Vous lisez : Maintien du régime d’assurance collective lors d’une grève ou d’un lock-out?

L’employeur, auto-assuré ou assuré à titre de preneur[1], a-t-il l’obligation de maintenir le régime d’assurance collective prévu à la convention collective une fois cette dernière expirée et le droit au lock-out ou à la grève exercé légalement? S’il est acquis que la grève ou le lock-out n’ont pas pour effet de rompre le lien d’emploi des salariés visés par le conflit de travail[2], qu’en est-il de la couverture d’assurance collective durant cette période?

En principe, on peut penser que la suspension de l’obligation des salariés de fournir une prestation de travail durant cette période[3] a pour effet de suspendre les obligations corrélatives de l’employeur, y compris celle de maintenir le régime d’assurance collective. Si la suspension de certaines obligations de l’employeur en cas de grève ou de lock-out va de soi, comme celle de verser le salaire, le cas des assurances collectives est sujet à caution. En effet, l’employeur qui désire procéder ainsi devra d’abord tenir compte de restrictions particulières qui risquent de lui être imposées en pareille matière s’il veut s’assurer de limiter sa responsabilité dans la mesure où la décision prise pourrait avoir un impact majeur sur les salariés visés et leur famille.

Voici un tour d’horizon de certains éléments à prendre en considération à ce sujet, à savoir : 1) les clauses de maintien des conditions de travail prévues à la convention collective, 2) les lois applicables en matière d’assurance, 3) le droit à des prestations d’assurance cristallisé avant le déclenchement de la grève ou du lock-out et 4) les risques d’une ordonnance de maintien du régime d’assurance pendant le conflit collectif.

Le présent article ne couvre évidemment pas tous les aspects de cette problématique. D’autres éléments particuliers à chaque cas devront être pris en compte dans ce cadre, par exemple, les clauses particulières contenues dans la police d’assurance ou dans la convention collective. Aussi, certaines questions additionnelles risquent de se poser. Comment, de façon concrète, l’employeur peut-il mettre fin ou suspendre le régime d’assurance? Comment coordonner le tout avec l’assureur, le cas échéant? De quelle façon devrait-il aviser le syndicat ou les salariés visés? Y a-t-il lieu de proposer des solutions de rechange à la cessation de l’assurance collective au syndicat?

Les clauses de maintien des conditions de travail prévues à la convention collective
L’exercice du droit au lock-out ou à la grève suspend, en principe, l’application des conditions de la convention collective. En effet, l’alinéa 2 de l’article 59 du Code du travail (le Code) prévoit le maintien des conditions de travail stipulées dans la convention collective expirée « tant que le droit au lock-out ou à la grève n’est pas exercé ». Le troisième alinéa de l’article 59 indique pour sa part que « les parties peuvent prévoir dans une convention collective que les conditions de travail contenues dans cette dernière vont continuer de s’appliquer jusqu’à la signature d’une nouvelle convention. »

Une certaine controverse sévit en droit québécois quant à la portée de ce type de clause, dont traite le troisième alinéa de l’article 59 du Code, lorsqu’une grève ou un lock-out est déclenché avant qu’une nouvelle convention collective soit signée.

D’une part, la Cour d’appel, dans Syndicat des employés de Daily Freight (C.S.N.) c. Imbeault[4], a considéré qu’une grève ou un lock-out avait pour effet de suspendre les conditions de travail prévues à la convention collective expirée malgré la présence d’une telle clause. D’autre part, la Cour supérieure, dans deux décisions de 2011[5] rendues par la même juge, en est venue à la conclusion inverse, sans toutefois faire état de l’arrêt Daily Freight de la Cour d’appel. En principe, la position de la Cour d’appel devrait avoir préséance.

Un premier constat s’impose donc. L’employeur dont la convention collective stipule une clause qui prolonge l’application des conditions de travail jusqu’à son renouvellement, sans faire mention de la grève ou du lock-out à titre d’événement interrompant ce maintien des conditions de travail, pourrait se faire opposer par le syndicat le dernier courant jurisprudentiel de façon à lui nier la possibilité de mettre fin au régime d’assurance prévu à la convention collective. L’examen du libellé des dispositions de la convention collective portant sur le maintien des conditions de travail après l’expiration de celle-ci est donc primordial afin de faire une évaluation juste des risques encourus.

Les lois applicables en matière d’assurance
Même en présumant que les dispositions de la convention collective sont suspendues pendant le lock-out ou la grève, certaines dispositions législatives en matière d’assurance prévoient des obligations particulières.

Ainsi, l’article 49 de la Loi sur l’assurance médicaments, L.R.Q., c. A-29.01, prévoit qu’« en cas de lock-out, de grève ou de toute autre cessation concertée de travail de personnes qui adhèrent à un contrat d’assurance collective ou à un régime d’avantages sociaux comportant les garanties du régime général, l’assureur ou l’administrateur du régime doit maintenir la couverture en vigueur pendant une période d’au moins 30 jours à compter du déclenchement du lock-out, de la grève ou de la cessation concertée. »

D’autre part, le Règlement d’application de la Loi sur les assurances, R.R.Q., c. A-32, r.1, aux articles 62 et suivants, permet à l’assuré de transformer sa protection d’assurance collective sur la vie en une assurance vie individuelle dans les 31 jours de son départ du groupe. Il serait souhaitable que l’employeur avise ses salariés de cette possibilité tout au moins au moment du déclenchement d’une grève ou d’un lock-out.

En conséquence, le maintien de l’assurance collective pour une période déterminée pendant une grève ou un lock-out doit être observé. Un employeur devrait ainsi s’assurer du respect de ces dispositions avant de mettre fin ou de suspendre le régime d’assurance.

Le droit à des prestations d’assurance cristallisé avant le déclenchement d’une grève ou d’un lock-out
Il est généralement reconnu que le déclenchement d’une grève ou d’un lock-out ne saurait provoquer la cessation du versement des prestations à un salarié dont le droit de recevoir de telles prestations a été fixé préalablement au conflit collectif. Ainsi, en matière d’assurance invalidité, le droit de recevoir des prestations se cristallise le jour où survient l’invalidité. Dans la mesure où cette invalidité se déclare alors que la convention collective était applicable, le droit à des prestations devient donc acquis, lequel n’est pas affecté par la grève ou le lock-out subséquent[6].

La décision de mettre fin ou de suspendre l’application du régime d’assurance ne saurait donc, en principe, provoquer la cessation du versement des prestations d’assurance pour les salariés dont le droit s’est cristallisé avant le déclenchement de la grève ou du lock-out.

Le risque d’une ordonnance de maintien du régime d’assurance collective pendant une grève ou un lock-out
Au sujet d’un certain risque pour l’employeur de faire l’objet d’une ordonnance d’un tribunal de maintenir le régime d’assurance collective pendant une grève ou un lock-out, peu de décisions ont été rendues. D’emblée, il faut garder à l’esprit que la décision d’un tribunal de prononcer ou non une telle ordonnance dépendra des faits particuliers mis en preuve dans chaque cas. À titre exemple, nous nous limiterons à faire état d’une seule décision rendue à ce sujet.

Dans Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 919 c. Goodyear Canada inc. [7], à l’occasion d’une injonction interlocutoire, la Cour supérieure a obligé l’employeur à maintenir l’assurance durant la grève. La Cour en est venue à cette conclusion aux motifs, entre autres, que l’employeur avait maintenu la couverture d’assurance pendant trois mois lors d’une grève précédente, que les salariés avaient un faible revenu durant la grève et qu’il n’était pas clair s’ils étaient admissibles ou non au régime public d’assurance médicaments, puisque la convention d’assurance était toujours en vigueur et que la prépondérance des inconvénients jouait en faveur des salariés.

Cette décision ne tranche pas pour autant la question définitivement puisque la décision de la Cour était une injonction interlocutoire qui ordonnait à l’employeur de maintenir le régime d’assurance « pour le moment ». De plus, la Cour semble avoir accordé une grande importance au fait que l’employeur avait maintenu le régime au cours de la dernière grève. En l’absence d’une telle circonstance, la décision de la Cour supérieure aurait peut-être été différente.

Conclusion
Que faut-il retenir de ce qui précède? Force est de constater que, contrairement à d’autres conditions de travail, la suspension du régime d’assurance lors d’une grève ou d’un lock-out ne va pas nécessairement de soi. Elle est soumise à certaines limites et réserves. Celles-ci doivent inciter l’employeur à la prudence de façon à éviter les décisions hâtives, lesquelles seraient prises sans avoir examiné l’ensemble des circonstances pertinentes.

En pratique, vu les limites susmentionnées et l’importance qu’aurait une telle décision sur les salariés visés, il est souvent suggéré, lorsque les clauses de la police d’assurance le permettent, de proposer au syndicat de payer la contribution de l’employeur durant le conflit collectif afin que les salariés puissent continuer à bénéficier du régime et que leurs droits soient maintenus. Une telle protection ne s’applique cependant généralement pas à l’assurance invalidité lorsque l’invalidité survient pendant une grève ou un lock-out.

Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.

Source : VigieRT, mars 2014.


1 Aux fins du présent article, nous ne traiterons pas des cas où le syndicat est preneur de l’assurance collective.
2 Article 110 du Code du travail.
3 Le présent article ne traite pas des salariés qui doivent fournir leur prestation de travail malgré la grève, et ce, afin de fournir des services essentiels.
4 D.T.E. 2003T-213.
5 Syndicat des travailleuses et travailleurs du Four Points Sheraton Centre-ville – C.S.N. c. Courtemanche, 2011 QCCS 1480; Syndicat des travailleuses et travailleurs du Four Points Sheraton Centre-ville – C.S.N. c. Bolduc, 2011 QCCS 1482.
6 Voir par analogie : Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 RCS 230; Syndicat des travailleurs de Didier (C.S.N.) c. Didier Corp. de produits réfractaires, D.T.E. 88T-86 (T.A.); Compagnie Héroux inc. c. Syndicat des travailleuses et travailleurs en aéronautique de Longueuil (usine), D.T.E. 94T-66, (T.A.); Syndicat des travailleuses et travailleurs de Lallemand inc. c. Lallemand inc., D.T.E. 2007T-512 (T.A.).
7 D.T.E. 2000T-824.
Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie