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Les politiques de dépistage de drogues ou d’alcool en milieu de travail sont un sujet qui porte à controverse et soulève plusieurs enjeux juridiques.

Le présent article se veut un retour sur les principes généraux qui se dégagent de cette question épineuse.

Les tests de dépistage de drogues ou d’alcool et les droits de la personne : les enjeux juridiques
Un test de dépistage de drogues ou d’alcool nécessite le prélèvement et l’analyse d’échantillonsde substances corporelles. En raison de sa nature intrusive, cette procédure comporte une atteinte à l’intégrité de la personne qui doit s’y soumettre. En conséquence, pour être valide, celle-ci doit répondre à des conditions de validité reconnues à l’égard de toute politique imposée unilatéralement par un employeur. De plus, toute politique prévoyant des tests de dépistage de drogues ou d’alcool doit passer avec succès le test de l’article 9.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[1]. Tout d’abord, l’employeur doit pouvoir justifier un objectif légitime et important lié à sa politique. Par la suite, celui-ci se doit d’établir un lien rationnel entre cette politique et le fait de porter atteinte à l’intégrité de l’employé. Finalement, l’atteinte à l’intégrité de l’employé par la politique de l’employeur devra être minimale.

Les politiques de dépistage de drogues ou d’alcool en milieu de travail
En principe, un employeur peut adopter toute politique qu’il juge nécessaire dans la gestion de son entreprise. À cet égard, les critères énoncés, il y a plus de 30 ans, dans une décision arbitrale (l’affaire KVP[2]) sont toujours d’actualité et continuent d’être repris par les tribunaux pour déterminer la validité des politiques internes des entreprises. Ces critères de validité se résument ainsi :

  • La politique ne doit pas entrer en conflit avec la convention collective, le cas échéant, ou avec une loi;
  • Elle ne doit pas être déraisonnable;
  • Elle doit être claire et sans équivoque;
  • Elle doit être portée à l’attention des employés avant que l’employeur puisse l’appliquer;
  • Les employés concernés doivent avoir été préalablement informés que la transgression de la politique pourrait mener à une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’à leur congédiement;
  • Elle doit être appliquée de façon constante depuis son entrée en vigueur.

Ces critères de validité doivent être pris en considération par l’employeur au moment de la mise en place d’une telle politique. De plus, en matière de dépistage de drogues ou d’alcool en milieu de travail, une telle politique aura habituellement deux objectifs mutuellement complémentaires, soit :

  • Établir une procédure permettant d’obtenir des moyens de prouver l’état d’intoxication de l’employé, notamment par des échantillons d’urine, d’haleine ou de sang, en temps opportun; et
  • Sanctionner de façon efficace, diligente et sécuritaire[3] les employés chez qui la consommation d’alcool ou de drogues peut avoir un effet néfaste sur leurs capacités d’accomplir leurs tâches.

De même, toute bonne politique en la matière doit clairement informer les employés des circonstances où ils pourront faire l’objet d’un test de dépistage ainsi que des sanctions auxquelles ils peuvent s’exposer en cas d’échec au test ou même en cas de refus de s’y conformer.

Une politique qui prévoit le droit d’un employeur d’exiger un test de dépistage lorsqu’il est raisonnable de croire à une problématique liée à la consommation de drogues ou d’alcool pendant les heures de travail sera généralement valide. Les circonstances de chaque affaire pourront amener un arbitre ou la Cour à se pencher sur la validité du test demandé[4].

De façon générale, les politiques prévoyant la possibilité d’effectuer des tests de dépistage à la suite d'un incident ou d’un accident important causé par un facteur humain ont été jugées valides par les tribunaux. La possibilité que l’accident découle des facultés affaiblies de l’employé est une condition nécessaire à la demande d’un test auprès de celui-ci[5]. Par exemple, un incident causé uniquement par un bris d’équipement ne pourrait mener à un test de dépistage chez l’employé. Toutefois, la validité d’une politique autorisant l’imposition de tests de dépistage aléatoires ou sans motif aux employés sera très difficile à établir, les tribunaux québécois ayant invalidé à maintes reprises ce type de politique jusqu’à présent.

Les tests de dépistage lors de nomination à des postes de confiance ou critiques pour la sécurité
Certaines politiques prévoient l’imposition de tests de dépistage de drogues et d’alcool lors de l’attribution de postes critiques pour la sécurité ou essentiels dans l’entreprise.

Une telle politique doit être rédigée de façon mesurée en vue de s’assurer que seuls les postes qui répondent à ces caractéristiques soient visés par cette exigence. De plus, la possibilité qu’un test soit imposé devrait être connue au début du processus d’attribution d’un tel poste, pour donner la chance à une personne qui ne veut pas se soumettre à de tels tests de ne pas poser sa candidature.

L’imposition de tests de dépistage aléatoires
De façon générale, il est possible d’imposer un test de dépistage périodique au hasard à un employé lorsque cette situation s’inscrit dans une problématique particulière de dépendance aux drogues ou à l’alcool et que cette situation est encadrée par un programme général de réhabilitation. Également, des tests de dépistages de drogues ou d’alcool sont légitimes lorsqu’ils sont effectués en raison d’une obligation légale (transport aux États-Unis, milieu aérien,etc.) ou d’une entente de dernière chance avec l’employé.

La possibilité de mettre en œuvre une politique générale de tests aléatoires de dépistage a généralement été jugée une exigence déraisonnable par les tribunaux québécois[6].

En effet, dans ces décisions, les tribunaux ont conclu qu’il n’existait pas de justification suffisamment impérative pour recourir à de tels tests aléatoires. Toutefois, d’un même souffle, ils n’ont pas niéque dans certaines circonstances, une telle politique puisse être nécessaire.

À la lecture de la jurisprudence, on peut conclure qu’une telle politique pourrait avoir un fondement raisonnable dans les entreprises qui exercent des activités dites dangereuses tant pour les employés eux-mêmes qu’en raison des conséquences d’un accident. Les risques d’impact environnemental, financier ou humain seraient considérés par les tribunaux pour conclure à la dangerosité d’une entreprise.Les exemples les plus souvent mentionnés concernent les lignes aériennes, les transports ferroviaires, les usines de produits chimiques ou nucléaires, les raffineries et certaines entreprises industrielles. En fait, pour qu’une telle politique soit valide, il revient à un employeur de démontrer que les tests de dépistage obligatoires et aléatoires pour un emploi qualifié à hauts risques sont essentiels pour assurer des conditions de travail justes et raisonnables qui respectent la santé, la sécurité et l’intégrité physique des salariés, et ce, à la lumière des conséquences d’un accident potentiel.Finalement, en janvier 2013, la Cour suprême du Canada a été saisie d’un appel provenant du Nouveau-Brunswick[7] et rendra prochainement un arrêt fort attendu au sujet des tests de dépistages aléatoires en entreprise. Le degré de dangerosité des activités d’une entreprise y sera-t-il la seule véritable questionanalyséepour décider de la validité d’une politique de tests aléatoire?

 

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Source : VigieRT, mars 2013.


1 Charte des droits et libertés de la personne, LRQ, c C-12.
2 Lumber and Sawmill Worker’s Union Local 2537 et K.V.P. Co., (1966) 16 L.A.C. 73.
3 Simon-PierrePaquette et Rhéaume Perreault, « Le dépistage d’alcool et de drogues en entreprise : où en sommes-nous? », dans Développements récents en droit du travail 2007.
4 Section locale 143 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier c. Goodyear Canada inc., 2007 QCCA 1686; Shell Canada ltée c. Travailleurs Unis du Pétrole du Canada, Section Locale 721 du SCEP, AZ 50589632
5 Teamsters Québec, local 973 (FTQ) et HorzionMilling, 2008, AZ-50472695, para 51
6 À titre d’exemple, dans Section locale 143 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier c. Goodyear Canada inc., 2007 QCCA 1686.
7 Communications Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 30 v. Irving Pulp & Paper, Limited, 2011 NBCA 58.
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