Vous lisez : Négligence criminelle en matière de santé et de sécurité au travail

Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C-45[1] le 31 mars 2004 qui modifie certaines dispositions du Code criminel[2], les employeurs ont une responsabilité accrue en matière de santé et de sécurité au travail. En effet, les articles 22.1 et 217.1 du Code criminel ont pour effet de faciliter le dépôt d’accusations de négligence criminelle dans des cas concernant la santé et la sécurité des travailleurs.

L’article 217.1 du Code criminel crée un devoir à « quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. » L’employeur qui manque à ce devoir pourrait être considéré avoir omis « de faire quelque chose qu’il [était] de son devoir d’accomplir » au sens de l’article 219 du Code criminel et pourrait être accusé de négligence criminelle. Un individu accusé de négligence criminelle ayant causé la mort est passible de l’emprisonnement à perpétuité[3]. Pour les organisations, le montant des amendes en cas de condamnation pour négligence criminelle est sans limites[4].

Bien que l’entrée en vigueur de l’article 217.1 du Code criminel ait fait couler beaucoup d’encre, il n’y a qu’un nombre restreint de décisions qui rapportent des cas de négligence criminelle au sens de ces articles. Au Québec, les affaires Transpavé[5], Scrocca[6] et
Gagné[7] traitent de tels cas.

En Ontario, une accusation de négligence criminelle avait été déposée dans l’affaire Fantini[8]. Cependant, pour différents motifs, cette accusation a été retirée, mais l’employeur a tout de même été condamné à une amende de 50 000 $ en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario[9]. Toutefois, en juillet 2012, une première condamnation pour négligence criminelle en matière de santé et de sécurité au travail a été prononcée dans cette province par la Cour de justice de l’Ontario dans l’affaire R. v. Metron Construction Corporation[10].

Dans une deuxième décision faisant suite à cet accident tragique, soit R. v. Swartz[11], le président et unique administrateur de la compagnie Metron Construction a, pour sa part, été condamné en vertu des dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario et ses règlements.

Dans ces deux cas, la compagnie et le président ont tous deux plaidé coupables aux infractions dont ils étaient accusés.

Les faits à l’origine des accusations
Un accident survenu le 24 décembre 2009 à Toronto a causé le décès de quatre employés de la compagnie Metron Construction à la suite d’une chute de 14 étages causée par l’effondrement de l’échafaudage suspendu sur lequel ils se trouvaient. Un cinquième employé a été grièvement blessé. Le sixième employé portait un harnais de sécurité, ce qui lui a sauvé la vie.

L’enquête a révélé que le superviseur, décédé lors de l’accident, avait laissé trop d’employés travailler simultanément sur le même échafaudage, sans calculer si la structure pouvait supporter leur poids, ni vérifier si chacun des employés portait un harnais de sécurité. De plus, l’autopsie des quatre victimes a révélé que trois d’entre elles avaient consommé du cannabis dans les instants précédant l’accident. Une de celles-ci était le superviseur.

Une enquête subséquente a démontré que l’échafaudage était défectueux et qu’il n’était même pas sécuritaire pour deux employés puisqu’il avait été mal construit. De plus, l’échafaudage ne disposait que de deux cordages de sécurité et n’avait pas été livré avec un manuel d’instruction comme le requiert la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario.

Les motifs de la décision R. v. Metron Construction Corporation (condamnation pour négligence criminelle)
Tel que mentionné, la compagnie a plaidé coupable à l’infraction de négligence criminelle ayant causé la mort. La compagnie Metron Construction a été reconnue coupable des actes et omissions de son représentant, en l’occurrence, le superviseur en fonction le jour de l’accident.

En raison du plaidoyer de culpabilité, la Cour n’avait qu’à déterminer le montant de la peine. La poursuite réclamait une amende de 1 000 000 $, alors que Metron Construction, en défense, proposait une amende de 100 000 $.

Les parties ont convenu qu’il existait très peu de précédents jurisprudentiels. La seule décision à laquelle les parties ont référé la Cour est l’affaire québécoise Transpavé. La Cour s’est référée alors à la jurisprudence concernant la détermination des amendes à verser dans des cas de décès faisant suite au non-respect de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario, lesquelles amendes varient entre 115 000 $ et 425 000 $.

La Cour a analysé les facteurs à prendre en compte pour la détermination de la peine pour une organisation[12], dont notamment la viabilité économique de l’entreprise, le fait que l’entreprise ait plaidé coupable (réduisant ainsi de manière considérable les coûts pour l’administration publique), le fait que le président ait également plaidé coupable à des accusations en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario et le fait que ni Metron Construction, ni le président, n’avaient d’antécédents pour des infractions similaires.

La Cour a fait remarquer que le montant demandé par la poursuite était trop élevé considérant la situation financière de Metron Construction au moment du jugement. Le fait d’imposer une amende aussi élevée risquait d’entraîner la faillite de l’entreprise, ce qui n’était pas souhaitable.

La Cour a retenu également certains facteurs aggravants, dont le sérieux des infractions, les conséquences tragiques de celles-ci et le fait que l’échafaudage, révélé défectueux et non conforme à plusieurs dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario, était déjà utilisé depuis deux mois avant que l’accident survienne. Selon la Cour, ces facteurs justifiaient l’imposition d’une amende dont la somme était plus élevée que celle soumise par la défense.

La Cour a imposé une amende de 200 000 $ avec une surcharge additionnelle de 15 % ou 30 000 $ pour les victimes.

Les motifs de la décision R. v. Swartz (condamnations en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario)
Tel que mentionné, le président de la compagnie a lui aussi plaidé coupable aux accusations déposées contre lui. Dans ce deuxième jugement[13], la Cour a rappelé que l’effet dissuasif devait être assez substantiel pour aviser les autres employeurs qu’aucune infraction ne serait tolérée. Considérant les infractions sérieuses à la législation applicable, leurs conséquences tragiques ainsi que l’absence d’antécédents pendant plus de 20 ans de carrière dans le milieu de la construction, la Cour a entériné la recommandation conjointe des parties, soit une amende de 22 500 $ pour chacun des quatre chefs d’accusation, pour un total de 90 000 $, plus une surcharge de 25 % pour les victimes. La Cour a fait remarquer que l’amende imposée était bien au-delà du revenu du président pour l’année précédente.

Conclusion
À notre connaissance, l’amende à laquelle a été condamnée Metron Construction est, à ce jour, la plus importante depuis l’adoption de l’article 217.1 du Code criminel.

Bien que les jugements faisant suite à la tragédie survenue sur le chantier de Metron Construction proviennent de l’Ontario, ils pourraient trouver application au Québec puisque les articles pertinents du Code criminel s’appliquent pour l’ensemble du Canada.

Ces jugements réitèrent l’importance et le sérieux que le législateur accorde à la santé et à la sécurité des travailleurs.

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Source : VigieRT, octobre 2012.


1 Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations), sanctionnée le 7 novembre 2003, 2e sess., 37e légis. (Can.).
2 L.R.C. 1985, c. C-46.
3 Code criminel, article 220 b).
4 Code criminel, article 735.
5 R. c. Transpavé inc., 2008 QCCQ 1598 (C.Q.), où l’entreprise a été condamnée à une amende de 110 000 $.
6 R. c. Scrocca, 2010 QCCQ 8218 (C.Q.), où l’employeur, une personne physique, a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour avec une sur amende de 100 $.
7 R. c. Gagné, 2010 QCCQ 12364 (C.Q.) où les accusés, deux personnes physiques, ont été acquittés.
8 R. v. Fantini, [2005] O.J. No. 2361 (Ont. C.J.).
9 Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, c. O.1.
10 2012 ONCJ 506 (ON CJ).
11 2012 ONCJ 505.
12 Énumérés à l’article 718.21 du Code criminel.
13 Préc., note 11.
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