Vous lisez : Prestations de retraite et prestations d’invalidité doivent-elles être déduites d’une indemnité de fin d’emploi?

Un employeur peut mettre fin, sans motif sérieux, à l’emploi d’un salarié en lui fournissant un délai-congé raisonnable ou une indemnité en tenant lieu[1]. À ce titre, le Code civil du Québec et la jurisprudence établissent certains critères applicables lors de l’évaluation d’un tel délai-congé : l’âge, l’ancienneté, la nature de l’emploi, etc. Ce délai-congé a une vocation indemnitaire vis-à-vis du salarié afin de lui permettre de disposer du temps raisonnable pour se trouver un autre emploi sans subir de perte économique. Or, la question de l’indemnité tenant lieu de délai-congé se complique lorsque le salarié est admissible à une rente de retraite maximale ou lorsque celui-ci touche des prestations d’assurance invalidité. Dans de tels cas, le salarié ne subira pas de perte financière réelle advenant la fin de son emploi. Au regard de ces faits, comment l’employeur doit-il alors établir l’indemnité tenant lieu de délai-congé raisonnable?

La Cour suprême, dans l’arrêt IBM Canada Limitée c. Waterman[2], a récemment répondu à cette question. À la majorité, elle a conclu que les prestations de retraite d’un salarié ne doivent pas être déduites de l’indemnité tenant lieu de délai-congé accordée dans le cas d’un congédiement injustifié.

Pourtant, dans l’arrêt Sylvester c. Colombie-Britannique , la Cour suprême avait rendu une décision contraire relativement aux prestations d’invalidité. Le tribunal avait alors conclu que le paiement simultané de prestations d’invalidité et d’indemnité durant la période représentant le délai-congé raisonnable était incompatible.

À première vue, ces deux décisions semblent contradictoires. Toutefois, la Cour suprême distingue ces deux situations et expose son raisonnement.

Mise en contexte

Arrêt IBM

Un salarié, alors âgé de 65 ans et travaillant pour IBM Canada Limitée (IBM) depuis 42 ans, a été congédié par cette dernière sans cause juste et suffisante. Au moment de son congédiement, il était admissible à une rente de retraite maximale aux termes d’un régime de retraite à prestations déterminées auquel seule IBM cotisait.

N’ayant bénéficié que d’une indemnité de deux mois, le salarié a intenté un recours réclamant une indemnité tenant lieu de délai-congé raisonnable. La décision de première instance, confirmée en appel, a établi que la durée du délai était insuffisante en l’espèce, que le salarié aurait dû recevoir un préavis d’une durée de vingt mois et que les prestations de retraite du salaire versé durant la période du préavis ne devaient pas en être déduites. La Cour suprême a confirmé le jugement des cours inférieures.

Arrêt Sylvester

Un salarié contractuel du gouvernement de la Colombie-Britannique a été licencié alors qu’il recevait des prestations d’assurance invalidité. Son employeur lui a accordé 12,5 mois de salaire à titre d’indemnité de fin d’emploi dont il a déduit les prestations d’assurance d’invalidité que le salarié recevait. Le tribunal de première instance, tout en allongeant la période de délai-congé, a conclu que les prestations d’assurance d’invalidité devaient en être déduites. La Cour d’appel, quant à elle, a accordé des dommages-intérêts équivalant au salaire du salarié pendant une période de vingt mois, prenant soin de ne pas déduire les prestations d’assurance d’invalidité. Or, la Cour suprême a infirmé la décision de la Cour d’appel et a conclu que les prestations devaient effectivement être déduites.

Explications

Dans l’arrêt IBM, la Cour suprême a rendu une décision, à l’égard de laquelle deux juges étaient dissidents, en considérant que les prestations de retraite ne devraient généralement pas être déduites du montant de dommages-intérêts reçus lors d’un congédiement injustifié.

Dans un premier temps, la Cour suprême a reconnu le caractère indemnitaire du délai-congé fourni à un salarié congédié sans motif sérieux. L’application stricte du principe d’indemnisation veut qu’un salarié ne soit pas indemnisé pour une somme supérieure à la perte réellement subie. Ainsi, on serait tenté de déduire toute autre forme de prestations perçues par le salarié du versement de l’indemnité de fin d’emploi puisque dans le cas contraire, il y aurait double indemnisation.

Dans un second temps, la Cour suprême a reconnu que la règle selon laquelle les dommages-intérêts sont calculés en fonction de la perte réelle du salarié ne s’applique pas dans toutes les situations. Par exemple, les prestations que reçoit un salarié en application d’un régime d’assurance privée ne sont habituellement pas déductibles des dommages-intérêts.

Dans un troisième temps, la Cour suprême a conclu que l’exception relative à l’assurance privée s’applique à des prestations telles que les prestations de retraite. À cet effet, la Cour suprême a noté que de telles prestations de retraite ne devraient pas être réduites puisqu’elles ne constituent pas une indemnité de perte de revenus, mais plutôt une forme d’épargne-retraite. Malgré le fait qu’IBM ait fait toutes les cotisations au régime du salarié, celui-ci a acquis, pendant ses années de service, le droit de recevoir des prestations à un moment donné. Ainsi, considérant que les prestations de retraite n’ont pas pour objet l’indemnisation du salarié, un employeur ne peut réduire l’indemnité de fin d’emploi d’une telle prestation.

Enfin, contrairement aux prestations de retraite, les prestations d’assurance invalidité doivent être réduites de l’indemnité de fin d’emploi, selon la Cour suprême. Des conclusions si contradictoires s’expliquent notamment par le fait que la nature des prestations dans les deux cas est complètement différente. La prestation d’invalidité est une indemnisation que le salarié reçoit en raison de sa perte de salaire. Cette prestation vise à compenser une perte salariale en raison d’une incapacité du salarié à travailler. Au surplus, dans l’arrêt Sylvester, il était impossible pour le salarié, en vertu de son contrat de travail, de toucher à la fois des prestations d’invalidité et un salaire. Enfin, les autres revenus, quels qu’ils soient, devaient également être déduits du montant des prestations d’invalidité.

En somme, contrairement aux prestations d’assurance invalidité, les prestations de retraite ne visent pas à indemniser le salarié pour une perte de salaire, mais constituent plutôt un droit acquis par celui-ci. Ainsi, vu l’objet différent des deux types de prestations, la Cour suprême a conclu différemment lorsqu’il s’agit de prestations de retraite ou d’invalidité en : 1) refusant de déduire les prestations de retraite de l’indemnité de fin d’emploi et 2) en déduisant les prestations d’invalidité de l’indemnité de fin d’emploi.

Si par le passé certains employeurs pouvaient être tentés de déduire le montant des prestations de retraite auquel le salarié a droit de son indemnité de fin d’emploi, la décision IBM devrait changer cette façon de faire.

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Source : VigieRT, février 2014.


1 Sous réserve du droit du salarié à la réintégration prévu notamment à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.
2 2013 CSC 70.
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