en déterminant que les bénéfices ou les assignations de travail d’emploi sont répartis à tour de rôle, par tirage au sort, ou en tenant compte des qualifications des salariés.

Si les clauses des conventions collectives créant des disparités de traitement en fonction de l’ancienneté peuvent sembler discriminatoires, le législateur a vite fait de répondre à cette question. Ainsi, l’article 19 de la Charte des droits et libertés de la personne prévoit expressément que lorsqu’une différence de traitement est fondée sur l’ancienneté ou l’expérience, l’employeur ne pourra être considéré avoir discriminé les employés bénéficiant de conditions de travail inférieures. Qu’en est-il alors du pouvoir des employeurs d’instaurer des distinctions fondées non pas sur l’ancienneté ou l’expérience, mais plutôt sur la date d’embauche? Une convention collective peut-elle prévoir que les employés embauchés après une certaine date ne profiteront pas d’un certain bénéfice ou profiteront d’un bénéfice moindre que celui des employés plus anciens? Le législateur est resté, jusqu’au début des années 2000, muet à ce sujet.

LES CLAUSES DE DISPARITÉ DE TRAITEMENT (« CLAUSES ORPHELIN »)
Si l’on peut facilement concevoir qu’un syndicat préfère hypothéquer l’échelle salariale de futurs employés afin d’obtenir une augmentation du salaire d’employés actifs, les articles 87.1 à 87.3 de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT »), instaurés en 2003, sont venus baliser le droit des parties à une convention collective de « sacrifier » les nouveaux arrivants au profit des employés plus anciens. De telles clauses prennent le titre de « clauses de disparité de traitement » (ou « clauses orphelin » ou « clauses de disparité salariale ») et ont pour effet de faire supporter par les seuls salariés embauchés après une date donnée les désavantages qui découlent de l’amoindrissement d’une condition de travail.

L’article 87.1 LNT[3] ne prohibe pas l’ensemble de ces clauses, n’interdisant que celles qui touchent au salaire, à la durée du travail, aux jours fériés, chômés et payés, aux congés annuels payés, aux repos, aux absences pour cause de maladie ou d’accident, aux absences et aux congés pour raisons familiales ou parentales, aux avis de cessation d’emploi ou de mise à pied et au certificat de travail, à l’uniforme, au matériel et aux outils fournis, aux frais de déplacement et de formation obligatoires ainsi qu’aux primes et aux indemnités. Une convention collective prévoyant une disparité de traitement ne touchant pas aux conditions ci-haut énumérées ne serait pas, à l’heure actuelle, invalide. Ce sera notamment le cas du régime de retraite[4].

Considérant l’importance accrue des régimes de retraite au cours des dernières années, de nombreux groupes, y compris de nombreux syndicats et la Commission jeunesse du Parti libéral du Québec, demandent aujourd’hui au gouvernement de légiférer et, plus généralement, d’élargir la portée de l’article 87.1 LNT afin que l’ensemble des clauses de disparité de traitement, y compris celles visant les régimes de retraite, soit considéré invalide[5].

Si tel devait être le cas, de nombreuses conventions collectives du Québec, sinon l’entièreté de celles-ci, devront être réexaminées.

Source : VigieRT, décembre 2016.

1 Caractéristiques de la population active, données désaisonnalisées, par province (mensuel) (Québec, Ontario, Manitoba), Statistique Canada, novembre 2016.
2 Bulletin mensuel sur le marché du travail au Québec, Emploi Québec.
3 « 87.1 Une convention ou un décret ne peuvent avoir pour effet d’accorder à un salarié visé par une norme du travail, uniquement en fonction de sa date d’embauche et au regard d’une matière sur laquelle porte cette norme prévue aux sections I à V.1, VI et VII du présent chapitre, une condition de travail moins avantageuse que celle accordée à d’autres salariés qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement. »
4 Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 574, SEPB, CTC-FTQ c. Groupe Pages jaunes Cie, 2015 QCCA 918 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême).
5 Force Jeunesse, La FTQ, la Commission-Jeunesse du PLQ et Force Jeunesse demandent la fin des clauses de disparité de traitement, octobre 2016 
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